Beaucoup d’explications ont été avancées pour tenter d’expliquer les violence qui ont eu lieu au quartier de la Villeneuve, à Grenoble, après la mort d’un braqueur. Pour Mohamed Boukhatem, d’origine algérienne, membre du conseil d’administration de l’Union de quartier, le coupable est trouvé, c’est la France qui «a raté sa décolonisation».
” A 10 ans, ils volent. A 15 ans, ils sont armés. A 17 ans, ils commencent à braquer. Ils sont prêts à frapper pour un rien. Ils n’ont plus de respect. Sauf pour ceux qui sortent de prison.” (Abdel, médiateur)
«Ce quartier n’est ni enclavé, ni éloigné, ni sous-équipé», affirme Philippe Warin. Ce politologue de l’Institut d’études politiques de Grenoble, lui-même résident du quartier depuis vingt ans, guide la visite en journée. «C’est un espace de vie exceptionnel. Les immeubles sont ouverts sur un parc public immense, jamais dégradé.» Normal, des tondeurs de pelouse aux agents antitags, tous s’affairent pour maintenir les lieux propres. «Il y a tout ici: des équipements, des services, des commerces, des écoles.» Le prix de cette politique? 5,5 millions d’euros par an. Une somme qui en fait le quartier le plus choyé de la ville. Voilà pour le tableau presque bucolique.
Grattez un peu, la peinture s’écaille. Le quartier concentre les inégalités sociales. Le chômage atteint 30% chez les moins de 25 ans, contre 9% en moyenne à Grenoble, selon les autorités. Il comprend 50% de logements sociaux. Les familles monoparentales y sont plus nombreuses qu’en ville. «L’investissement social ne règle pas seul les questions de fond, qui sont historiques. La France a raté sa décolonisation. Un ressentiment a grandi au fil des générations», rappelle le chercheur. Mohamed Boukhatem, membre du conseil d’administration de l’Union de quartier, en a lui-même souffert. Pour le sexagénaire algérien, le «manque de reconnaissance de la diversité des cultures», l’échec scolaire et le chômage composent un mélange explosif. (…)
Au quotidien, voici l’ambiance: «La nuit, on vole, on deale, on brûle», résume froidement Paulette, une octogénaire pimpante, croisée en journée dans un parc somptueux contrastant avec ses propos. L’ancienne institutrice connaît les habitudes du coin: «Ces gamins se lèvent à 11 h, travaillent le soir et se couchent vers 4 h. Ils ne sortent pas de la Villeneuve. C’est leur royaume.»