Le docteur Marc Faber, surnommé “Marc Faber” (Cassandre) est le rédacteur du célèbre bulletin Gloom Boom & Doom, une publication mensuelle financière se fondant sur des tendances économiques, sociales et historiques, et faisant part d’opportunités d’investissement sortant des sentiers battus, en particulier dans des secteurs délaissés mais ayant la capacité de rebondir.
Connu pour son approche contrarienne (investisseur allant à contre-courant de la tendance), il a prédit en février des temps difficiles pour l’économie américaine et a suggéré d’acquérir de l’or et des propriétés à la campagne.
Les investisseurs sont actuellement déboussolés et ne savent pas dans quels types d’actifs investir. Pourriez-vous nous livrer quelques pistes d’investissement ?
Je recommanderais à un riche particulier, qui aurait 100 millions de dollars à investir, de faire la part belle à l’immobilier asiatique, pouvant représenter entre 25% et 30% de son portefeuille, et aux actions, à hauteur de 25%. Les marchés boursiers émergents, notamment asiatiques, sont à privilégier. Alors que de nombreux pays émergents franchissent le seuil du développement, les marchés dits “frontière” [idée de “front pionnier”, NDLR] offrent beaucoup de potentiel. En Chine, le décollage économique des régions rurales a pris le relais du développement côtier. De même, je vois un potentiel important pour la Mongolie, qui s’est ouverte au Monde après l’effondrement de l’Union soviétique en 1989, et fait des étincelles depuis cinq ans.
Le pays, avec ses 2,5 millions d’habitants seulement, son territoire immense et ses ressources abondantes, a les atouts pour devenir l’Arabie saoudite de l’Asie. Dans le désert de Gobi, il y a beaucoup d’or, de charbon, de cuivre, et de nombreux gisements devraient être découverts à l’avenir. Oulan Bator veut développer les mines du pays, attirer les capitaux étrangers,… Outre l’immobilier asiatique et les actions, je conseillerais aussi à un riche investisseur d’accumuler progressivement de l’or, pouvant représenter entre 10% et 15% de ses avoirs, des obligations d’entreprises à hauteur de 20% et un certain volant de liquidités. Mais s’il ne devait choisir qu’un placement à horizon 2020, il devrait sélectionner l’or.
Dans l’univers des actions, quels secteurs et quels régions faut-il privilégier ?
Il faut se concentrer sur les entreprises versant des dividendes confortables, dans des métiers peu cycliques. Comme les biens de consommation, les services aux collectivités, l’énergie et les banques, deux secteurs très porteurs en Asie, la distribution et les valeurs foncières. Il faut surpondérer les pays émergents, dont la production de biens représente déjà plus de 50% de celle de la planète. On pourra s’intéresser à l’Asie centrale et à la Russie. Même si une correction n’est pas exclue sur les marchés actions émergents au cours des prochains mois, la tendance reste très positive à long terme.
Vous avez récemment évoqué un risque de krach en Chine…
Il y a des signes de ralentissement en Chine et on ne peut pas exclure un krach. La bulle immobilière menace d’éclater. Une chute brutale des prix du foncier aurait un impact majeur sur la croissance du pays.
Le marché indien est-il plus attrayant ?
Oui. La croissance chinoise va progressivement s’affaiblir et les perspectives inflationnistes amputeront la rentabilité des actions, alors que les valeurs indiennes offrent beaucoup de potentiel à long terme. Le sous-continent est très riche en ressources naturelles et dispose d’une large population, avec l’émergence d’une classe moyenne d’envergure, et certaines sociétés du pays sont très bien gérées. Les entreprises indiennes sont plus fiables et plus faciles à analyser que leurs homologues de l’Empire du Milieu, qui sont relativement peu transparentes. Les actions cotées à Bombay [Mumbai, NDLR] constituent ainsi un pari incontournable pour le long terme, même si leur valorisation est un peu tendue actuellement.
Quelles sont les perspectives des indices actions américains ?
L’indice large S&P 500 et des compartiments leaders comme les financières, les pharmaceutiques, les technologiques et l’énergie, qui représentent une part prépondérante de la capitalisation boursière du marché américain, sont passés sous leurs moyennes mobiles à 200 jours [moyenne des clôtures des 200 dernières séances, NDLR].
