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Je vous présente un article spécialement rédigé pour les 1000 ans de l’abbaye de Cluny, en ce samedi 11 septembre 2010. – Mistinguette

Auteur: Frankie Crisp

L’ABBAYE DE CLUNY

Bonjour chers lecteurs, aujourd’hui il sera question d’histoire religieuse ; plus précisément de la naissance, de la vie et de la mort d’une abbaye célèbre dont on va peut-être (?) entendre parler prochainement. Le 11 septembre prochain sera en effet le 1100e anniversaire de la fondation de Cluny, une bonne occasion pour consacrer un article à cette abbaye de première importance, symbole du renouveau du monachisme au Xe siècle et véritable capitale spirituelle en Occident du XIe au XIIIe siècle.

I. Fondation et expansion

C’est le 11 septembre 909 ou 910 que Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, comte de Mâcon et de Bourges, signe l’acte de fondation d’un établissement bénédictin en Bourgogne du sud, sur ses terres. Douze moines s’installent sur ces terres placées sous la protection des apôtres Pierre et Paul. Le don est fait à l’Eglise romaine : le Saint-Siège a la charge de protéger l’ensemble, Guillaume renonçant même à tous ses droits sur la fondation. Cette indépendance est renforcée en 932 par l’exemption du pape, disposition qui permet de soustraire l’abbaye à toute autre autorité que celle de la papauté : « Que l’Eglise de Cluny soit affranchie de la domination des rois, des évêques, des comtes, ou même de tout parent du duc Guillaume » (Jean XI).

Le premier abbé de Cluny, Bernon (909-926), est nommé par le duc qui prévoit l’élection libre des futurs abbés. Les premiers qui se succèdent sont des hommes d’une grande valeur : Odon (927-942), Aimar (942-954), Mayeul (963-994), Odilon (994-1049) et Hugues de Semur (1049-1109). Odon agglomère à Cluny d’autres monastères grâce au droit de réforme octroyé en 932 par le pape Jean XI, qui permet à l’abbé de prendre la direction de tout autre monastère souhaitant suivre ses préceptes. Aimar et Mayeul font de Cluny un véritable ordre en consolidant les liens attachant l’abbaye-mère et les monastères affiliés.

Pour l’anecdote, Mayeul est fait prisonnier par les Sarrasins en 972 alors qu’il passe les Alpes, ce qui provoque une intense émotion en Occident. Il est libéré en échange d’une rançon de mille livres d’argent. En guise de représailles, Guillaume, comte de Provence, détruit le repaire musulman de Fraxinetum (commune actuelle de  la Garde-Freinet), dans le massif des Maures et obtient le surnom de « Guillaume le Libérateur ».

Odilon, qui exerce un très long abbatiat de 55 ans, adapte l’abbaye à la féodalité en prenant en main le mouvement de la Paix de Dieu, qui condamne la violence à l’égard des paysans et des clercs (sous peine d’excommunication), et, plus tard, la Trêve de Dieu, qui interdit l’usage des armes du jeudi au dimanche ainsi que lors des grandes fêtes liturgiques (l’Avent, Noël, le Carême, Pâques, etc.). A la mort d’Odilon, Cluny compte 70 établissements. Sous Hugues de Semur, les fondations nouvelles et adhésions d’abbayes se multiplient. Cluny essaime surtout en France, Lombardie, Espagne et Angleterre ; mais le réseau s’étend jusqu’en Pologne.

La règle bénédictine, régissant l’abbaye, prévoit une équilibre entre prière, travail et repos. Mais à Cluny, l’activité religieuse tient une place de premier ordre. Les célébrations pour les morts (anciens moines ou abbés, donateurs) sont particulièrement importantes. Ceux qui font des donations à l’ordre clunisien bénéficient de l’oraison perpétuelle des moines pour leur repos éternel. C’est d’ailleurs Odilon qui instaure vers 1030 la fête des Morts, toujours célébrée de nos jours, le 2 novembre.

Moines de Cluny

Les moines de Cluny étaient habillés en noir (miniature du XVe s.)

II. Rayonnement

Au XIe siècle, le réseau clunisien regroupe pas moins de 1000 monastères et 10 000 moines (dont 500 à Cluny) sous la conduite de l’abbaye-mère. Cluny est devenue une ville conséquente, dont l’abbé est le seigneur, grâce à l’importante communauté de laïcs s’étant installés à proximité. Le lieu reçoit un nombre de plus en plus grand de visiteurs, devenant un lieu de pèlerinage éminent du fait entre autres d’une très remarquable collection de reliques.

Les abbatiales dites de « Cluny I » et de « Cluny II » sont devenues trop petites pour accueillir tous les moines. C’est alors que l’abbé Hugues de Sémur commence en 1085 l’édification de la plus grande église médiévale d’Occident : Cluny III. A l’origine de cette construction se trouverait une vision d’un moine âgé, Gunzo. Celui-ci aurait aperçu en songe saint Pierre, saint Paul et saint Etienne en train de délimiter l’emplacement d’un nouveau sanctuaire à Cluny. Ils demandent à Gunzo de convaincre l’abbé, Hugues de Sémur, de la nécessité de construire cette nouvelle église. A son réveil, Gunzo relate son rêve à Hugues et réussit à  le persuader de lancer un nouveau grand chantier.

