La sociologue Jacqueline Costa-Lascoux, auteur de l’Humiliation, les jeunes dans la crise politique, analyse le rapport des autorités avec cette nouvelle « classe dangereuse ».
(…) Retour à la lutte des classes et instauration d’une méritocratie, c’est ce que vous appelez l’ère de « l’humiliation » ?
Jacqueline Costa-Lacoux. Oui. Avoir le pouvoir aujourd’hui, ce n’est pas seulement avoir les leviers de commande. C’est jouir du pouvoir que l’on a sur les autres. Le capitalisme financier n’a même pas besoin d’être rationnel économiquement, il profite du fait que lui joue pendant que les autres s’enfoncent dans la crise.
Pourquoi les jeunes sont-ils les premières victimes de cette humiliation ?
JCL. Parce qu’ils font peur. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si la politique économique libérale se double d’une telle politique sécuritaire. Les jeunes précaires font peur, parce qu’ils pourraient se rebeller. Alors on utilise des expressions très fortes, comme la « racaille ». On a même dépassé en dureté le discours sur les ouvriers du XIXe et du début du XXe siècle, considérés comme une « classe dangereuse ». Tout est fait pour dévaloriser : on veut placer les gens dans une situation où ils ne sont pas acteurs de la société. Sous-entendu : ce n’est pas la racaille qui peut changer la société.
Malgré ce capitalisme destructeur, qui a « laminé la culture commune, l’intérêt général », vous écrivez que la jeunesse a encore « le goût de transformer le monde »…
JCL. Cela se traduit pas une série de refus de certaines formes d’autoritarisme. Pour certains, le refus de rentrer dans une société de consommation à outrance, d’où le succès de l’écologie, de l’humanitaire. Et par la volonté de construire des solidarités. Solidarités de proximité, mais aussi solidarités internationales. On voudrait nous faire croire que notre société n’est que violence et stigmatisation. On essaie de manipuler les jeunes pour qu’ils s’enferment dans des replis religieux ou communautaires. Mais ils se moquent complètement des origines, ils vivent le métissage en permanence.