Lorsque certains responsables politiques ou éditorialistes évoquent la réforme des retraites, leur vision de la société française est parfois surprenante. A bien les écouter, les défenseurs de la retraite à soixante ans seraient certes bien intentionnés (même s’ils n’ont pas le monopole du coeur), mais totalement rétrogrades, arc-boutés à une vision misérabiliste et “germinalisante” de la réalité sociale.
A l’heure où chacun entreprend des études de plus en plus longues et rentre ainsi de plus en plus tard sur le marché du travail, à l’heure où les conditions de travail s’améliorent (elle est bien pratique l’image du conducteur de train à vapeur comparée à celle du conducteur de TGV!), et à l’heure où l’on vit de plus en plus vieux, et bien oui, évidemment, maintenir le droit de partir à la retraite à soixante ans serait une hérésie.
Et à ceux qui proposent de maintenir cette liberté tout en prévoyant d’augmenter légèrement la durée de cotisation, on répond qu’ils sont hypocrites puisque personne ne pourra prendre sa retraite à taux plein à soixante ans. Ce serait donc une fausse liberté et une porte ouverte à la baisse des pensions.
A tout cela, on opposera quelques chiffres.
Non, la société française n’est pas encore devenue la société de la connaissance que l’on nous promet depuis des décennies. Pour preuve, parmi les hommes actifs âgés de 50 à 55 ans en 2007 (nés entre 1952 et 1957), 33% sont ouvriers, 11% sont employés, 23% exercent une profession intermédiaire et 19% un emploi de cadre ou une profession libérale. Les premiers ont quitté l’école en moyenne à 16,8 ans, les seconds à 18,8 ans.
Au total, parmi les hommes appelés à partir en retraite dans les prochaines années, plus de quatre sur dix pourraient le faire à soixante ans, avec un nombre de trimestres largement suffisants, après plus de 42 ans de cotisation.
Notons au passage que ces quelques éléments chiffrés doivent amener à la prudence celles et ceux qui décrivent une générations de baby-boomers partant en retraite dans des conditions qui seraient idylliques : dans les prochaines années, ce sont des centaines de milliers d’ouvriers qui partiront aussi en retraite avec de faibles pensions.
L’évolution moyenne à la hausse des revenus des retraités, tirée vers le haut par le départ à la retraite d’un certain nombre de salariés aisés, ne doit pas faire oublier que ce sont des millions de salariés d’exécution qui composent également ces générations.
Les chiffres sont également éloquent pour les hommes âgés de 40 à 45 ans en 2007, nés entre 1962 et 1967. Parmi les actifs de cet âge, un tiers d’ouvriers qui ont quitté l’école en moyenne à17,3 ans et 10% d’employés ayant terminé leurs études en moyenne à 18,7 ans. On objectera que pour tous ces salariés, le dispositif “carrières longues” permettra un départ départ anticipé à la retraite. Tout d’abord, dans l’état actuel de la loi, les salariés ayant commencé à travailler à 18 ans sont exclus de ce dispositif. Par ailleurs, ce dernier repousse de 59 à 60 ans la possibilité de départ à la retraite pour les assurés nés à partir de 1956 et ayant commencé à travailler à 16 ans (après 44 ans de cotisation…).
Les idéologues ne sont donc pas forcément ceux que l’on croit : dans ce cas, pourquoi toucher à la borne des 60 ans? Avec les femmes, les ouvriers et les employés sont bien les principaux perdants de la réforme.