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Bonjour à tous!  J’espère que vous allez tous bien! Depuis 2 semaines, un de nos lecteurs, Pommier du Val (excellent musicien lui même, il a suivi des études très poussées au Conservatoire) anime cette rubrique avec moi. Cette semaine, c’est son tour! Il nous présente un extrait du “Château de Barbe-Bleu” de Béla Bartók, un compositeur hongrois. Bon Dimanche à vous! – Alexandre

BartokBien que le nom de Bartók soit peu connu du grand public, sa musique l’est pourtant beaucoup plus. En effet, son œuvre Musique pour cordes, percussion et célesta fait partie intégrante du film Shining (Stanley Kubrick), et chacun doit se remémorer les scènes terrifiantes sublimées par la musique. Bartók est-il pourtant un compositeur de films d’épouvante? Non, bien heureusement !

I/ Béla Bartók– La nationalisme musical hongrois :

Béla Bartók est avant tout un compositeur hongrois de la fin du XXème siècle, issu de la mouvance du « Réveil des grandes Écoles Nationales ». En effet, et contrairement à ce qu’ont pu affirmer certains hommes politiques irresponsables, les courants nationalistes qui traversèrent l’Europe n’ont pas généré la guerre, mais bel et bien un réveil identitaire chez les peuples, un questionnement sur leur propre identité et qui se sont exprimés grâce à l’Art.

C’est dans ce contexte que Béla Bartók, né le 25 mars 1881 à  Nagyszentmiklós (à l’époque Empire austro-hongrois – actuellement la Roumanie), va devenir un des pères fondateurs de l’Ethnomusicologie. Entré à 17 ans à l’Académie Royale de Musique de Budapest pour y étudier le piano et la composition, Bartók fera la rencontre de Zoltán Kodály qui lui fera prendre conscience de la nécessité de sauvegarder le patrimoine musical traditionnel de leur peuple.

Bartók et Kodály sillonneront donc l’Europe de l’Est afin de noter et enregistrer, avec une grande rigueur scientifique, les chants et musiques folkloriques des peuples et ethnies les plus reculés composant l’Empire. Une nouvelle discipline universitaire était née : l’Ethnomusicologie.

Bartók ne s’est pas contenté de retranscrire les chants qu’il pouvait entendre. Son génie est d’avoir su réemployer ses découvertes afin de concevoir, sous un angle nouveau, la musique savante occidentale. Bartók est donc un compositeur moderne, de la même époque que Debussy ou Ravel. Mais si ces derniers ont puisé leur inspiration dans un exotisme imaginaire, l’inspiration de Bartók provient directement des mélodies captées au fin fond de l’Europe.

Les œuvres de Bartók sont parmi les plus importantes de la littérature du début du XX ème siècle. En plus des œuvres directement folkloriques, comme par exemple les Trois chansons populaires hongroises ou les Danses populaires Roumaines

(Voir à la fin de l’article la partie “Pour aller plus loin” où l’on vous présentera un extrait.  Note d’Alexandre)

Bartók écrira de surprenants Quatuor à cordes (le 4eme Quatuor révolutionne le style d’écriture de cette formation), un opéra Le château de Barbe-Bleue, deux ballets Le Prince des bois et Le Mandarin Merveilleux, et surtout ses incroyables sonates pour piano et violon.

Cependant la montée du nazisme révulse Bartók qui s’opposera farouchement à la récupération de la musique par les idéologies totalitaires. Ceci le conduira à l’exil aux Etats-Unis, où, malgré sa renommée, il devra vivre difficilement. Il recevra de la part de grands instrumentistes ses dernières commandes, comme le Concerto pour orchestre, ou les Concerto pour piano. Béla Bartók décédera le 26 septembre 1945 à New-York.

II/ Présentation de l’oeuvre du jour:

Le château de Barbe Bleue est l’unique opéra de Bartók. Il ne s’agit cependant pas réellement d’un opéra à proprement parler, étant donné sa courte durée (1 heure), le peu d’action qui s’y déroule, et la distribution qui ne comporte qu’un couple de chanteurs et un récitant. Cette œuvre est donc rarement montée à l’Opéra, mais est en revanche très souvent exécutée sous une forme concertante.

A l’origine un conte de Perrault, l’opéra de Bartók s’appuie sur le livret de Belá Balázs. Celui-ci a détourné le récit originel pour en faire un poème symboliste, riche en allusions allégoriques. Les lectures sont multiples, on pourra y voir notamment la condamnation de la curiosité féminine, la destruction progressive de l’équilibre d’un couple, une métaphore de la solitude de l’homme et de la déloyauté de la femme.

L’action est assez simple. Judith, jeune épouse de Barbe-Bleue, vient le rejoindre dans son château. Cependant l’obscurité règne et l’humidité suinte de partout. Elle n’a accès qu’à une grande pièce principale, entourée de sept portes closes. Judith aimerait ouvrir les portes et faire pénétrer l’air et la lumière dans la pièce principale. Barbe-Bleue refuse, sa personnalité et ses secrets se trouvant derrière ces portes et nul ne pouvant les découvrir. Cependant, devant l’insistance de Judith, Barbe-Bleue cède et accepte d’ouvrir seulement la première porte. Un soupire se fait entendre dans tout le château.

