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L’association alsacienne Cresus est débordée par les appels à l’aide des ménages étranglés par des dettes qu’ils n’arrivent pas à rembourser.

Il n’a pas une minute de répit, le téléphone n’arrête pas de sonner. Jean-Louis Kiehl préside l’association Cresus qui aide les familles surendettées ou confrontées à de grosses difficultés financières. «Quand on a créé l’association il y a 18 ans, on pensait que c’était pour un ou deux ans. Que le problème n’allait pas durer».

Aujourd’hui, ils sont sept salariés à plein temps et près de 500 bénévoles en France pour répondre à une demande toujours plus importante. L’année dernière, ils ont mené 150.000 consultations, soit une hausse de 66% en un an.

Aujourd’hui, le surendettement n’épargne plus les classes moyennes. «Jusqu’à une certaine époque, on recevait essentiellement des personnes sans emploi. Mais depuis quelques années, on voit déraper des ménages qui travaillent, gagnent environ 2.500 euros à deux. Ce n’est plus un phénomène marginal», constate Nathalie Bueb, chargée de la prévention et de l’accompagnement budgétaire.

Dans les locaux de l’association-mère, à Strasbourg, elle voit défiler des travailleurs indépendants comme Olivier, qui a tenu vaille que vaille son activité de chauffeur-livreur une dizaine d’années, avant de déposer le bilan et «de glisser petit à petit dans le surendettement».

Elle reçoit désormais — et de plus en plus — des fonctionnaires, des cadres d’entreprises, des employés de banque, des retraités qui s’endettent pour aider leurs enfants. Tous se retrouvent étranglés par des prêts qu’ils n’arrivent pas à rembourser. Dans la plupart des cas, ils sont tombés dans le piège des crédits renouvelables.

Quand un crédit sert à en rembourser un autre

«Je ne sais plus comment faire, et cette erreur qui m’empêche de vivre. Ils finiront par me tuer. Je vous le demande avec honte, aidez-moi». Jean-Louis Kiehl nous lit à voix haute le dernier mail reçu. Le cas typique. L’histoire d’un couple, la trentaine, deux enfants de 11 et 6 ans. Lui est employé de mairie, elle garde des enfants à domicile. A eux deux, ils gagnent 2.250 euros par mois, plus les 125 euros d’allocations familiales. Entre le loyer de 650 euros, les frais de cantine, l’essence…, les fins de mois sont tendues.

Ils prennent un crédit à la consommation, en se disant «ça ira mieux demain, on remboursera sans problème». Sauf qu’avec des intérêts à 20%, la facture augmente très vite. Du coup, deuxième prêt pour rembourser le premier… Commence alors la spirale. «C’est exactement ce que faisait Madoff mais dans le sens inverse. Les gens reprennent sans cesse des crédits pour rembourser les précédents. Jusqu’au jour où un organisme de crédit dit stop, et là, c’est déjà trop tard», explique Laura Goubert, ancienne banquière, arrivée à Cresus il y a six mois.

Certains se retrouvent avec plus de 20 crédits cumulés et des sommes astronomiques à rembourser. Tout en pianotant sur son clavier, Laura Goubert nous raconte le cas de ces retraités, 4.400 euros de revenus à deux… Et 5.000 euros de dettes à rembourser tous les mois (11 crédits amortissables et 9 renouvelables). Le mari a trouvé un petit boulot de livreur pour 900 euros mensuels, mais cela ne suffit plus.

«Les gens viennent nous voir une fois qu’il est trop tard»

Laura Goubert se démène depuis des semaines pour baisser les mensualités de ce couple de retraités et leur éviter la case «interdit bancaire». «J’ai fait des regroupements de prêts pour réduire le nombre de crédits renouvelables qui ont des taux à 20% et les remplacer par des crédits amortissables à 8%. On joue aussi sur l’allongement des durées pour baisser les mensualités. On a réussi à réduire les remboursements de 5.000 à 2.642 euros», dit-elle avec une pointe de fierté.

Si elle arrive encore à «jouer un peu la marge», les deux retraités pourraient s’en sortir. Depuis cet été, l’association développe cette mission d’intermédiation pour trouver des arrangements directement avec les organismes de crédit. Dans le cadre d’une expérimentation, la banque postale de financement va plus loin. Au moindre défaut de paiement constaté, elle oriente les familles vers l’association pour un «accompagnement budgétaire».

C’est tout l’enjeu aujourd’hui: arriver à détecter les problèmes plus tôt. «Les gens viennent nous voir une fois qu’il est trop tard», regrette Nathalie Bueb. Quand les dettes sont trop lourdes, les impayés trop nombreux, la seule échappatoire est alors de déposer un dossier de surendettement à la Banque de France. 700.000 procédures sont en cours d’exécution. Un plan de remboursement est établi, déterminant la somme mensuelle à reverser aux créanciers en fonction des revenus.

Désormais, au bout de huit ans, l’ardoise est effacée. «C’est ce droit à la seconde chance que l’on a réussi à obtenir dans la loi Lagarde, entrée en vigueur en novembre», précise Jean-Louis Kiehl.

Les bénévoles ? Des anciens banquiers…

Pour les aider dans leurs démarches, l’association fait appel à des bénévoles. La plupart sont des avocats ou des banquiers à la retraite, comme cet ancien directeur de crédits dans une grande banque parisienne. Il s’est investi dans l’association il y a trois ans, conscient des dérives des crédits à la consommation. «Quand j’étais en poste, je ne travaillais pas du tout avec le même public. J’accordais des prêts de plusieurs millions d’euros. A ce niveau, on vérifie bien la solvabilité des personnes, j’engageais ma responsabilité».

Or, aujourd’hui, c’est bien là tout le problème, les organismes de crédit accordent des prêts à tour de bras sans vérifier la capacité de remboursement de l’emprunteur. Il suffit d’aller dans n’importe quelle grande surface pour se voir proposer un crédit.

Cresus milite depuis des années pour que soit créé, comme dans tous les pays européens, un fichier recensant les crédits contractés, leur montant et la durée de remboursement.

«Ce fichier, c’est le seul moyen de responsabiliser les banques et d’éviter les drames comme celui qu’on vient de connaître encore ces derniers jours», martèle Jean-Louis Kiehl. Mardi, un homme d’une soixantaine d’années, croulant sous les dettes, s’est pendu après avoir tué sa femme, sa fille et sa mère. «Ce n’est pas un cas isolé. Mercredi matin, sur RTL, un auditeur a appelé pour dire que son fils aussi s’était suicidé à cause des crédits. Un militaire».

La ministre de l’Economie, Christine Lagarde, a mis sur pied un comité chargé de réfléchir aux contours d’un tel fichier. «Mais les lobbies bancaires sont puissants. BNP (Cetelem…) et le Crédit agricole (Sofinco, Finaref…) détiennent ensemble 54% du marché des crédits à la consommation. Ces banques ne veulent pas du fichier, elles feront tout pour qu’il ne voie pas le jour».

Libération

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