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Par Jacques Sapir

John Singer Sargent, Les Danaïdes (1925)

Notre Président a, dans son allocution du 31 décembre, affirmé que l’euro serait défendu « à tout prix ». Tout le monde sait ce que valent de telles déclarations. En août 1998, un Boris Eltsine pathétique et trébuchant sur ses mots avait déclaré qu’un défaut était hors de question ainsi qu’une dévaluation. Le lundi suivant, les deux mesures étaient devenues une réalité…

La déclaration de Nicolas Sarkozy indique cependant la gravité de la situation, et c’est bien ainsi que les marchés l’ont interprété. Elle vaut reconnaissance de la crise de l’euro, une crise qui a été niée jusqu’au printemps 2010, puis avec constance considérée comme « réglée » par les différentes mesures prises.

Cette déclaration est profondément stupide. Elle l’est tout d’abord car, loin de rassurer les marchés, elle leur fixe un objectif ; ils n’auront désormais de cesse de tester la volonté des gouvernements sur ce point.

Elle l’est, ensuite, car une telle déclaration prise à l’échelle de la France ne vaut rien et cela tout le monde le comprend. Une déclaration faite par les dirigeants allemands, français, espagnols et italiens pourrait – peut-être – avoir une certaine crédibilité. Mais, faite au seul niveau de la France, ceci équivaut à prétendre que désormais nous porterions, seuls, le poids de la défense de l’euro. Tout le monde comprend qu’il n’en est rien et qu’il ne peut pas en être autrement.

Elle l’est, enfin, parce qu’elle enferme notre pays dans une stratégie sans espoir et sans issue.

Elle est sans espoir, car la seule perspective qui est alors offerte est de pratiquer sans cesse un ajustement budgétaire de plus en plus rigoureux. Or, avec la baisse de la croissance, les recettes fiscales seront en réalité moins importantes que prévues dans la loi de finances. La réduction du déficit sera donc moins importante qu’espérée et l’on en prendra prétexte pour nous infliger un nouveau plan de rigueur.

Elle est sans issue, parce qu’il n’est plus dans le pouvoir de plans de rigueur de calmer les marchés. Seul un changement de politique de la part de l’Allemagne pourrait y aboutir. Il faudrait cependant que les dirigeants allemands acceptent d’abandonner l’orthodoxie monétaire qui est leur fonds de commerce et pratiquent une relance à la mesure des plans de rigueur qu’ils ont imposés aux autres pays.

Mais comment croire que ceci puisse être possible, si l’on n’évoque pas une autre stratégie ? En intégrant nous-mêmes la position des dirigeants allemands, nous fermons la porte à toute possibilité de pression sur ces derniers.

Une telle déclaration équivaut cependant à un choix : celui de la finance contre l’industrie et, globalement, toutes les activités réellement productrices dans notre pays, qui sont abandonnées au bon vouloir des spéculateurs. Choisir aujourd’hui la défense à tout prix de l’euro, c’est faire le choix de la surévaluation de la monnaie unique, une surévaluation qui étrangle nos producteurs et qui condamne une large partie de notre population à la stagnation ou à la régression sociale.

Il est bien temps alors d’évoquer les nécessaires protections que l’Union Européenne pourrait nous fournir, mais qu’en réalité elle ne nous fournit point. On voit bien que le discours tardif sur la nécessité de formes de protectionnisme, parce qu’il exclut de son champ la question du taux de change, ne peut servir que de dérivatif.

Il faut encore noter que, dans son discours, si Nicolas Sarkozy a usé de l’impératif pour la défense de l’euro, il a utilisé un conditionnel en ce qui concerne la mise en place de mesures protectionnistes, et ceci pour la bonne raison que de telles mesures dépendent en réalité du bon (ou du mauvais…) vouloir de nos partenaires européens.