Indice S&P 500 et sa moyenne mobile à 200 jours (courbe bleue)
Un signal assez négatif, et je ne serais pas étonné qu’après une phase de hausse ce mois-ci, le S&P 500 se replie jusqu’à fin octobre ou novembre, à des niveaux qui offriront des opportunités d’achat. L’économie mondiale va continuer de ralentir, particulièrement dans les pays occidentaux, mais si les indices tombent trop bas, il y aura de nouvelles mesures de soutien gouvernementales massives, car la Fed ne peut pas se permettre une trop forte dévalorisation des actifs, qui fragiliserait les bilans des banques. En tout état de cause, mieux vaut être positionné sur des matières premières, de l’immobilier ou des actions que sur des obligations souveraines qui ne rapportent presque rien ou des liquidités. Avec le cash rémunéré près de 0%, un investisseur prend des risques, d’autant plus que le pouvoir d’achat des liquidités va progressivement se détériorer !
Évolution du taux directeur de la Réserve fédérale
Pour la décennie 2010, le potentiel des bons du trésor est très limité.
Quels risques pèsent sur l’économie américaine ?
Ce qui m’inquiète, c’est que la faiblesse de l’économie se traduira par des déficits budgétaires élevés outre-atlantique, surtout avec Barack Obama comme président. Il est probable que les déficits restent importants et que la dette continue d’enfler, jusqu’au point où le poids des intérêts devienne insupportable.
Charge d’intérêt de la dette publique américaine, en pourcentage des revenus du pays
La dette totale [dette publique et privée, NDLR] des États-Unis représente déjà 375% de son produit intérieur brut, contre 140% au début des années 1980.
Dette publique américaine, en pourcentage du produit intérieur brut
Chaque fois que l’État est venu à la rescousse des marchés et de la croissance, cela s’est traduit par la formation de nouveaux excès, de nouvelles bulles… et une dégradation de la situation financière du pays. Le remède est pire que le mal.
Crises et évolution de l’indice S&P 500
Capital.fr : Quelles valeurs refuge un investisseur doit-il détenir, comme police d’assurance en cas de scénario catastrophe ?
Je recommande la détention d’or, d’argent, de propriétés à la campagne, de terres agricoles et de plantations. Le métal jaune pourrait ponctuellement chuter à 950 dollars, mais je continue d’accumuler.
L’or reste donc sous-évalué, après avoir gagné près de 400% en une décennie…
Le prix de l’or avait bien été multiplié par 25 dans les années 1970, donc une multiplication par 5 à partir des niveaux très déprimés de 1999-2000 n’a rien d’aberrant. Et compte tenu de la dégradation inquiétante de la situation financière des États sur la période, on pourrait même estimer que les cours du métal jaune sont plus attractifs aujourd’hui qu’il y a dix ans… Pour l’heure, seule une minorité d’investisseurs détient des lingots, ce qui laisse la porte ouverte à une poursuite durable de la hausse des cours.
Certains intervenants ont récemment évoqué un scénario de déflation. Pourtant, le fonctionnement à plein régime de la planche à billets et l’envolée des cours des céréales devraient se traduire par des tensions inflationnistes…
Les pressions inflationnistes dans les pays émergents, l’augmentation du coût de la santé, le renchérissement des denrées et l’impression massive de billets par la Fed finiront par pousser les prix vers le haut. Même si la déflation arrive, elle favorisera le lancement de nouvelles mesures de soutien et un recours accru à la planche à billets, et c’est donc l’inflation qui finira par s’installer. Plus de stimuli à la croissance est la dernière chose dont les économies occidentales ont besoin, mais pourtant elles ne s’en privent pas, les gouvernements des pays riches ayant une approche très keynésienne [soutien prioritaire des autorités à l’emploi et à la demande, NDLR]. Une telle dérive conduira à la faillite des États-Unis et d’autres pays riches. Les taux d’intérêt devraient tendanciellement monter pendant les années 2010, une anticipation cohérente avec l’analyse des cycles de Kondratieff [cycles de 54 ans environ sur les prix, découverts par un économiste russe, NDLR].
Quel est votre scénario pour le dollar ?
Washington souhaite un affaiblissement du billet vert pour soutenir la croissance. A plus court terme, la parité reste inscrite au sein d’un trading range [couloir de fluctuations, NDLR], entre 1,20 et 1,30 dollar pour un euro.
Évolution de la parité euro/dollar
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à plus long terme, le dollar, l’euro et les autres devises papier se déprécieront face à l’or et l’argent.
Quelles sont les perspectives des matières premières ?
Le cacao a été très bien orienté ces dernières années, tout comme le café au premier semestre, et cet été, les céréales ont pris le relais, à l’image du blé. Je suis positif sur ce dernier compartiment, riz compris.
Vous avez récemment évoqué des risques géopolitiques majeurs…
Les risques géopolitiques hypothèquent le secteur financier. Face à la puissance américaine, la Chine s’affirme de plus en plus comme un acteur incontournable, ce qui génère des tensions entre les deux géants. Je suis inquiet car un jour il faudra faire face à de graves pénuries et à des problèmes d’approvisionnement en matières premières…
Consommation d’eau par région