Pour Luis Martinez, Directeur de recherche au CERI-Sciences-Po et directeur scientifique à l’institut de la gouvernance à Rabat, le modèle économique de l’Algérie, fondé sur les hydrocarbures, ne bénéficie qu’à une minorité de privilégiés. D’où la colère actuelle de la population.
L’Algérie est-elle tombée dans le piège de la malédiction de la rente pétrolière ?
Tout à fait. Le boom pétrolier qui s’est enclenché en 2002-2003 a, certes, sauvé le pays de la banqueroute.
Rappelons qu’au début de la décennie, l’Algérie avait une dette colossale et le pays était quasiment ruiné. L’envolée du prix du baril lui a procuré des revenus extérieurs inespérés, qui ont rempli extrêmement rapidement les caisses de l’Etat. L’Algérie a aujourd’hui remboursé quasiment la totalité de sa dette publique et les réserves se montent à près de 150 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB. Le pays s’est transformé en un véritable chantier : routes, autoroutes, ports, aéroports, métro…
Sauf que cette rente pétrolière a fait le bonheur d’une minorité et la tristesse de la majorité. La richesse pétrolière accumulée n’a absolument pas profité à la population d’où la colère actuelle. A longueur de journée les Algériens entendent parler dans les médias de nouvelles découvertes d’hydrocarbures, ce qui alimente leurs attentes et leur frustration…
Le chômage continue-t-il de gangréner l’économie ?
Effectivement. La croissance, tirée essentiellement par les hydrocarbures et les chantiers d’infrastructures, a été extrêmement pauvres en créations d’emplois. Officiellement, le taux de chômage est de 10 à 12%. Dans la réalité, il est plus proche des 25%. Car une partie des demandeurs d’emploi ne sont tout simplement pas inscrits.
On estime que la moitié de la population active est employée dans le secteur informel, des emplois dans la restauration, le bâtiment, extrêmement précaires. Ce sentiment de précarité et de pauvreté alimente la contestation sociale.
A l’instar de la Tunisie, la contestation sociale peut-elle s’accentuer en Algérie ?
Les situations politiques sont très différentes entre les deux pays. A court terme, le gouvernement Bouteflika a les moyens financiers d’acheter la paix sociale. C’est d’ailleurs ce qu’il vient de faire, en annonçant une baisse des prix du sucre et de l’huile, pour la semaine prochaine. C’est l’Etat qui prendra à sa charge le différentiel entre le prix de ces denrées et le tarif payé effectivement par les familles.
A terme, pour ne pas exploser socialement, l’Algérie doit sortir de ce modèle de croissance, basé essentiellement sur le pétrole et le gaz. Surtout, le pays doit se doter d’institutions susceptibles d’exercer un contrôle sur les usages de la rente pétrolière. Aujourd’hui, la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances sont totalement paralysées.