Par Nouriel Roubini
Selon le FMI et d’autres institutions, le ratio de la dette publique par rapport au PIB des pays avancés va dépasser 110% en 2015, alors qu’il était de 70% pour tous ces pays avant la crise. Malheureusement aucun des deux principaux acteurs de la zone euro n’engage des mesures qui permettraient de restaurer une croissance durable à la périphérie de cette zone.
Les mesures de relance budgétaire adoptées par la plupart des pays avancés et des pays émergents lors de la récession mondiale de 2008-2009 – parallèlement à une politique de relâchement monétaire et de soutien au système financier – ont évité que la Grande récession ne se transforme en 2010 en une Grande dépression. Au moment où chaque composant de la demande privé s’écroulait, la hausse des dépenses publiques et les baisses d’impôts ont arrêté la chute libre de l’économie mondiale et créé la base d’un redémarrage.
Malheureusement dans la plupart des pays avancés les mesures de relance, les plans correspondants de sauvetage du système financier et les effets de la récession sur les revenus ont creusé le déficit budgétaire qui atteint maintenant 10% du PIB. Selon le FMI et d’autres institutions, le ratio de la dette publique par rapport au PIB va dépasser 110% en 2015, alors qu’il était de 70% pour tous ces pays avant la crise. Enfin, dans la plupart d’entre eux le vieillissement de la population va alourdir à long terme la dette publique en raison des difficultés de financement des retraites et du coût croissant des soins de santé.
C’est pourquoi les pays avancés doivent réduire leur déficit pour éviter un naufrage budgétaire. Mais nombre d’études, dont une récente du FMI, montrent qu’une hausse des impôts et une baisse des dépenses publiques ont à court terme un impact négatif sur la demande agrégée, ce qui renforce la tendance à la déflation et à la récession et s’oppose à la consolidation budgétaire.
Dans un monde idéal les responsables politiques s’engageraient de manière crédible sur des ajustements budgétaires à long terme et la meilleure solution serait qu’ils établissent un programme de réduction des dépenses et d’augmentation des impôts qui s’appliquerait progressivement au cours des 10 prochaines années, en synchronisation avec la reprise économique. De cette manière, si l’économie avait besoin d’un nouveau plan de relance budgétaire à court terme, les marchés financiers ne réagiraient pas par la hausse du coût des emprunts.
Malheureusement, la politique budgétaire adoptée par nombre de pays avancés ne va pas dans le sens d’une consolidation crédible à moyen terme (combinée avec un coup de pouce supplémentaire en faveur d’une relance à court terme).
Aux USA nous avons le pire de tous les mondes possibles. D’une part évoquer un plan de relance est de plus en plus mal vu – même au sein de l’administration Obama – et il était déjà difficile d’en parler bien avant que la victoire républicaine aux élections de mi-mandat ne rende impossible toute nouvelle mesure de ce type. D’autre part, toute consolidation à moyen terme est presque impossible dans le climat de clivage politique qui règne actuellement, avec d’un coté les républicains qui bloquent toute hausse d’impôt et de l’autre les démocrates qui sont défavorables à une réforme du budget de la protection sociale. De même, le marché obligataire n’exerce aucune pression qui pourrait amener les responsables politiques à envisager sérieusement une consolidation budgétaire à moyen terme.
Allemagne : peut-être une sortie de la zone euro
Dans la périphérie de la zone euro, le problème est à l’opposé : les faucons du marché obligataire (les bond vigilantes) exigent que la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie concentrent les mesures de consolidation en début d’exercice budgétaire – si ce n’est à voir le coût de leurs emprunts atteindre des sommets, ce qui mettrait en danger leur accès aux marchés et déclencherait une crise de la dette publique. Les marchés sont indifférents au fait que trop de consolidation en début d’exercice exacerbe la récession, rendant presque impossible la réduction de la dette et des déficits rapportés au PIB.
Pour éviter une récession persistante et destructive, les réformes budgétaires et structurelles imposées par les faucons devraient s’accompagner d’autres mesures au sein de la zone euro pour restaurer la croissance et éviter la dynamique vicieuse de l’endettement. La Banque centrale européenne (BCE) devrait relâcher sa politique monétaire de manière à affaiblir l’euro et à relancer la croissance à la périphérie de la zone euro. Et l’Allemagne devrait procéder à une baisse d’impôt temporaire – au lieu de les augmenter comme elle le prévoit – pour augmenter le revenu disponible et stimuler la demande allemande pour les biens et les services à la périphérie de la zone euro.
Malheureusement aucun des deux principaux acteurs de la zone euro n’engage des mesures qui permettraient de restaurer une croissance durable à la périphérie de cette zone. La politique monétaire de la BCE est trop resserrée et l’Allemagne concentre en début d’exercice les mesures d’austérité budgétaire. Aussi, la périphérie est-elle condamnée à un ajustement déflationniste destructeur qui va exacerber les risques de récession, d’insolvabilité et finalement de défaut de payement, avec peut-être même une sortie de la zone euro.
Au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement a donné plusieurs arguments pour justifier le choix d’une consolidation budgétaire en début d’exercice. Les faucons du marché obligataire se seraient peut-être réveillés si des mesures d’austérité n’avaient pas été adoptées très tôt ; le déficit était important et le secteur public surdimensionné. Il est toujours plus facile à un gouvernement d’appliquer des mesures rigoureuses en début de mandat, au moment où le soutien populaire est encore élevé et les prochaines élections encore lointaines.
Il est certain que le Royaume-Uni jouait avec le feu budgétaire et devait prendre des mesures d’austérité. Mais il aurait été moins risqué pour la reprise d’une économie anémiée de les appliquer plus graduellement, réservant l’ajustement en fin d’exercice, tout en maintenant un engagement crédible de consolidation budgétaire. A la place, le gouvernement risque de se retrouver sans plan B dans le cas où le plan A (une austérité concentrée massivement en début d’exercice) conduit à une récession à double creux.
Autrement dit, dans la plupart des pays la meilleure politique budgétaire passe par un engagement crédible de consolidation à moyen terme avec des mesures d’austérité appliquée en fin d’exercice, accompagné si nécessaire de plans de relance additionnels si l’état du marché le permet. Cela éviterait la perspective d’une spirale déflationniste conduisant à la récession. Malheureusement, les principaux pays avancés suivent une toute autre voie – qui dans certains cas les conduira dans la direction opposée en 2011. C’est pourquoi augmentent les risques de déflation par la dette, suivie de faillites chaotiques des États et du secteur privé.