Derrière cette première porte se trouve la salle de torture de Barbe-Bleue, et les murs saignent. Judith réclame alors les clefs de toutes les portes, mais son mari ne lui remet que la clef de la seconde porte. Derrière celle-ci se trouve l’armurerie de Barbe-Bleue, et toutes les armes sont recouvertes de sang. Judith veut désormais aller plus loin et se fait remettre les clefs des trois autres portes.

La troisième porte cache un grand trésor, mais tous les bijoux sont tachés de sang. La quatrième porte s’ouvre sur le jardin secret de Barbe-Bleue, mais les roses sont elles aussi tachées de sang. La curiosité de Judith est à son comble: qui a saigné dans le jardin? Pas de réponse de la part de l’intéressé. Barbe-Bleue est cependant heureux de pouvoir faire rentrer la lumière dans le château, autrement dit, symboliquement, de se confier et s’ouvrir à sa femme. Il la presse alors d’ouvrir la cinquième porte.

La cinquième porte s’ouvre sur un balcon surplombant les domaines de Barbe-Bleue, Judith est impressionnée par tant de grandeur et de puissance. Cependant le ciel se couvre de nuages rouge sang. Judith désire aller plus loin et voir ce qui se cache derrière la sixième porte. Barbe-Bleue refuse. Il pose ici la limite ultime: si sa femme découvre la sixième porte, le château retombera dans l’obscurité.

La curiosité est trop forte, Judith ne résiste pas à la tentation et ouvre la sixième porte. A nouveau un soupir se faire entendre, et tout le château devient sombre. Devant Judith s’étend un lac, et celle-ci demande à son mari d’où provient la source. La réponse est morbide: « des larmes ». Judith devine alors que ces larmes et le sang proviennent de la souffrance des précédentes femmes de Barbe-Bleue.

Judith ne résiste pas non plus à l’ouverture de la dernière porte. Derrière se trouvent les femmes de Barbe-Bleue. Mais celles-ci se retirent et invitent Judith à les suivre. Malgré son opposition, Barbe-Bleue la couronne et la pare de joyaux, puis elle disparaît dans l’obscurité avec les autres femmes. Barbe-Bleue s’en retourne, solitaire, dans la pièce principale.

Chaque porte est ainsi associée à une ambiance musicale particulière, et la tension dramatique augmente au fur et à mesure de l’ouverture de celles-ci.

III/ Présentation de l’extrait du jour : “Cinquième et Sixième Portes”:

L’extrait proposé aujourd’hui se situe à l’ouverture de la cinquième porte. Nous nous trouvons ici à l’acmé (= le moment le plus intense) de l’Opéra. L’ouverture de la porte sur les grands domaines du souverain fait appel à l’ensemble du dispositif orchestral. L’impression de puissance et de grandeur est totale. Mais Judith veut ouvrir la sixième porte. C’est le passage de la lumière à l’obscurité, le franchissement par la femme de la limite fixée par son mari. La musique devient bien plus dramatique, morbide. Barbe-Bleue hurle sans cesse le nom de sa femme, la suppliant de rester raisonnable. Mais Judith est condamnée et les espoirs de Barbe-Bleue retombent au néant. On entend à nouveau un soupire (joué par l’orchestre). Au niveau du style, il s’agit ici d’une œuvre « de jeunesse » de Bartók. On sent encore l’influence de Richard Strauss, compositeur Germanique l’ayant fortement marqué lors de ses études. C’est le début de la maturité du compositeur. Son premier chef d’œuvre.

Il est à noter que l’Opéra est chanté en hongrois. Malgré l’absence de sous-titre, on arrive cependant à situer l’action par rapports aux explications ci-dessus. Je conseille fortement d’aller écouter cette œuvre au concert. La richesse de l’orchestration, la finesse des sonorités et la montée en puissance de l’intrigue dramatique font de cette œuvre une pièce passionnante

(Note d’Alexandre : cela fait très ambiance “Château de Dracula” ne trouvez vous pas? Notez que le prénom du compositeur (“Béla” est le même que celui d’un excellent acteur hongrois des années 30 (Béla Lugosi) qui interprêta le rôle de Dracula dans le film de Tod Browning, un classique du genre. Coïncidence amusante)

IV/ Pour aller plus loin:

Je recommande aussi la découverte des autres œuvres de Bartok, comme ses quatuors à cordes ou les concertos. Le style est agressif, nerveux, très rythmé. Bartok utilise le quatuor ou le piano comme un dispositif percussif. Le tout en se réappropriant les musiques populaires d’Europe de l’Est. Voici pour vous donner une idée un court extrait (3 minutes) des Danses Populaires Roumaines, joué au violon avec accompagnement piano:

Auteur du texte : Pommier du Val

Voilà, j’espère que le Dimanche Desouche Musique du jour vous a intéressé et permis de découvrir un compositeur assez peu connu dans nos contrées. Je remercie Pommier du Val pour son article. A nous deux, nous pourrons continuer cette rubrique plus facilement et elle se poursuivra ainsi en septembre et le reste de l’année scolaire si tout va bien.

Dimanche Desouche Musique vous remercie de votre attention et vous dit à la semaine prochaine! 😀

Alexandre

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