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Des centaines de logements prestigieux acquis par la banque ont été vidés et laissés à l’abandon pour une vaste opération financière. La mairie assure que les 300 à 400 logements de la rue de la République, en déshérence depuis des années, vont être rénovés avant la fin 2013.  Derrière cette réhabilitation, se cache une cascade de holdings financières qui remonte à Lehman Brothers, la fameuse banque d’affaires américaine mise en faillite en septembre 2008.

Reprenons dès le début. La rue de la République est une voie impériale, le plus bel ensemble d’immeubles haussmaniens d’Europe, 1,2 kilomètre de façades, flanquée de balcons, ornées de corniches et de stucs ouvragés. Percée en 1860, elle n’attirera jamais la clientèle aisée, mais une autre, populaire, et, faute d’investissements, le patrimoine part aujourd’hui à vau-l’eau. Jusqu’à ce que la mairie de Marseille parie sur l’Amérique et ses banquiers pour le restaurer.

La première cession d’un gros bloc de logements (environ 1 350) sera, en 2004, pour Lone Star, un fonds d’investissement. Qui refile la patate chaude (600 à 650 logements) à Lehman Brothers, en novembre 2007. C’est là que le micmac commence. Lehman bascule le portefeuille marseillais, six mois après l’avoir acheté, dans son fonds immobilier (LBREP), qui confie la gestion à un opérateur français, Atemi.

L’affaire se fait dans le dos des «petits» investisseurs américains, actionnaires du fonds, qui ont depuis déclenché une class action. Et pour cause, Lehman vend à LBREP 155 millions de dollars ce qu’il vient d’acheter 130,5 millions, empochant au passage 24,5 millions de dollars de plus-value. Quatre mois plus tard, Lehman est en faillite.

Trottoir

Le deuxième chapitre concerne plus directement notre rue de la République. Pour financer son acquisition, LBRP, comme c’est la coutume dans toute opération spéculative, a emprunté. A qui ? A la filiale allemande de Lehman Brothers. Qui est aujourd’hui elle aussi en faillite. Mais, même pendant la liquidation, les affaires continuent. Car, depuis le trottoir, voilà ce que le Marseillais comprend de l’histoire : «Nous suivons cette affaire depuis 2004, explique l’association Un centre-ville pour tous. Les fonds ont vidé la rue de la République de la majorité de ses habitants en disant qu’ils ne savaient pas rénover si les immeubles continuaient d’être habités. Des dizaines de familles ont été poussées dehors entre 2005 et 2007, pour rien ! Et maintenant, on est face à des investisseurs qui organisent la faillite de l’opération. On est dans la voyoucratie.»

Ainsi, le jeu des émanations de Lehman serait à double bande. Premier temps : LBREP laisse se dégrader son actif immobilier en gelant tout investissement et en expulsant les locataires. Second temps : le fonds se retourne vers son banquier (en l’occurrence le liquidateur de Lehman Brothers Allemagne) et lui explique que les immeubles ne valant plus rien, il serait plus judicieux de lui céder ses créances à moitié prix. D’ailleurs en mai dernier, l’affaire est bouclée : la LBREP rachète sa dette à 50% de son prix. Jolie opération.

Retombées

Pour la ville de Marseille, l’affaire sent mauvais. En mai, le maire, Jean-Claude Gaudin, convoque Marc Newman, le patron de LBREP, et Guy de Boisgrollier, le président d’Atemi. «On leur a dit clairement qu’on voulait un protocole pour la reprise des travaux», raconte Roland Blum, premier adjoint. Probablement inquiet des retombées médiatiques, Stéphane Richard, actuel patron de France Télécom et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, rend en octobre son mandat d’administrateur d’Atemi. «Trop de boulot», a-t-il dit en affirmant qu’il n’y siégeait plus depuis des années.

L’été passe, et les esprits s’échauffent. A l’automne, Antoine Richard, de l’association Un centre-ville pour tous, monte à nouveau l’assaut. Il écrit au maire, le 29 novembre. Il évoque «la spéculation immobilière dont les instigateurs seraient, cette fois, les dirigeants de Lehman Brothers». Et invite le maire à «une reprise en main». A-t-il été entendu ? Toute cette agitation fait en tout cas sourire Guy de Boisgrollier, le président d’Atemi : «On est d’accord avec la mairie depuis le début de l’été !» Mieux, le protocole «est même signé». Il s’engage «à ce que l’essentiel de la rénovation soit achevée avant que Marseille soit intronisée capitale européenne de la culture, soit en 2013». Au passage, le promoteur minimise ce qu’il reste à faire : «Encore deux trois pâtés de maison à ravaler.» Qui croire ?

Vendredi, Jean-Claude Gondard, secrétaire général de la mairie, se gardait de verser dans trop d’optimisme. «J’espère qu’on va sortir enfin de l’immobilisme. Aujourd’hui, on a un tiers de la rue rénovée, un autre tiers bloqué, et un troisième tronçon où en est entre deux eaux.» Roland Blum, le premier adjoint, relativise la portée de l’accord : «C’est un protocole d’intention.» Et menace : si la ville était lésée, «elle prendrait toutes les dispositions judiciaires, y compris faire jouer ses droits de préemption». Pas sûr d’y voir plus clair avant 2013.

Libération

(Merci à Patator)

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