Par Adrian Ash, Directeur de la Recherche, Bullionvault.com
« La peur, M. Bond, retire l’or de la circulation et le met en réserve pour se protéger d’un jour funeste. Dans une période de l’histoire où n’importe quel jour à venir pourrait bien être ce jour noir, il est juste de dire qu’une bonne portion de l’or sorti d’un coin de la terre est ensuite ré-enterrée dans un autre coin… »
Goldfinger (1959), par Ian Fleming
Il y a cinquante ans, – alors que l’agent de fiction 007 contrecarrait le plan d’Auric Goldfinger qui prévoyait de vider Fort Knox et de ramener l’or américain à Moscou -, le Trésor américain craignait une perte réelle de ses réserves d’or physiques.
Le rôle de l’or en tant qu’actif ultime d’assise du pouvoir national était pratiquement à son apogée. En 1966, la moitié de tout l’or jamais extrait du monde était stockée dans les coffres des gouvernements.
La peur l’y a mis. La peur est susceptible de conserver ce qu’il en reste aujourd’hui.
Réserves d’or des banques centrales, US et reste du monde
Sous l’accord de Bretton Woods – signé en 1944 – le dollar tout puissant garantissait le système monétaire mondial.
Toute autre monnaie majeure dans le monde était évaluée en termes de billet vert, et l’or alors garantissait le dollar – ou plutôt, il couvrait 25% des émissions de dollars, comme le fixait la loi de la Réserve Fédérale.
Ainsi, ce n’était qu’en détenant soit de l’or soit des dollars (ou mieux beaucoup des deux) que les gouvernements souverains pouvaient espérer équilibrer leurs dépenses internationales et leurs dettes réciproques. « L’or et les monnaies couvertes par l’or [devinrent] la fondation de notre crédit international » comme l’explique le colonel Smithers de la Banque d’Angleterre à James Bond dans Goldfinger.
“Nous ne pouvons dire quelle est la véritable valeur de la Livre, et les autres pays ne peuvent le dire que s’ils connaissent la quantité de devises en réserve qui garantit notre monnaie ».
Au sommet de ce système, le “système de change basé sur l’Étalon Or” comme on le désigne parfois, le dollar US s’agrippait à cette position en tant que monnaie mondiale n°1 grâce à la seule taille des réserves nationales d’or. Elles avaient triplé entre le milieu des années 1920 et la défaite du Japon, atteignant plus de 20 000 tonnes à la fin des années 1940.
A leur plus niveau le plus élevé, les réserves américaines d’or nationalisées, – la plus grande quantité d’or jamais thésaurisée -, représentaient environ un quart des onces extraites du sol depuis le début de l’histoire du monde. Mais « la couronne pèse à celui qui la porte » comme nous le rappelle Shakespeare et pour la plus grande partie de la période de Bretton Woods, de la fin de la seconde guerre mondiale à 1971, Washington vivait dans la terreur :
La terreur de l’or s’échappant des réserves US, transférant de réelles richesses à l’étranger et prenant par là même au dollar sa position de « chef de file ».
Le dollar garanti par le plutonium plutôt que l’or
“Maintenant nous avons de l’uranium et du plutonium raffiné pour une valeur de plus de 21 milliards” dit un Dwight Eisenhower désespéré lors d’une réunion de fonctionnaires de haut vol à la Maison Blanche le 9 Novembre 1960. « Ceci représente une valeur future énorme en tant que source de pouvoir ».
“Est-ce ça ne pourrait pas remplacer l’or” demanda le président, qui proposait une nouvelle roche primitive pour garantir les réserves monétaires US – et donc du monde.
La question d’Eisenhower – bien que stupide et “poliment rabrouée” comme nous le relate Francis Gavin dans son excellent livre d’histoire publié en 2004 L’or, le Dollar et le Pouvoir – était urgente. L’arsenal nucléaire américain supportait déjà son pouvoir politique. Le plutonium pouvait-il soutenir de même la puissance monétaire américaine ?
Eh bien…non. « La chose la plus importante qu’il faut se rappeler concernant l’or » comme le dit le colonel Smithers dans Goldfinger, « c’est qu’il est la matière première possédant le plus de valeur et qui est la plus facilement négociable du monde ». Et ceci est toujours vrai cinq décades plus tard.
La vente en gros de lingots d’or, – négociés par des marchands professionnels, des raffineries et des banques habilitées à négocier l’or (les Bullion Banks) -, représente l’un des marchés de capitaux les plus profonds et les plus liquides. Il existe toujours un « prix d’équilibre» sur lequel les acheteurs et les vendeurs se mettent d’accord. Parce que la valeur intrinsèque de l’or, le fait qu’il ait une valeur intrinsèque plutôt que d’être une créance sur quelqu’un d’autre, est sa seule utilité.
