Le pistou est entré dans le patrimoine culinaire de Nice au Moyen-Age, quand cette ville était gênoise. En effet, il n’y a pas de différence majeure entre le pistou niçois et le pesto gênois, si ce n’est que le second comprend des pignons alors que le premier n’en contient pas.
C’est aussi un vrai plat de nos ancêtres, un de ceux qui nous fait remonter le temps le plus loin, avant que Christophe Colomb ait découvert l’Amérique, à la dure époque où les pâtes devaient vivre leur vie sans la sauce tomate. Le bon plat de pâtes qui arrivait sur la table attirait alors les applaudissements par sa belle couleur verte, et non rouge. Le pistou aromatise aussi une somptueuse soupe aux légumes. Nous allons commencer par nous intéresser à la sauce, c’est à dire au pistou proprement dit. Puis, nous verrons les pâtes et la soupe dont il est le complément indissociable.
La confection du pistou
La vidéo indique bien le procédé :
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Pour les jours où l’on n’a pas le temps, sachez qu’il existe d’excellentes conserves de pesto genovese au supermarché mais chu … u …t ! Je ne vous ai rien dit. Je ne vous ai jamais vus. Pour les jours où on a le temps, il est recommandable de réaliser la recette soi-même pour être certain que le cuisinier n’a pas lésiné sur les éléments un peu chers (pignons, parmesan) mais indispensables pour apporter protéines et minéraux quand les pâtes ou la soupe au pistou sont mangées en plat unique végétarien.
La possibilité de faire varier les ingrédients stimule la créativité des cuisiniers. Voici une recette remplaçant les pignons par des noisettes. Celle-ci est aux pistaches. Celle-là aux noix. Cette quatrième aux amandes. Noisettes et amandes peuvent aisément subir une pré-germination (suffisante pour réveiller la graine de son sommeil et démultiplier ses éléments nutritifs) si on les fait tremper douze heures dans de l’eau (du moment qu’une graine se gonfle d’eau, c’est qu’elle reprend vie). Cette opération permet en outre d’en retirer facilement la peau brune, qui serait d’un effet peu esthétique dans le pistou.
Le pecorino peut remplacer le parmesan, mais franchement, ce n’est pas économique. Tout autre fromage à pâte dure peut aussi convenir.
Si c’est le basilic qui vous manque, voici une recette à la roquette. Une au cresson. Une aux épinards. Une à la coriandre. Ces deux là, au persil, ou celle là, aux fanes de radis, sont sans doute celles que votre porte-monnaie préférera.
Ces variantes ne doivent pas choquer celui qui sait ce qu’est un vrai plat du terroir. C’est d’abord un plat qui utilise des ingrédients facilement disponibles autour de soi ; la cuisinière (c’est rarement un cuisinier) d’autrefois a un petit budget et pas de circuits amenant chez elle des produits du bout du monde ; elle s’attache à réaliser pour les siens un bon plat de pauvres (nos graines et nos herbes seront toujours moins chères qu’un morceau de viande) apportant quand même quantité de bons éléments nutritifs. Donc, la VRAIE soupe au pistou peut varier dans ses légumes, mais c’est un plat principal et non une entrée ; et les VRAIES pâtes au pistou sont un plat végétarien et non l’accompagnement d’une viande. A part ça, la composition détaillée du pistou varie à l’infini en fonction des ingrédients offerts par le temps et le lieu.
C’est par erreur que nous percevons le pistou comme un plat très localisé dans les pays du basilic, des pins maritimes et de leurs pignons (Nice, Gênes) ; en réalité, les pommades aux herbes étaient une recette de base pour les sauces avant l’arrivée de la tomate. Dans l’aire française, le pistou est surtout centré sur Nice, mais peut déborder au nord dans des pays alpins où les noix sont plus disponibles que les pignons (le résultat, un peu amer, n’est pas la meilleure des recettes de pistou, mais il est historiquement légitime). En Italie, ces pommades étaient présentes du nord au sud et de janvier à décembre. A Gênes, quand ce n’était pas la saison du basilic, on mangeait quand même, et le pesto d’inverno était aux épinards (l’habitude d’associer les épinards aux pâtes est restée, mais aujourd’hui, ils sont intégrés à la pâte même et la verdissent). En Sicile, les pistaches s’imposaient, et les recettes de pesto qui les utilisent égalent en prestige, pour les gourmets connaisseurs, le pesto au basilic, et leur prix atteint des sommets dans les épiceries fines.
Le pistou accompagne principalement les pâtes ou la soupe. On l’ajoute au moment de servir, sans jamais le faire cuire.
Les pâtes au pistou
Elles sont de préférence longues et un peu plates, linguine ou tagliatelles. Les spaghettis prennent moins bien la sauce.
Une petite pomme de terre coupée très fine dans l’eau de cuisson des pâtes est un secret que je n’oserais vous livrer (je vous rappelle, comme déjà dit plus haut, qu’on ne s’est jamais vu). Cela donne beaucoup de moelleux. Chez nous, le découpage de la pomme de terre était un grand moment. Il avait déjà en soi quelque chose de transgressif, puisqu’une petite pomme de terre cuit normalement en 25 minutes, et les tagliatelles en dix. Pour les faire cuire dans la même eau, et pendant la même durée, il faut un peu tricher avec la nature, ce qui ne peut se faire sans commentaires dans la cuisine. On va donc, pour en réduire le temps de cuisson, couper la pomme de terre en tranches fines, fines, fines. Et chacune de surenchérir : aussi fines que du papier à cigarettes. Le couteau le plus aiguisé du tiroir s’impose ! Et, si un enfant veut se lancer dans l’exercice, l’oeil de la cuisinière en titre surveillera chaque tranche. L’enfant, déjà équipé du couteau-pour-adultes, est conscient de ses responsabilités, et veille à ce qu’aucune tranche ne dépasse le demi-millimètre d’épaisseur …
La soupe au pistou
La soupe au pistou niçoise n’est pas fondamentalement différente du minestrone italien. Elle comprend des légumes d’été (tomates, courgettes, haricots verts par exemple) ainsi que des féculents qui donneront beaucoup d’onctueux en prenant bien la sauce : haricots en grains, pommes de terre et pâtes.
Bien entendu, chacun a son avis sur ce qu’est la “vraie” soupe au pistou, et, bien entendu, ces prétentions sont injustifiées et la recette a évolué dans le temps. Elle était autrefois plus simple, adaptée à des budgets plus faibles.
En 1897, Reboul, auteur de La cuisinière provençale, proposait une recette avec trois légumes seulement :
« Cette soupe, d’origine génoise, n’est guère en faveur qu’en Provence ; l’usage en est même très restreint. Mettez dans une marmite deux litres d’eau avec 1/2 kilo de haricots verts coupés en petits dés, 3 ou 4 pommes de terre émincées, 2 tomates épluchées et hachées ; assaisonnez et laissez cuire. Aux trois quarts de la cuisson, ajouter 500 g de gros vermicelle et laissez finir de cuire, mais très doucement, afin qu’elle n’attache pas au fond, car cette soupe doit être très épaisse. Au moment de servir, pilez 2 ou 3 gousses d’ail avec une branche de basilic, arrosez de 3 ou 4 cuillères d’huile d’olive, en tournant comme pour former un aïoli clair : délayez cette composition avec 2 cuillères de la soupe, mettez-la ensuite dans la soupière avec une poignée de fromage râpé en bien remuant. »
Nettement plus riche, voici la recette de Paul Bocuse.
Cette recette-ci correspond assez bien à la façon dont on fait couramment la soupe au pistou aujourd’hui.