Invectives, menaces et interventions unilatérales : sur le marché des changes, le règne du chacun pour soi est en passe de dégénérer en guerre des monnaies.
Le Japon a donné le ton. Personne ne croyait l’Archipel vraiment prêt à passer à l’acte pour freiner l’envolée du yen. Et encore moins après la réélection à la tête du gouvernement nippon, mardi 14 septembre, de Naoto Kan, jugé plus attentiste que son rival Ichiro Ozawa. Qu’à cela ne tienne : la banque centrale (BOJ) a lancé, mercredi, une vente massive de yens sur plusieurs marchés des changes, à Tokyo, Londres et New York.
Du jamais vu depuis 2004, et pour un montant inégalé dans l’histoire de l’institut d’émission, soit près de 20 milliards d’achats de dollars contre yens (16 milliards d’euros). Le coup de force s’est révélé payant.
Alors qu’elle touchait aux plus hauts depuis quinze ans face au billet vert, la devise nippone a fortement reflué et se traitait vendredi à 85,85 yens pour un dollar.
Une opération efficace donc, mais pas franchement du goût des partenaires du Japon. L’Europe ne s’est pas privée de le faire savoir. “ Il est clair que nous n’aimons pas le comportement des Japonais. Nous n’aimons pas (…) les interventions unilatérales, ” a déclaré le chef de file des ministres des finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker, jugeant l’opération “ malvenue. “
Washington, de son côté, a refusé de commenter l’événement. Mais, à n’en pas douter, l’initiative de Tokyo tombe au plus mal, au moment où les États-Unis intensifient leur pression sur la Chine pour la pousser à laisser s’apprécier le yuan. Comment convaincre Pékin d’être moins actif sur le marché des changes si le Japon se met à son tour à “ manipuler ” sa devise ?
Le secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, n’en a pas pour autant renoncé à hausser le ton contre la Chine, jeudi, lors d’une audition devant la commission bancaire du Sénat. L’accusant de “ maintenir un taux de change rigide, ” un refrain déjà maintes fois entonné, il l’a menacée de porter l’affaire devant le G20.
Duperie ou geste de conciliation ? Depuis que Pékin s’est engagé, en juin, à assouplir les règles de fluctuation de sa monnaie, ce sont ces sept derniers jours que le yuan a connu sa plus forte progression. Il s’établissait, vendredi, à 6,7172 yuans pour un dollar, son plus haut niveau historique. Mais, à Washington comme à Bruxelles, le verdict est le même : le renminbi est “ toujours sous-évalué. “
La scène monétaire internationale a donc des airs de veillée d’armes. “ Quand l’économie mondiale vacillait en 2008, les grands dirigeants avaient fait le serment de ne pas répéter les erreurs des années 1930 en évitant le protectionnisme et les interventions sur le marché des devises, rappellent les analystes de la Société générale dans une note publiée vendredi. Mais cet esprit de coopération internationale est en train de disparaître à toute allure. “
Cette atmosphère belliqueuse se nourrit du contexte économique. La reprise s’essouffle. Aux États-Unis et en Europe, le chômage reste élevé. L’arme de la dévaluation compétitive est tentante pour toutes les économies désireuses de stimuler leur croissance par les exportations.
Mais gare ! Excepté pour la Chine, qui détermine le taux de change du renminbi uniquement sur le marché domestique, faire baisser sa devise n’est guère chose aisée. Témoin, la Suisse, impuissante ces derniers mois à arrêter la flambée du franc malgré des achats massifs d’euros. “ Si chacun agit seul de côté, cela risque de ne déboucher sur rien, prédit Bei Xu, chez Natixis. Les interventions non coordonnées sont presque toujours vouées à l’échec. “