Par Patrick Reymond
La question énergétique est têtue. On croit l’oublier, elle est toujours là. Et elle va se poser pour la question immobilière, avec une prégnance dont les gens n’ont même pas idée. Pendant des siècles, je l’ai dit, la France n’a pu dépasser physiquement le seuil de densité 40. C’était, jusqu’au début du XVIIIème siècle, le seuil où la mortalité et l’absence de subsistance ramenait la population en dessous.
Tout ce qui était cultivé était cultivé, le reste servait à faire paître les bêtes, gardées par les enfants. Au XVIIIème siècle, les petits bergers commencent à lire dans les pâturages les livres populaires. “Littérature de colportage (XVIIème – XIXème siècles) : Bibliothèque bleue, almanachs, gravures, occasionnels.” Note : en réalité, la littérature de colportage est attestée au XVIème siècle (Pierre Miquel, les Guerres de Religion).
On garde en groupe, et on garde jeune. Dès qu’on est en âge de travailler plus dur, on abandonne le gardiennage. Le gardiennage n’est pas exempt de risques. Les troupeaux de moutons, nourrissent les loups. La disparition des espèces médiévales (destinées à la laine) au XIXème siècle tuera les loups, le troupeau passe de 30 à 6 millions de têtes.
Dans ce contexte-là, l’énergie est rare. Le mouton et la chèvre rasent tout. Aussi, un kilomètre carré, c’est très peu de maisons. Une seule abrite plus de 10 personnes. Pas question à l’époque, comme aujourd’hui, de vivre à 2,4 habitants par foyer, pas question d’avoir une pièce à soi, la question est la survie physique. On se concentre pour avoir chaud et passer l’hiver.
Ce n’est pas si lointain : la génération des années 1930 ne connaissait pas les chambres chauffées, il gelait dedans, couettes épaisses, briques assurait l’essentiel. Frères et soeurs dormaient dans les mêmes lits. 3 générations sous le même toit n’était pas une situation anormale.
D’abord, l’indépendance coûtait cher, et il n’y avait pas de logements disponibles.
La France produit une part importante de son énergie en biomasse : 10 millions de TEP (tonnes équivalents pétrole), c’est bien plus qu’au XVIIIème siècle et 7 autres millions de TEP seraient exploitables. On voit la limite du concept. Aujourd’hui, on consomme 280 millions de TEP en France, dont la moitié pour le logement. Il y aura donc un ciseau : la moindre consommation du parc restant, et sa réduction en taille.
Aujourd’hui, dans l’émission “je retourne vivre chez mes parents“, on semble découvrir quelque chose d’extraordinaire. Loin de la sempiternelle rengaine “le besoin structurel de logements…” on assiste à un phénomène économique puissant.
Les générations s’entraident, et la meilleure manière de s’entraider, c’est de partager les frais de structures : le logement.
On voit aussi qu’ils ne manquent guère, mais qu’ils coûtent. Les personnes âgées vivant seules dans de grandes maisons peu ou mal entretenues, ce n’est pas rare. Elles sont RÉELLEMENT PROPRIÉTAIRES souvent, c’est à dire sans dettes, ce que personne ne peut réellement dire en dessous de 60 ans.
C’est la détresse économique qui conduit au rapprochement.
Et on s’aperçoit que les types anthropologiques constituent les freins les plus puissants. “ça ne se fait pas“, “je ne supporte pas” ou au contraire, “ça se fait” et “c’est normal“. Dans certains endroits, l’individu isolé, ça n’existe pas.
Le culte hédoniste de l’individu souffre notablement du manque de revenu. Il présuppose justement l’existence de moyens financiers suffisants. Ce qui n’est plus le cas. Le fil rouge est le chômage pour beaucoup, la baisse d’activité pour les autres, et la maladie pour certains cas.
En effet, même dans la bonne bourgeoisie, il est dur de payer une pension pour une personne atteinte d’Alzheimer. En général tout y passe. Il est donc logique que certains choisissent la garde familiale : la mise au chômage de la personne gardienne y entre souvent en ligne de compte.