La nouvelle abbatiale (Cluny III) est dotée des dimensions exceptionnelles de 187 mètres sur 38,50 mètres, avec un décor intérieur somptueux composé de nombreuses sculptures, fresques ou rosaces.

Les Clunisiens sont particulièrement attachés au raffinement et aux cérémonies grandioses : l’or, l’encens et les chants sont omniprésents. Le culte des saints prend rapidement de l’ampleur ; celui de saint Pierre et saint Paul bien évidemment, patrons de l’abbaye, mais aussi saint Marcel, saint Jean l’Evangéliste, saint Martin, saint Jacques, sainte Marie-Madeleine et la Vierge Marie. Au début du XIIe s’effectue une distinction entre les profès, qui se consacrent entièrement à Dieu, et les convers, chargés des tâches matérielles.

L’abbaye est aussi un foyer culturel et intellectuel d’importance disposant de la plus riche bibliothèque d’Occident après celle du Mont-Cassin ; outre les livres religieux, on y trouve un nombre considérable d’œuvres classiques, telles celles de Tite-Live, Cicéron ou Ovide, mais aussi des livres de médecine ou de musique. Les abbés sont parfois auteurs (Odon écrit une Vie de Géraud d’Aurillac). Un certain nombre de personnages importants du Moyen Âge sont issus de l’abbaye, tel le pape Urbain II. Pierre le Vénérable, abbé de 1122 à 1156, est connu pour avoir fait le traduire le Coran en latin afin de combattre les musulmans non plus seulement sur le terrain militaire mais aussi sur le terrain intellectuel.

Cluny, désignée comme la seconde Rome, prend l’image d’une capitale. L’abbé, devenue la seconde figure spirituelle de la Chrétienté après le pape, devient un conseiller et médiateur dans l’ensemble de l’Occident, comme dans le conflit qui oppose Henri IV, empereur du Saint Empire, et le pape Grégoire VII (Querelle des Investitures).

Abbaye de ClunyReconstitution de la grande abbatiale.

III. Chute et mort

A la toute fin du XIe siècle apparaissent de nouveaux ordres monastiques prônant une forme de vie nouvelle caractérisée par l’austérité, la pauvreté et la renonciation au monde, en réaction à l’éclat clunisien. La Grande Chartreuse est fondée en 1084 par Bruno de Cologne, Cîteaux en 1098 par Robert de Molesme, Fontevraud en 1101 par Robert d’Arbrissel (abbaye qui sera la nécropole d’Aliénor d’Aquitaine, d’Henri II Plantagenêts et de Richard Coeur de Lion). Les moines cisterciens et les clunisiens entrent en conflit à plusieurs reprises sur les questions relatives à la vie monastique. Les dons se font plus rares et moins importants. Le déclin commence, bien qu’il soit très lent : jusqu’au XVe siècle, l’abbaye demeure riche et puissante.

C’est au début du XVIe siècle que le déclin est accéléré par la nomination de personnages médiocres, ne venant d’ailleurs que rarement à Cluny, préférant être à la Cour du roi. On retrouve plusieurs membres de la puissante famille de Guise, laquelle voit avant tout dans la charge d’abbé une source importante de revenus. Durant des guerres de religion (1559-1598), Cluny est pillée par les huguenots à deux reprises : en 1563 et en 1575.

Au cours du XVIIe siècle, Cluny connaît néanmoins des abbés de haut rang comme Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1629-1642), Armand de Bourbon, prince de Conti et fils du prince de Condé (1642-1654) ou Jules, cardinal de Mazarin (1654-1661). Sous Richelieu est introduite la réforme dite de « saint-Maur », aussi appelée l’ « étroite observance », en référence à la « Stricte Observance » au XIVe siècle. Elle vise à réinstaurer davantage de rigueur dans la vie monastique. Cependant, elle ne remporte pas l’adhésion de la communauté entière (impact donc limité).

Dernier abbé de Cluny

Dominique de La Rochefoucault, dernier abbé de Cluny.

En 1757, Dominique de La Rochefoucault accède à la charge d’abbé suite à la mort de son oncle, l’abbé précédent. Il s’agit du dernier abbé de Cluny, avant la Révolution française. Ce n’est qu’en 1788 que triomphe la réforme de l’ « étroite observance » et qu’est mis en place un ambitieux programme de construction et d’embellissement visant à redorer le blason clunisien. Malheureusement, il est trop tard : 1789 vient ruiner tous ces projets. Le 13 février 1790, les communautés religieuses sont dissoutes par décret de la Constituante ; en 1791 les 40 derniers moines de l’abbaye sont expulsés et leurs biens confisqués. Dix d’entre eux seront déportés à l’île de Ré. L’abbé émigre en Allemagne où il meurt en 1800.

Le mobilier, les tombeaux et mausolées sont endommagés ou détruits par les révolutionnaires. La vente des bâtiments est prononcée par l’Etat le 21 avril 1798. L’église abbatiale (Cluny III) est quasiment entièrement démolie.

Vente de matériaux Abbaye de Cluny

Affiche de vente, 1804.

Sources :

– Jean-Denis Salvèque. L’abbaye de Cluny. 2001.
– Jean Chélini. Histoire religieuse de l’Occident médiéval. 1997.

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