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Impulsée par Christine Lagarde, ministre de l’Économie et des Finances, depuis près de dix-huit mois, la finance islamique fait une apparition de plus en plus remarquée sur la scène économique française. Face au leadership britannique en la matière sur le continent européen, la place française ne se laisse pas démonter malgré les obstacles et entend bien rivaliser la City au fil des avancées. Fin d’année oblige, Thierry Dissaux, le bras droit de la ministre en charge de la finance islamique, en tire un bilan et se projette sur 2010.

Saphirnews : Comment avez-vous été amené à devenir le « Monsieur Finance islamique » de Bercy ?

Thierry Dissaux : Lorsque Christine Lagarde a défini cet objectif du développement de la finance islamique en France au printemps-été 2008, on n’avait pas défini avec précision la feuille de route pleine et entière avec tout ce qu’il y avait lieu de faire. Comme la finance islamique touche à un certain nombre de composantes de ce ministère, à savoir aux opérations bancaires et asurancielles, à des mécanismes juridiques comme la fiducie, à la fiscalité et bien d’autres qui traversent la DGTPE, la Direction générale du Trésor (et de la politique économique, ndlr), on a éprouvé le besoin d’avoir une structure de coordination pour la finance islamique et donc un pilote pour celle-ci. Ce fut moi et j’en suis ravi.

Avant tout, petit zoom sur l’actualité. Le débat sur l’identité nationale se focalise sur l’intégration de la population musulmane en France. Comment vivez-vous ce débat au ministère de l’Économie ?

Th. D : Joker ! On est dans un débat qui est d’ordre politique et qui dépasse clairement le cadre de mes fonctions. Je n’ai pas vocation à m’exprimer sur ces questions-là.

Pouvez-vous dire que des banques islamiques verront bien le jour en 2010 ?

Th. D : L’objectif de réalisation n’est pas complètement entre nos mains. L’agrément bancaire est une procédure gérée par le CECEI, le Comité des établissements de crédit et des entreprises et d’investissement, qui est dans le champ des compétences de la Banque de France et qui travaille de manière confidentielle. Je souhaite vivement que les choses se réalisent en 2010 mais nombre d’étapes sont à franchir de notre côté et du côté des promoteurs. On travaille tous activement pour que les projets puissent prendre forme.

Bien que vous ayez été nommé récemment, quel bilan tirez-vous des avancées entamées depuis dix-huit mois dans ce domaine ?

Th. D : J’ai pris mes fonctions dès le mois de septembre mais ma nomination a été officialisée lors du colloque qui a eu lieu le 3 novembre à Bercy. À ce jour, nous avons lancé un certain nombre de travaux dont on ne voit pas encore l’ampleur mais qui constituent des avancées importantes. Chacune apporte ses pierres dont on va pouvoir faire, je l’espère, bientôt un édifice.

Au-delà des actions concrètes comme les travaux de l’AMF, les recommandations d’Euronext ou encore les instructions fiscales, on a surtout rendu public le discours, celui de Christine Lagarde, tourné vers l’accueil et le développement de la finance islamique en France, discours qu’elle tient avec constance et détermination depuis l’été 2008. Il est toujours difficile de noter les progrès tant que l’on n’a pas assisté aux premières émissions de sukuk ou aux implantations des premiers établissements bancaires.

Mais la cohérence de l’action entamée il y a 18 mois apparaît pleinement à ceux qui en sont au coeur et j’ai le sentiment, pour ma part, que les différentes pièces du puzzle commencent à s’agencer. Bien qu’il reste beaucoup de travail, on peut les mettre en forme et elles fourniront bientôt leurs premiers résultats.

Depuis que Mme Lagarde a défini cet objectif, il y a eu une extraordinaire mobilisation de la Place de Paris. Le public a marqué un grand intérêt pour les différents colloques lancés sur la question, dès l’origine jusqu’au plus récent, celui organisé par la Chambre de commerce franco-arabe (début décembre, ndlr), est grand.

Du côté de Paris Europlace, nous sommes impressionnés du nombre de personnes impliquées dans le projet : des juristes, des fiscalistes, des banquiers, des entreprises, des universitaires de même que des institutions financières islamiques et des représentants des sharia board étrangers et français qui sont en train de se constituer et de s’affirmer. C’est important et positif.

Quels sont les grands chantiers sur lesquels vous allez travailler pour l’année 2010 ?

Th. D : Les grands chantiers sont essentiellement fiscaux, juridiques et bancaires. Du côté de la fiscalité, le ministère a émis des instructions en février 2009 puis en juillet dernier mais on a besoin d’encadrer et d’affiner les dispositifs sur les produits dont on parle de type murabaha, istisna et autres. On a donc réactivé le chantier fiscal avec des sharia board, des juristes et des banquiers dans le cadre de Paris Europlace.

