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Les agents de la fonction publique étaient appelés à la grève ce jeudi [21 janvier 2010]. Objectif, protester contre les suppressions de postes dans la fonction publique. Mais au fait, elles servent à quoi, ces diminutions d’effectifs ?


Qui fait grève, et pourquoi ?

L’ensemble des fonctionnaires étaient appelé à la grève ce jeudi, par trois syndicats, la CGT, Solidaires et la FSU. La CFDT et l’UNSA se sont aussi joints au mouvement, mais seulement dans l’Education nationale et l’Equipement. Environ 120 manifestations étaient organisées à travers le pays.

La grève a été quand même moins bien suivie que la dernière en date, le 19 mars 2009 : 12,2% des agents de l’Etat étaient mobilisés à la mi-journée, contre 26% à l’époque. Un chiffre qui tombe à 3,5% au sein des collectivités locales – contre 15% – et à 2% à l’hôpital – contre 18,4% – selon le ministère de la Fonction publique. Comme si les fonctionnaires étaient résignés, face aux suppressions de postes. C’est en effet la lutte contre cette politique, qui constituait le coeur des revendications.

Il y en a beaucoup, des suppressions de postes ?

Oui, quand même… C’est vrai qu’Eric Woerth, le ministre du Budget, ne plaisante pas : “On ne peut pas faire autrement”, a-t-il assuré. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, les coupes dans la fonction publique d’Etat ont été bien plus drastiques qu’avec ses prédécesseurs : 22.900 postes en moins en 2008, 30.600 en 2009 et, cette année, 33.749 exactement sont prévues au budget. Ces chiffres sont en forte accélération par rapport à la période Chirac.

Ils paraissent élevés, mais, rapportés au nombre total de fonctionnaires, restent relativement faibles. La France compte en effet 5,2 millions de fonctionnaires, dont la moitié à peine dans la fonction publique d’Etat. Le “plan social” qui a touché cette dernière depuis trois ans, ne représente donc que 4% des effectifs totaux. Et sans licenciements, évidemment, puisque les suppressions de postes sont la conséquence de la règle dite du “non remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite”.

D’où sort ce chiffre de “un sur deux” ?

C’est une règle qui avait été édictée par Francis Mer lorsqu’il était à Bercy, entre 2002 et 2004. “Ce n’est pas un chiffre tiré à pile ou face”, se justifiait-il dans son ouvrage Vous les politiques, après son éviction du ministère des Finances.

Prenant le cas de ce dernier, il expliquait par exemple que “moyennant l’informatisation en cours, une certaine externalisation et la réorganisation systématiques des processus de production administrative, il est tout à fait possible d’augmenter la productivité de Bercy de 1% à 2% par an, pendant dix ans. Soit 2000 à 4000 suppressions de postes chaque année, c’est-à-dire au moins la moitié des départs naturels en retraite dans les dix prochaines années”.

Augmenter la productivité, ça veut dire quoi ?

Eric Woerth cite lui aussi le cas de sa propre administration. Selon lui, les impôts, “ça marche infiniment mieux qu’il y a quelques années, avec moins de fonctionnaires”. Il a mis en place un programme au nom barbare, la RGPP, pour “Révision générale des politiques publiques”, qui a justement pour but de repérer les gains de productivité dans tous les ministères et, in fine, de “garantir la même qualité de service à moindre coût”.

Autrement dit, faire mieux avec moins… ça marche ?

Le gouvernement est très attaché à cette politique. La Cour des Comptes, beaucoup moins. Philippe Séguin, juste avant sa mort, avait condamné en des termes peu aimables cette règle du “un sur deux” “dictée par des considérations budgétaires de court terme” et qui “résulte d’une démarche purement quantitative”.

Selon l’ancien président de la Cour, cette méthode profite aux “administrations pléthoriques et sous productives, qui ont moins de mal que les autres à rendre des effectifs”. Bref, elle “récompense les mauvais élèves, ceux qui, du fond de la classe, résistent aux efforts de productivité”. Tout le contraire de l’objectif affiché, donc.

“C’est assez compliqué, quand même, d’évaluer les gains de productivité”, renchérit Matthieu Plane, économiste à l’OFCE. “Par exemple dans l’Education, qui à elle seule représente la moitié des futurs départs à la retraite, la productivité devrait normalement correspondre à une amélioration de la connaissance distribuée par les professeurs. Mais tout ce à quoi va aboutir l’application de la règle du ‘un sur deux’, c’est une augmentation du nombre d’élèves par professeur”.

Mais est-ce que tout ça, ça va vraiment réduire le déficit ?

Le gouvernement ne s’en cache pas : confronté à des déficits très élevés, il n’entend pas augmenter les impôts, mais agir uniquement sur la baisse des dépenses. La diminution du nombre de fonctionnaires, premier poste de dépenses de l’Etat, est évidemment la pierre angulaire de cette politique.

Sauf que, quand on regarde les ordres de grandeur, ça ne colle pas. Les économies générées par la baisse des effectifs dans la fonction publique d’Etat sont évaluées à un milliard d’euros par an, et la moitié de cette somme est redistribuée aux agents, sous forme de primes. Le déficit budgétaire, lui, frise les 140 milliards.

“Il faut aussi ajouter que les gains générés par la baisse des effectifs dans la fonction publique d’Etat sont partiellement annulés par la hausse du nombre d’agents dans les collectivités locales”, analyse Matthieu Plane.

Pour revenir dans les clous du traité de Maastricht, le déficit public de la France, qui comprend celui de l’Etat, des collectivités locales et de la Sécurité Sociale, devra passer de 8,2% cette année à 3% en 2013. “C’est un effort colossal, que l’OFCE évalue à 20 milliards d’euros d’économies par an”, affirme Matthieu Plane. “C’est évidemment impossible à réaliser avec la règle du ‘un sur deux’. Pour y parvenir sans augmenter les impôts, il faudrait s’attaquer à la Sécurité Sociale, qui représente 45% des dépenses publiques à elle seule”.

Réformer le modèle social, donc, pourtant tellement vanté par le gouvernement pendant la crise.

L’Expansion

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