Les effets de la surévaluation de l’euro sur l’économie française ont été dévastateurs et se sont combinés, jusqu’en 2008, avec les effets des taux d’intérêts imposés par la poursuite de l’inflation « la plus basse possible » par la BCE.

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Si nous prenons un taux de change moyen de 1 Euro pour 1,05 Dollars comme correspondant à une parité économique, on constate que l’euro, après une période de sous-évaluation, s’est très fortement apprécié par la suite. Le dollar servant de point de référence à de nombreuses monnaies (en particulier en Asie) ceci est représentatif d’une surévaluation globale de la monnaie européenne. Notons que le taux de change de 1,05 Dollars est propre à la France. Pour l’Espagne et la Grèce, il faudrait probablement un taux de 0,90 – 0,95 Dollars et, pour l’Italie, de 0,95-1,00 Dollars.

La surévaluation de l’euro a coûté environ 1% de croissance par tranche de 10% de surévaluation. Bien entendu, c’est par simplification que l’on suppose l’effet de la surévaluation linéaire. En fait, il semble que cet effet soit bien plus faible quand l’Euro est proche de sa parité théorique, et beaucoup plus fort quand il s’en éloigne de manière importante.

On peut ainsi calculer ce qu’aurait été le PIB de la France, si le taux de change avait été maintenu à cette valeur de 1 Euro pour 1,05 Dollars et ceci, en supposant maintenue la politique des taux d’intérêts ; dont on peut penser qu’elle a dû nous coûter entre 0,5% et 1,5% de croissance par an, suivant les périodes, dans la mesure où le taux d’inflation français a été maintenu en dessous du taux structurel.

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On constate, en tenant compte des délais d’ajustements habituels pour ce genre de calcul, que le PIB notionnel est inférieur au PIB réel du 4ème trimestre 2001 au 1er trimestre 2005, mais qu’il devient ensuite très rapidement supérieur, pour aboutir au 3ème trimestre 2010 à un écart instantané de 11,6%.

L’écart cumulé entre le PIB notionnel et le PIB réel équivaut, à la même époque, à l’équivalent d’un trimestre (403 milliards d’Euros). Il est possible, alors, d’en déduire des recettes publiques plus importantes (équivalentes à 4% du PIB) et, par là, un déficit budgétaire sensiblement plus faible, et comparable, en fait, à celui de l’Allemagne.

Bien sûr, ceci reste en partie théorique. Si la France n’avait pas fait partie de la zone Euro, les taux d’intérêts de cette même zone ne ce seraient pas appliqués à l’économie française. Si nous étions restés ouverts aux mouvements spéculatifs des capitaux, nous aurions été certainement obligés de nous imposer des taux d’intérêts plus élevés. Mais, si nous avions adopté un système de contrôle de ces mêmes flux, nous aurions pu retrouver notre liberté d’action en matière de taux d’intérêts et avoir alors des taux inférieurs à ceux que nous avons connus dans la zone euro…

En fait, la zone euro telle qu’elle fonctionne aujourd’hui est cohérente avec une certaine politique, qu’il s’agisse de la sphère financière ou de l’économie réelle. Cette politique a eu des effets négatifs absolument indubitables et, de 2005 au troisième trimestre 2010, nous a coûté 10% de croissance au minimum.

Soit nous pouvons changer le fonctionnement de la zone euro, soit nous devrons la quitter. Mais il est clair que, dans sa forme actuelle, la zone euro n’a pour nous que des inconvénients. Il vaudrait mieux que la première solution prévale. Mais pour cela, il nous faut construire un rapport de force avec l’Allemagne et cesser d’approuver tout ce qui nous vient d’outre-Rhin.

Ce n’est pas le parti qu’a pris notre Président dans son allocution du 31 décembre. Il devra donc assumer la responsabilité, soit de l’enfoncement de notre pays dans la régression économique et sociale, soit d’aboutir in fine à une sortie de l’euro absolument inévitable.

Marianne2

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