Tribune libre de Keltoum Staali sur le site du journal algérien Le Matin:
“Le jeune Ahmed est mort, il n’avait que quinze ans. (…) Mais Ahmed s’est jeté, alors qu’il ne savait pas nager. Dans cette Seine, frémissante encore du souvenir des noyés algériens du 17 octobre 1961, qui avaient osé braver le couvre-feu et du jeune Marocain en 1995, jeté par les fascistes du Front National.
Des Arabes qui se dérobent aux contrôles policiers il y en a de plus en plus. On se demande pourquoi. Et ils sont de plus en plus jeunes. C’est devenu tellement banal qu’à chaque fois que les médias annoncent l’issue tragique d’un contrôle policier, on devine qu’il s’agit d’un Arabe ou d’un Noir.
Etre étranger en France n’a jamais été facile. Aujourd’hui, alors queles Arabes et les Noirs sont dans leur majorité Français, ce n’est toujours pas facile, c’est même parfois dangereux. Toujours suspects, toujours discriminés, toujours objets de fantasmes délirants que Franz Fanon avait bien analysés dans Peau Noire, Masques Blancs. Des citoyens en sursis, de seconde catégorie. Jusque dans les années 80, les immigrés algériens vivaient dans la hantise du non-renouvellement de leur carte de séjour( cela a donné le nom d’un groupe très populaire). Aujourd’hui, leurs enfants sont Français, mais ils n’ont tout simplement pas droit à l’erreur. On ne leur pardonne pas d’être trop « visibles ».
En ce cinquantenaire de la décolonisation de l’Afrique, on assiste à un regain d’animosité raciale. Les responsables politiques Français mènent à qui mieux mieux une nouvelle croisade contre les Arabes, les Noirs et les Roms, accusés de tous les maux. Cela s’appelle de l’incitation à la haine raciale. Lorsque dans un même pays, le président, des ministres, des médias désignent des boucs émissaires à la vindicte publique pour des raisons électoralistes ou pour l’audimat, lorsqu’une partie de l’opinion s’apprête à valider des lois anti-républicaines, comment ne pas se souvenir des heures sombres du passé? Comment ne pas se sentir persécuté?
Les Arabes sont devenus les Juifs du XXI ème siècle. Présumés coupables.
Le jeune Ahmed est mort. Il n’était pas innocent. Il conduisait sans permis la voiture de ses parents. Entre l’interpellation et la noyade, il a choisi. Il n’avait que quinze ans.”
Le Matin (Merci au Hutin)