L’Irlande va mal. Durement frappée par une double crise, financière et immobilière, le fringant “Tigre celtique” du début des années 2000 n’est plus que l’ombre de lui-même : son PIB s’est effondré de 7 % en 2009, le déficit atteint 32 %, le chômage touche 14 % de la population, et la récession ne semble pas terminée. L’Union européenne craint une faillite qui mettrait en péril l’ensemble de la zone euro.
Et quand ça va mal, l’Irlandais prend la route : l’Irlande est redevenue une terre d’émigration. La publication, fin septembre, d’un rapport du Central Statistics Office (CSO), l’Insee local, a jeté un froid dans le pays.
Pour la première fois depuis la croissance exceptionnelle des années 1990, le nombre des partants dépasse celui des arrivants. En un an, d’avril 2009 à avril 2010, 65 100 personnes ont quitté l’île tandis que seulement 30 800 personnes s’y sont installées. Trois ans plus tôt, en 2007, elles étaient 42 000 à partir du pays et 110 000 à faire le chemin inverse pour tenter l’aventure irlandaise. Cette année-là, les immigrés représentaient 11 % de la population irlandaise.
Le départs des Européens de l’Est
Première cause de ce revirement spectaculaire, le départ des immigrés arrivés sur l’île ces dernières années. Au tournant des années 2 000, des centaines de milliers d’entre eux étaient arrivés d’Europe centrale et orientale – de Pologne et des pays baltes principalement –, attirés par le rugissement du “Tigre” et sa politique migratoire très accueillante. Ils se sont faits ouvriers, serveurs ou vendeurs pour les moins qualifiés, ingénieurs, architectes ou informaticiens pour ceux qui avaient fait des études supérieures. L’heure du retour a sonné.
“Ces immigrés d’Europe de l’Est ont massivement occupé les emplois nouveaux créés par le boom économique, dans les secteurs de la manufacture, de l’assemblage, des services, explique M. El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à Paris-Dauphine et spécialiste des migrations. Aujourd’hui, ce sont ces secteurs qui souffrent le plus. Les immigrés sont donc les premiers à souffrir de la crise. Leur départ n’est pas étonnant.”
Par ailleurs, tout comme les jeunes Irlandais des années 1980 – la “génération Ryanair” qui partait travailler à l’étranger pour de courtes périodes –, “beaucoup de ces travailleurs venus de l’Est avaient immigré avec la perspective d’un retour rapide, sans construire de famille en Irlande”, explique M. Mouhoud.
Le départ des Irlandais
“La nouvelle a fait l’objet d’un entrefilet dans la page des sports, mardi dernier. P.J. Banville, attaquant vedette de l’équipe de football gaélique du comté de Wexford, n’y jouera plus à la saison prochaine. Il émigre en Australie avec sa compagne.” La chronique du journaliste Fintan O’Toole dans les colonnes de The Observer, dimanche 14 novembre, débute par ces mots, à la mesure du désarroi de tout un pays qui pensait en avoir fini avec l’exil. Sur les 65 300 personnes qui ont émigré entre avril 2009 et avril 2010, 42 % sont des nationaux irlandais, selon le rapport du CSO.
Les jeunes sont les premiers à partir, découragés par un marché du travail devenu amorphe. “Les étudiants partent étudier à l’étranger à cause des frais d’inscription trop élevés, mais ils quittent aussi le pays parce qu’il n’y a pas de boulot en ce moment. Il y a actuellement 100 000 jeunes diplômés au chômage dans le pays. Selon les autorités, 100 jeunes diplômés de 2009 quittent le pays chaque semaine”, témoigne Gary Redmond, président de l’Union des étudiants d’Irlande, sur le site des Observateurs de France 24. Avant de mettre en garde : “Plus la crise économique sera longue, moins les jeunes émigrants voudront rentrer à la maison !”
Les destinations plébiscitées ne sont plus l’Angleterre et les Etats-Unis, comme au temps de l’An Gorta Mór, la “Grande Famine” des années 1840, mais l’Australie et le Canada. Le Globe and Mail canadien décrit d’ailleurs le profil d’émigrants d’un autre type, plus âgés, expérimentés, mais ruinés par la crise – comme celui de Gavin O’Brien, un électricien installé à Toronto après qu’il a dû abandonner sa maison. Un cas typique de la situation irlandaise, selon M. El Mouhoub Mouhoud : “Il y a une tradition irlandaise de quitter le pays lorsque ça va mal que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe.”
Un constat que les reporteurs du Globe and Mail ont fait à leur façon : “La police irlandaise récupère de plus en plus souvent des voitures abandonnées sur les parkings aux alentours de l’aéroport de Dublin.”
(Merci à Bayard)