Il y a aussi un chantier d’ordre bancaire et prudentiel. La finance islamique ne pourra s’exprimer que si elle s’inscrit précisément dans le cadre bancaire français. Il faut qu’elle puisse ainsi entrer en pratique sur un pied de parfaite égalité avec la finance conventionnelle. C’est un point extrêmement important pour les institutions financières et bancaires étrangères qui veulent s’implanter demain en France et ainsi faire de notre pays une plateforme européenne dans la zone euro pour la finance islamique.

Pour cela, il faut que les institutions sachent dans quel cadre elles travaillent, quelle cadre juridique elles peuvent donner aux instruments qu’elles vont utiliser et comment ces instruments vont être reçus par la clientèle qu’elles toucheront.

À côté de cela, un dossier nous préoccupe toujours et il est important pour nous : c’est l’émission de sukuk en France.

C’est un dossier qui a connu une petite complication en octobre dernier lorsque le Conseil constitutionnel a écarté le dispositif législatif. L’objectif n’a pas changé pour autant. C’est vrai que nous avons été amené à considérer les choses de manière différente car, au fil de la réflexion, nous avons estimé qu’il n’y a peut-être pas nécessité d’ajuster le cadre législatif. S’il faut un texte, nous le présenterons ; s’il apparaît que nous avons un schéma tout aussi performant, voire plus,sans ajustement législatif, je ne vois pas pourquoi la question se poserait.

Vous vous concentrez beaucoup sur les sukuk…

Th. D : En même temps, le sukuk est l’instrument financier le plus compliqué. C’est le dernier qui a été abordé par le Royaume-Uni. Pour tous les autres instruments que j’ai regardés à ce stade, il suffit d’éclaircir le droit, de l’adapter un peu mais pas de le modifier sur le fond. Les choses sont différentes pour les sukuk.

Les premiers qui bénéficieront des fonds islamiques seront les grandes entreprises. Qu’en sera-t-il des PME, qui constituent l’essentiel du tissu économique français ?

Th. D : Il est évident que nous serions ravis si des capitaux islamiques venaient à faciliter le développement de nos entreprises, quelle que soit leur taille. Nous n’avons pas vocation à ne diriger la finance islamique que vers les seules grandes entreprises.

Ce qui est vrai, c’est qu’attirer des capitaux étrangers est en général plus facile pour les grandes entreprises car elles sont plus visibles. Lorsque des obligations sont émises par de grandes entreprises sur le marché, on table sur des montants importants et qui deviennent pour un investisseur institutionnel ou international significatifs. Pour ces derniers, investir directement de petits montants sous une forme sharia-compatible, ou non d’ailleurs, dans une entreprise de petite taille n’est pas une démarche très naturelle ni très facile à l’étranger.

On est sans doute obligé de raisonner avec des structures intermédiaires, des fonds par exemple, qui vont attirer un certain nombre de capitaux pour les rediriger vers les PME et ceci est plutôt difficile à organiser car c’est la sphère privée qui doit se structurer dans ce but.

Ne pensez-vous pas impulser justement la création de ces fonds ?

Th. D. : Aujourd’hui, créer un fonds, attirer des capitaux islamiques, repérer les PME dans lesquels on doit investir est un gros travail. C’est très intéressant, c’est quelque chose que les pouvoirs publics considérent avec beaucoup d’intérêt et de bienveillance, mais c’est un travail qui reste du domaine privé. Il en est de même pour les grandes entreprises : les pouvoirs publics peuvent créer le cadre adéquat, éclairer, inciter, mobiliser, mais in fine, ce sont les émetteurs qui prennent la décision finale, bien évidemment.

La France est le pays ayant la plus grande population musulmane d’Europe. Pourquoi ne travaillez-vous exclusivement que sur des banques d’investissement ?

Th. D : C’est vrai que lorsqu’on travaille sur les sukuk, on travaille sur un produit de banque d’investissement. Mais concernant des murabaha et d’autres, on travaille sur des produits d’application beaucoup plus large. On cherche très précisément à définir le cadre juridique et fiscal de toutes les opérations de finance islamique pour des acteurs français et ceux qui sont intéressés par le marché français.

Une fois définies, c’est le choix des institutions islamiques de vouloir développer une activité de banque de financement et d’investissement ou une activité de banque de détail. Je peux difficilement parler à la place des opérateurs.

Ne pensez-vous pas qu’il y a un potentiel économique à valoriser justement ?

Th. D : Je n’entends pas les choses de cette façon. Je pense qu’il y a un potentiel économique et financier à valoriser mais les projets sont évolutifs. À ce stade, un certain nombre d’institutions islamiques s’intéresse au marché français et réfléchissent à des projets d’implantation de banques d’investissement ou de détail sont en cours de réflexion. Ceci est nécessairement un process à maturation lente, qui s’affine au fil du temps et qui n’est pas nécessairement terminée. Nous travaillons sur les opérations et les opérateurs travaillent sur leurs projets.

Quelles banques sont en lice pour s’implanter en France prochainement ?

Th. D : Joker ! Je ne peux rien dire non plus, je suis tenu à une obligation de confidentialité, seuls les opérateurs bancaires peuvent eux-mêmes parler de leurs projets.

Saphir News

(Merci à thelostfrench)

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