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L’association du canard et des navets est un grand classique de la cuisine française, qui se transforme d’époque en époque tout en restant lui-même.

La vidéo vous montre un traitement moderne du sujet. Il y en aurait bien d’autres. La première recette date de La Varenne. Elle est caractéristique de ce grand cuisinier du XVII ème siècle, notamment par sa cuisson au bouillon et par la forte présence des légumes. C’est cette recette que nous allons étudier en détails.

LE CANARD AUX NAVETS  DE LA VARENNE

Nous allons d’abord indiquer les ingrédients, puis reproduire mot à mot la recette de La Varenne, en ajoutant nos commentaires.

Ingrédients :

Pour le bouillon qui doit être confectionné au préalable :

La viande que vous voulez.

Pour le plat proprement dit :

Une petite canette de Barbarie label rouge d’un kilo ou pas beaucoup plus (en fait, c’est la taille de votre faitout qui va décider de celle de la volaille) ; 1 kilo de navets ronds non filandreux.

Huile, beurre, sel, farine.

Pour les finitions :

Tranches de pain rassis et grillé ; un trait de vinaigre (nous ajoutons : une cuillerée à soupe de sucre pour le bouillon et de l’ail pour les croûtons)

Procédure

1 Prenez un canard à demy rôty lardé  ou non lardé …

(Note : on commencera donc par faire cuire la canette à moitié , une demi-heure environ, au four ou à la cocotte. On jettera l’excès de graisse. On déglacera à l’eau ou au bouillon les sucs de viande en raclant bien à la cuillère en bois pour récupérer tous les sucs. On mettra de côté le jus de viande obtenu ainsi.)

2 …  mettez-le dans un pot de terre avec de bon bouillon de viande sans herbe

(Note : nous voyons ici qu’il nous faut un bouillon de viande fait au préalable ; en effet, la canette ne cuira pas assez longtemps dans le bouillon pour lui donner elle-même beaucoup de goût. C’est pourquoi La Varenne nous fait confectionner un autre bouillon de viande  distinct. Les viandes sont celles que vous voulez ; pour aller au plus simple, on peut y mettre deux os à moelle de boeuf, et une tranche de lard frais ; c’est là cependant un minimum, et il vaudrait mieux confectionner un vrai bouillon avec des viandes à cuisson relativement rapide, par exemple du veau pour blanquette ; cette viande ne sera pas perdue ; il existe de nombreuses recettes pour traiter la desserte, qui est un élément important de la cuisine au bouillon).

3 … faites-le cuire doucement …

(note : nous venons de réaliser le bouillon de viande sans herbes et de cuire à demi la canette ; nous la plaçons dans notre grand faitout où l’attend le bouillon)

4 … mettez aussi séparément dans de l’eau bouillante des navets bien ratissez & les y faites cuire à demy, puis les ayant tirez à sec, farinez-les bien & les faites frire dans du beurre roux bien chaud …

(nous faisons donc bouillir nos navets, épluchés mais entiers, en principe dans une seconde casserole d’eau  ; nous les retirons au bout d’un quart d’heure, les farinons, les faisons revenir au beurre jusqu’à prise de couleur dorée, et nous les mettons alors avec le bouillon ; la précaution de les faire ainsi blanchir dans une eau distincte s’explique sans doute par le fait que les navets sont en quantité importante et que leur goût ne doit pas devenir agressif )

5 … puis les ayant fait égoutter, mettez-les avec le canard, & les laissez cuire ensemble …

(nous allons les laisser dans le bouillon jusqu’à ce qu’ils aient fini de cuire mais pas plus ; nous ne cherchons pas à faire une bouillie de navets ; nous les sortons et les réservons)

6 … Vous pouvez y ajouter des  champignons déjà cuits …

(Bof … non, pas pour moi)

7 … , & quand le tout sera cuit, mettez dans un plat des soupes de pain rôti, & après les avoir arrosez d’un peu de vinaigre, versez-y le potage & le faites mitonner. On y peut ajouter du jus de viande, & râper du pain par dessus.

(Il est intéressant de voir combien l’habitude médiévale de servir la viande sur des “soupes”, c’est à dire des tranches de pain, a la vie dure. Nous préférerons cependant servir le plat à la façon moderne, c’est à dire le liquide séparément).

