C’est un pilier de nos entreprises qui vacille. La Cour des comptes enquête sur les CE de la SNCF et de la RATP, la brigade financière sur celui d’Air France. «C’est la fin d’une époque. La plupart de ces comités d’entreprise ont financé les syndicats et ont été pour les grands groupes un moyen d’acheter la paix sociale.»
Six ans après le scandale du Comité central (CCE) d’EDF, ce sont les CCE de quatre grandes entreprises hexagonales qui défrayent la chronique: Air France, France Télécom, RATP et SNCF. Deux d’entre eux, ceux de la RATP et de la SNCF, font actuellement l’objet d’une enquête de la Cour des comptes. Celui d’Air France est, lui, dans le collimateur de la brigade financière. Les institutions de ces grands groupes connaissent des déboires variés.
Mais toutes ont en commun des luttes syndicales, des subventions d’entreprise qui sont détournées de leur vocation première ou encore un gaspillage souvent lié à des responsables syndicaux incapables de gérer un comité d’entreprise plus gros qu’une PME.
«On a créé des monstres qui ont vocation à tout faire pour les salariés sur le dos du client ou du contribuable, analyse Agnès Verdier-Molinié, directeur de la fondation Ifrap. Il faudrait revenir en arrière.»
Le changement relève pourtant de l’impossible pour des entreprises qui ont souvent inscrit ces accords sociaux dans le marbre et qui n’ont aucun droit de regard sur la gestion des oeuvres sociales par leurs syndicats. Il faut donc attendre des enquêtes officielles pour constater l’étendue des dégâts.
«Une grande immaturité dans la gestion»
«L’enquête de la Cour des comptes sur la SNCF et la RATP a été provoquée par les découvertes funestes faites au comité d’entreprise d’Air France», explique une source proche du dossier. À la RATP, cette enquête a lieu alors qu’un audit interne vient de révéler les pratiques douteuses de certains délégués du personnel. Les recherches des sages de la rue Cambon portent également, selon nos informations, sur les comptes du CCE de la SNCF et sur ceux de six comités d’établissements (sur 27) depuis 2004. Au CE de la SNCF à Lyon, des auditions ont également commencé mais cette fois-ci auprès de la brigade financière. À l’origine de cette enquête: des fonds alloués par l’entreprise publique au titre de la formation syndicale qui auraient été utilisés pour financer le fonctionnement des syndicats. «Il y a eu détournement, reconnaît un responsable syndical de la SNCF visé par l’enquête. Nous n’avons pas utilisé les fonds pour la formation de nos délégués syndicaux.»
À Air France, le comité central d’entreprise vient de sortir d’une situation de cessation de paiement grâce à un emprunt de 14,5 millions d’euros auprès de trois banques pour finir l’année. Un administrateur a été nommé par le tribunal de Bobigny pour mettre de l’ordre dans les comptes et se prononcer sur un dépôt de bilan ou sur la nécessité de vendre le patrimoine du CCE pour le sauver de la faillite. Le domaine de Lassy, au nord de Paris, connu pour ses courts de tennis, sa piscine et son magnifique parc, pourrait être vendu tout comme le village vacances de Saint-Malo. Les comptes de l’institution sont en friche. L’année 2009 n’a toujours pas été bouclée malgré le travail depuis neuf mois du cabinet Mazars appelé au chevet du CCE.
Ce naufrage financier se fait sur fond de guerre syndicale. La CGT a amorcé le déclin lorsqu’elle dirigeait le CCE entre 2005 et 2007. La CFDT puis FO n’ont ensuite pas réussi à redresser la situation. Toutes ces organisations se renvoient aujourd’hui la balle pendant que les déficits se creusent et qu’Air France, qui a longtemps fait preuve de largesse, refuse désormais de renflouer les comptes de son CCE. Dans un tract diffusé fin novembre, la CGT résume la situation du CCE qui lui vaut une enquête de la brigade financière: «surfacturation des prestations auprès d’intermédiaires amis, opérations d’investissements plus que louches, gestion népotique…».
De son côté, le CCE de France Télécom est passé près de la cessation de paiement au printemps dernier, un audit allant même jusqu’à prévoir un trou de 20 millions d’euros dans les comptes. L’annulation de vacances et des économies drastiques lui ont permis d’éviter le pire. Il a terminé l’année avec un déficit de l’ordre de 5 millions d’euros. «Les organisations syndicales ne savent pas gérer un budget prévisionnel, explique Sébastien Crozier, délégué CFE-CGC France Télécom. En 2009, on a frôlé la catastrophe et en 2010, on va avoir un tel excédent que l’on distribue des chèques vacances gratuitement aux salariés pour vider les comptes. L’excédent comme le déficit sont mauvais et soulignent une grande immaturité dans la gestion.»
Des voix commencent à demander un meilleur contrôle des comités d’entreprise. «C’est la fin d’une époque, explique Agnès Verdier-Molinié. La plupart de ces comités d’entreprise ont financé les syndicats et ont été pour les grands groupes un moyen d’acheter la paix sociale.» Une pratique que reconnaît la CGT d’Air France dans une récente publication: «Air France y a trouvé son compte : en contrepartie de ses largesses financières, le CCE a accompagné l’ensemble des projets de la direction, sacrifiant pour des intérêts mercantiles la défense des salariés de la compagnie.»