Ce qui était “impossible” et “inacceptable” devient subitement plus correct. En réalité, ce mouvement a déjà une bonne vingtaine d’année. Des lignées ouvrières en étaient déjà réduites à garder leurs parents et à vivre sur leurs petites pensions, en échange de la garde et des soins.
On en fait des émissions, quand le phénomène remonte dans l’échelle sociale. Sans doute ces faits sont-ils arrivés à des voisins de la présentatrice surpayée de l’émission. L’architecte sans travail, l’antiquaire qui travaille moins, les parisiens expatriés, qui ne se sont pas aperçus que 700 euros pour une maison, même superbe, c’est beaucoup trop dans certains endroits, et que globalement, 40 000 euros de loyers en 4 ans, c’est exorbitant.
Précision importante : le chômage de beaucoup de personnes est causé par le prix de l’énergie. La société mue sous nos yeux.
Pour tenter d’en préserver l’essentiel, on appuie sur les leviers existants. On essaie de comprimer encore les prix agricoles. Une statistique intéressante est venue des USA. L’énergie + la nourriture représentait 7 % des dépenses des ménages en 2000 et 21 % aujourd’hui.
Comme la marge de manoeuvre des dits ménages est soit inexistante, soit beaucoup plus basse (seuls les 20 % du haut de l’échelle sociale ont pu faire face), la crise immobilière semble une sortie logique.
On taille dans tout ce qu’on peut, et puis on renonce à l’indépendance, en ravalant sa fierté et en mettant son mouchoir dessus.
Les mieux armés pour le changement qui s’ensuit sont donc les propriétaires, mais les VRAIS propriétaires, sans dettes. Leur coût de logement est bas, 10 % des revenus, et ils peuvent investir dans l’amélioration et/ou payer le coût croissant du logement.
On peut donc voir la justesse du concept de lutte des classes. 37,5 % de la population est épargnée par la crise du logement, à contrario, 62,5 % en souffre. Bien entendu, en économie, il existe toujours les limbes. La situation du propriétaire endetté est aussi variable : celui qui doit 100 euros par mois pendant encore 4 ans peut être plus optimiste que celui grevé de 1000 euros pour 25 ans.
La situation sociale des parents aussi est importante. Celui dont les parents sont “nés”, peut bénéficier d’une aide plus conséquente. Il n’y a pas de comparaison possible entre l’architecte seul qui va vivre chez sa mère qui possède une très grande maison, le couple avec enfant qui va vivre dans une maison déjà plus étriquée, et celui qui reste chez ses parents en HLM.
Le film “Tanguy” était marrant, mais Tanguy, c’était un choix ou plutôt une impossibilité de partir, même avec des revenus importants.
Pour la majeure partie des gens, c’est l’absence de revenus qui entre en ligne de compte, ou l’absence de revenus réguliers.
Le point de vue parisianiste m’apparaît particulièrement imbécile. 425 euros ? C’est pas cher, dit on !!! Ca l’est, et c’est bien trop, pour une ville saturée de logements vides !!! Où est donc la bienveillante “main” du marché ??? Où est la régulation ??? Et ce genre de propos est savoureux pour quelqu’un qui n’a pas de revenu…
Conclusion : la cohabitation des générations, qui semblait en voie d’extinction, semble, au contraire, une solution d’avenir.
Bien sûr, il ne faut pas l’embellir, c’est dur. Mais dans une société qui se gargarise du mot “solidarité”, la première s’applique à sa famille. Et si on ne le fait pas pour elle, pour qui le fait-on ?
Ensuite, c’est qu’aujourd’hui, toutes les générations semblent touchées par le phénomène. Récemment, elle n’atteignait que des jeunes, en attente d’insertion professionnelle.
Elle est un partage, sinon de la misère, du moins des temps de dureté économique. Cela, je ne pense pas que nos hommes politiques, férus de politiques anti-sociales et que l’idée d’équilibre des budgets démange, l’aient compris.
400 000 personnes qui retournent en cohabitation, ça fait du bruit, mais ce n’est qu’un début. Si le chiffre passe à 800 000, 2, 3, 4 ou 6 millions de personnes, on passe dans une autre société, avec un effondrement de l’immobilier en prime.
Ce passage me semble, pour des raisons énergétiques, inévitable. Mais tout est dans la manière d’assurer la transition…