Le service

Nous allons, comme on fait souvent pour les pots-au-feu, servir le plat sur deux jours, et peut-être ici même trois si vous avez enrichi votre “bouillon préalable” d’une viande consistante.

Premier jour :

Nous servons la canette accompagnée de ses navets, avec le jus de viande que nous avons obtenu par dé-glaçage et réservé (voir plus haut rubrique La procédure, point 1). Et, puisque La Varenne a parlé de champignons, pourquoi pas, après tout, en servir aussi quelques uns préparés séparément.

Deuxième jour

Nous récupérons le bouillon froid. En principe, la graisse s’il en reste forme couche à la surface et s’enlève aisément. Nous émiettons dans le bouillon le maigre de la tranche de lard. Nous portons à ébullition. Nous goûtons le bouillon et l’adoucissons d’une cuillerée à soupe de sucre si nécessaire.

Nous faisons griller les tranches de pain rassis, nous les frottons d’ail, nous les arrosons d’un trait de vinaigre et nous les faisons “mitonner”, c’est à dire s’imbiber de liquide, quelques minutes à la surface du liquide porté à ébullition douce.

Nous mangeons cette soupe en entrée et faisons suivre simplement d’un fromage avec sa salade.

Troisième jour

La viande ayant servi à la confection du “bouillon préalable” est une précieuse desserte que nous allons réutiliser (voir ci-après le paragraphe  intitulé “Le bouillon préalable et la desserte”).

LES RECETTES DE MÊME FAMILLE CHEZ LA VARENNE

Nous avons constaté que notre canard au navets est cuit au bouillon, ce qui est très caractéristique de la cuisine de La Varenne. Les cuissons au bouillon occupent la vedette de son livre Le Cuisinier François au fil des différentes éditions. Le bouillon, qualifié de “nourriture de tous les pots”, ouvre en fanfare l’édition de 1651. Dans l’édition de 1680, le bouillon se décline, et le chapitre consacré aux “potages” comporte nombre de plats complets faisant cuire dans la même eau la viande et ses légumes d’accompagnements.

Ces recettes sont souvent peu normatives, laissant au cuisinier le choix des viandes, des légume, voire des deux (à cet égard, la recette de canard aux navets étudiée ici est l’exception qui confirme la règle). Ceux que le sujet interesse pourront y prendre beaucoup d’idées.

On note cependant l’absence de ces deux grandes vedettes du bouillon d’aujourd’hui : le pot au feu et la poule au pot dans sa recette moderne, c’est à dire avec les légumes du pot au feu. Une recette qui les préfigure un peu est ce potage aux carottes : nous y voyons apparaître, autour d’un morceau de boeuf, “ou d’autre viande” la trilogie carottes/poireaux/navets,  mais elle se voit adjoindre toutes sortes d’autres herbes (pois, oseille, cerfeuil, chicorée …). D’une façon générale, les carottes jouent un rôle discret chez La Varenne. Il est difficile de dire quelle part du chemin les horticulteurs de son époque ont déjà faite vers les belles carottes de couleur orange qui se généraliseront au XVIII ème siècle. Peut-être les cuisiniers des grands, comme La Varenne, ont-il accès aux premiers de ces produits. Mais le cuisinier ordinaire ne connaît encore que des carottes filandreuses, proches du panais, et n’a guère envie de les utiliser. La Varenne lui-même ne  cuisine la carotte qu’exceptionnellement.

La Varenne n’a pas non plus adopté ces produits des Amériques : pomme de terre et tomates. La tranche de pain rassis mitonné, héritage des “soupes” du Moyen-Age, fait une belle résistance et accompagne presque tous les potages.

