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Capitaine d’un navire négrier, William Snelgrave est un acteur de la traite transatlantique au début du XVIII ème siècle ; de plus, il se trouve entraîné en 1727 à l’intérieur des terres et peut observer, chose exceptionnelle pour un Européen, le déroulement des guerres entre royaumes africains ; c’est un témoin de première main de la chute du royaume de Juda et de la naissance du royaume du Dahomey (aujourd’hui le Bénin).

A l’époque de Snelgrave, la traite négrière commence en général sur une portion du Golfe de Guinée appelée alors Côte des Esclaves, et comprenant les régions côtières des actuels Bénin et Togo, ainsi qu’une portion du Nigéria.

Snelgrave appelle le pays Juda, et sa capitale Sabée (aujourd’hui en principe Ouidah ; ou à la rigueur Savi ; il semblerait que le pays et sa capitale aient tendance à échanger parfois leurs noms de Juda/Ouidah et de Sabée/Savi). La présence européenne y est ancienne :

Le roi y accordait aux Européens des maisons commodes pour faire leurs comptoirs. Il prenait sous sa protection nos personnes et nos biens, et, lorsque nous avions fini nos affaires, il nous était permis de nous retirer sans avoir rien à craindre. La rade où les vaisseaux mouillaient était un port franc pour toutes les nations de l’Europe qui allaient dans ces quartiers là pour faire le commerce des nègres.”

Cependant, les Européens ne pénètrent pas à l’intérieur des terres, où ils redoutent de se rendre et où ils ne sont pas désirés. Là où la traite est le plus active, ils ont des comptoirs en bord de mer et même de petits forts construits en terre. Là où elle est moins organisée, ils essaient de traiter sans descendre de leur bateau. Il n’est pas question qu’ils opèrent des razzias, le rapport de force ne le permet absolument pas. Ils sont en bout de chaîne, prenant livraison de captifs dont l’histoire antérieure leur est étrangère.

En 1727, lors de l’invasion de Juda par le puissant royaume voisin du Dahomey, qui recherche un accès à la mer et aux profits de la traite, Snelgrave est sur place et, comme tous les Blancs, il ne sait trop que faire face à la situation. Il est tiré de ses hésitations par l’arrivée d’un émissaire du roi de Dahomey, qui lui dit en bon anglais “que Sa Majesté, ayant été informée qu’il était arrivé un navire anglais dans la rade de Juda, elle lui avait ordonné d’y aller inviter le capitaine à se rendre à son camp, qui était environ à quarante milles, directement au centre du pays …”

L’invitation enchante peu Snelgrave. En temps normal, déjà, les Blancs restent sur la côte. Alors, en temps de guerre … Il tente une manoeuvre dilatoire … mais son interlocuteur lui fait comprendre que les conséquences d’un refus seraient lourdes. Voilà donc Snelgrave et d’autres personnes obligées de se rendre au camp du roi de Dahomey, ce qui nous offre un reportage exceptionnel sur le camp d’un roi africain en guerre à cette époque.

Sacrifices humains par centaines, anthropophagie à grande échelle … le récit de Snelgrave donne froid dans le dos.

Mais restons encore un moment en compagnie du redoutable roi de Dahomey, avec qui Snelgrave a à discuter des conditions de la traite. Il fait savoir que “quoique conquérant, il ne voulait point exiger de plus haut droits que ceux que l’on avait coutume de payer au roi de Juda”. Snelgrave répond qu’il espère que Sa Majesté, étant un plus grand prince, aura la bonté de se contenter de moins. De façon surprenante, Sa Majesté accepte, avec en plus un trait d’esprit : elle souligne que “comme j’étais le premier capitaine anglais qu’elle eût vu, elle voulait me traiter en nouvelle épouse, à qui on ne refuse rien dans les commencements.”

Capitaine William Snelgrave, Journal d’un négrier au XVIII ème siècle ; Gallimard, collection Témoins ; mars 2008 ; première édition en 1734 en Angleterre.

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