Son usage industriel ou médical compte peu par rapport au volume d’or détenu pour sa valeur monétaire. Alors qu’une monnaie garantie par de l’uranium, du pétrole brut, du plutonium ou du cuivre serait instantanément utilisée en raison de la valeur industrielle de ces matières premières. Ce sont des choses rares et de valeur, c’est certain, mais dont la valeur réside avant tout dans leur usage productif.
Retournons en novembre 1960, entre temps, le secrétaire d’État Christian Anderson avait convoqué une réunion à la Maison Blanche parce que les réserves d’or détenues par le gouvernement – au cours fixé par la loi depuis 1933 de 35 $ l’once – risquaient de passer en dessous des 18 milliards de $ « pour la première fois depuis des années ».
La raison? Le déficit de la balance commerciale américaine. Plutôt que d’accepter les dollars US à leur valeur nominale et d’accumuler le papier en paiement, la France et l’Allemagne demandaient de l’or en échange. Et c’était leur droit sous l’accord de Bretton Woods, un droit exercé chaque fois que l’offre de dollars semblait forcer à une réévaluation de sa couverture or. Ce droit fut finalement perdu quand Richard Nixon mis fin à la convertibilité du dollar pour l’étranger en août 1971.
Dévaluation du dollar de 100%
La décision prise par Nixon de remplacer l’or pour les créditeurs du monde entier par la seule foi dans le dollar est souvent considérée comme un “crime”, un affront fait à une monnaie honnête et juste. Nixon a fourvoyé les créditeurs de l’Amérique en dévaluant le dollar de 100% par rapport à cette promesse de ratio de 35$ l’once. Une inflation galopante suivit ensuite, quand les dollars US inondèrent le monde, car des « actifs solides » faisaient défaut pour limiter leur expansion.
En moins d’une décade la valeur en or du dollar chuta de 96% et poussa le prix de l’or au sommet à 850$ l’once.
Mais en mettant fin au “guichet d’or ” de la Réserve Fédérale – et en détruisant le système d’échange standard de Bretton Woods -, Nixon avait en fait seulement accompli le dernier pas d’un processus commencé juste avant le début de la première guerre mondiale.
Il enferma les réserves d’or de l’Amérique au fonds des coffres-forts du gouvernement, à l’abri des attaques des gouvernements demandant des actifs solides en paiement de leur dette. De manière plus cruciale sous l’angle plus général de la politique du 20ème siècle cependant, Nixon conservait l’or américain hors de la circulation privée de la richesse qui avait eu lieu les cinq décades précédant la « guerre totale » en Europe et Asie et avant ces jours funestes où les bureaucrates du monde entier se rassemblaient pour empêcher toute circulation libre de l’or, l’enfermant profondément dans les chambres fortes nationalisées, à l’abri des décisions libres des individus de se déplacer et dépenser leur richesse – sous forme de lingots – comme bon leur semblerait.
“Le roman de Ian Fleming” écrit Francis Gavin – un professeur de l’Université d’Austin Texas, et un expert du New York Times de la Guerre Froide – “le sinistre Goldfinger, assisté de main de maître par Pussy Galore, complotait pour dérober aux Américains leur or à Fort Knox. »
“Le film [de 1964] ajouta une petite déformation intéressante au scenario peu probable du livre… Goldfinger dit à l’agent 007 qu’il n’a même pas à dérober l’or physiquement. Au lieu de cela, il lui suffirait de s’infiltrer dans Fort Knox et d’y installer une bombe nucléaire à retardement fournie par la République Populaire de Chine. »
“La bombe irradierait tout l’or à l’intérieur du bâtiment et le rendrait inutilisable…la liquidité internationale se gripperait, le commerce et les systèmes monétaires occidentaux s’effondreraient ».
Heureusement pour le monde libre, James Bond et Pussy Galore s’allièrent pour contrecarrer le plan de Goldfinger, désarmant la bombe et laissant l’or américain de réserve intacte. Mais en réalité, Richard Nixon ne réalisa rien de moins que le plan diabolique de Goldfinger en août 1971… et sans le charme fruité de Pussy Galore comme récompense !
La décision de Nixon le 15 Août 1971 d’interdire la fuite de l’or des États Unis mit l’or américain en sécurité et hors de portée des gouvernements étrangers mais mit également fin à un système essentiel à la liberté économique.