Est-ce le titre d’une tribune de Bernard Thibault, François Chérèque ou Jean-Claude Mailly? Pas du tout. Cette chronique est parue dans le Washington Post, sous la signature d’Ezra Klein. Le jeune journaliste américain nous permet de mesurer que le débat sur l’âge de la retraite est loin d’être franco-français.
«Il y a beaucoup de choses que le Congrès ne sait pas en ce moment. Que faire au sujet des emplois, par exemple. Qui va diriger la Chambre en janvier. Comment faire pour équilibrer le budget. Mais il y a une chose sur laquelle les deux partis semblent de plus en plus d’accord: vous devriez travailler plus longtemps.»
Outre-Atlantique, le raisonnement est le même qu’en France: les gens vivent plus longtemps, il est donc logique qu’ils travaillent plus longtemps. Mais, pour Ezra Klein, ce n’est peut-être pas si «logique». Il relève que ce point de vue est partagé par les hommes politiques –qui aiment leur travail et ne veulent pas s’arrêter – et les journalistes et chroniqueurs – qui aiment leur métier et ne veulent pas s’arrêter.
«Mais la plupart des gens ne travaillent pas au Congrès ou dans les médias. Ils travaillent sur leurs pieds. Ils en ont plein le dos. Ils s’ennuient ferme à la fin de leur journée. Au moment où ils sont atteignent 60 ans, ils veulent prendre leur retraite.»
Aux États-Unis, les salariés perçoivent une retraite par le biais du régime de base, baptisé Social Security, qu’ils complètent notamment avec des régimes professionnels.
Mais le régime de base est majoritaire, il concerne 90% des retraités américains. Depuis la réforme de 1983 menée sous Ronald Reagan par Alan Greenspan, avant qu’il ne dirige la Fed, l’âge de la retraite à taux plein a été relevé progressivement. Pierre-Yves Dugua, sur son blog, expliquait en juin:
«Aujourd’hui un Américain à partir de 62 ans peut toujours prendre sa retraite. Mais il ne percevra qu’une partie de sa pension au titre de “Social Security”. Plus il diffère sa retraite, plus sa pension sera élevée. En 2026, l’âge à partir duquel l’Américain pourra profiter de 100% de cette pension publique sera de 67 ans.»
Le régime américain est également confronté à un manque de ressources. Mais, explique Klein, «le problème n’est pas que la Social Security dépense trop d’argent ou que nous vivions trop longtemps. Le problème, c’est que nous n’avons pas assez d’enfants (ou pas assez d’immigrants)». Le chroniqueur chiffre le coût du sauvetage du système: 0,7% du PIB jusqu’en 2035. Soit «à peu près ce que coûteront les coupes dans les impôts pour les riches accordées par George W. Bush sur la même période».
Surtout, Ezra Klein contredit l’évidence qui voudrait que tous les Américains vivent plus longtemps. Il compare l’espérance de vie en 1935 (date de la création de Social Security) et de nos jours.
«Si vous étiez un homme blanc de 60 ans en 1935, vous pouviez espérer vivre 15 ans de plus. Si vous êtes un homme blanc de 60 ans aujourd’hui, vous pouvez espérer vivre 20 ans de plus.»
Et le système reflète les inégalités sociales:
«En 1972, un travailleur de 60 ans de sexe masculin qui gagnait moins que le revenu médian avait une espérance de vie de 78 ans. En 2001, il avait une espérance de vie de 80 ans. Pendant ce temps, les travailleurs situés dans la tranche supérieure passaient de 79 ans à 85 ans. Dans la mesure où l’argument de relever l’âge de la retraite est que “les bénéficiaires de la sécurité sociale vivent beaucoup plus longtemps aujourd’hui qu’en 1935“, il devrait être reformulé ainsi: “les bénéficiaires de Social Security ont tendance à vivre un peu plus aujourd’hui qu’ils ne le faisaient en 1935, et c’est beaucoup plus vrai pour les bénéficiaires riches que pour les pauvres”.»