Les légumes vedettes de ces bouillons, outre le navet, sont les herbes (chicorée, oseille, …), l’oignon, le chou , le concombre et le potiron. On notera cet intéressant Potage à la chicorée, aux tonalités aigre-douces ; ce très simple Potage à l’oignon (et à la viande) ; ce potage aux choux accompagnant du boeuf ou de la volaille ; ce potage bourgeois vous permettant toutes les libertés ;

LE “BOUILLON PRÉALABLE” ET LA DESSERTE

Nous avons vu qu’il nous a fallu réaliser un bouillon double, faisant cuire d’abord une viande destinée à donner son goût au bouillon et à être réservée pour la desserte, et ensuite seulement notre canette. Ce genre de dédoublement n’est pas rare dans la cuisine au bouillon. En conséquence, pour être à l’aise avec cette cuisine, il importe d’avoir par devers soi un éventail de recettes faciles qui permettront de traiter la desserte ; en l’occurrence, dans l’exemple fourni par cet article, il s’agit de la viande qui a donné le “bouillon préalable” et qui ne se mange pas avec le canard aux navets.

Voici quelques recettes pour la desserte, toujours prises dans La Varenne :

Les capilotades et galimafrées : La Varenne leur consacre plusieurs articles ; il s’agit de viande de desserte débarrassée de ses parties désagréables, et coupée en morceaux que l’on fait revenir quelques instants avant d’y ajouter une sauce rapide et de haut goût. Voici deux exemples interprétés :

Capilotade (pour de la viande blanche) : couper la viande en petits morceaux bien nettoyés ; faites revenir au beurre avec sel, poivre, ciboule hachée (ou, en remplacement, échalote et ciboulette), persil ; ajouter une louche ou deux du bouillon du pot ; faire mijoter un peu ensemble ; ajouter facultativement ce que La Varenne appelle une “sauce blanche”, c’est à dire, chez lui, un beurre fondu additionné d’un trait de vinaigre et lié au jaune d’oeuf (ou se contenter d’ajouter un trait de vinaigre) ; servir avec des tranches de pain frites au beurre et des épinards.

(On notera que l’ajout de cette “sauce blanche” donne au plat un petit côté préfigurant la blanquette, puisque nous avons une viande blanche servie avec du bouillon de sa cuisson et une liaison de finition comportant un jaune d’oeuf, un élément blanchissant  -ici, le beurre- et un élément acidulé -ici, le vinaigre-).

Galimafrée (pour du mouton ou du boeuf) : couper la viande en morceaux bien nettoyés ; la faire revenir dans la poêle,  avec un gros oignon (voire plusieurs), de la ciboule (ou de l’échalote et de la ciboulette), sans faire prendre couleur aux légumes ; ajouter une louche ou deux du bouillon du pot, un bon morceau de beurre, des câpres, du raisin de Corinthe (préalablement trempé une heure), un clou de girofle, du jus d’orange ; faire mijoter ensemble quelques minutes ; goûter pour voir si la note aigre/douce est à votre goût, sinon rectifier avec un peu de vinaigre ou de sucre ; servir avec des croûtons frits ; si l’on a mis plusieurs oignons dans la sauce, ils peuvent constituer le légume d’accompagnement.

(note : en termes de technique culinaire, le boeuf miroton cher à la génération de nos grands-parents, que nous avons vu à l’occasion de l’article sur le bouillon, appartient à la famille des capilotades mais comporte des ingrédients que La Varenne n’utilisait pas, comme la tomate.)

Hachis de viande froide : La Varenne vous propose un hachis de viande très assaisonné, qui fera merveille dans les hachis parmentier, tomates farcies et autres.

Rissolles (deux recettes) : ce sont des mini-pâtés faits rapidement en étendant une pâte (on peut utiliser une pâte toute faite),  en y découpant des disques, en garnissant une moitié d’un petit tas de viande hachée déjà cuite (elle provient bien entendu de la desserte) et assaisonnée, en rabattant l’autre moitié et en soudant le bord. On fait cuire le chausson à l’huile ou au beurre  très chaud à la poêle. Pour une manipulation facile, notamment quand on les retourne, les disques doivent avoir une dizaine de centimètres de diamètre. Les deux recettes données par La Varenne se complètent bien. L’une est de goût classique, l’autre est sucrée/salée. Après cuisson, on place les rissoles sur du papier absorbant pour ôter l’excès de gras.

On sert chaud en plat principal. Les rissoles de goût salé se servent avec une bonne salade bien aillée. Les rissoles sucrées/salées se servent avec une compote chaude de pommes ou de poires, ni sucrée ni salée.

Autre casse-museau : même principe de base que pour les rissoles, mais la recette de la farce est différente.

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