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Par Frédéric Ploquin Marianne N°717 (Édition papier, p 62)

Depuis l’arnaque du Sentier, dans les années 90, la “jewish connection” du gangstérisme parisien semblait se tenir au calme. Et voilà que les escrocs ont flairé le vert : non pas l’odeur des dollars, mais celle d’une carambouille écolo qui permet d’empocher des millions. Et qui réveille une guerre des clans où les premiers cadavres commencent à tomber…

Depuis quelques mois, le gangstérisme juif revit des heures agitées. Enlèvements, règlements de comptes, menaces, valises de billets en partance pour Israël… On se croirait revenu aux riches heures de l’épopée parisienne des frères Zemour, ces pieds-noirs originaires de Sétif qui tenaient le pavé parisien dans les années 70. Mais les chefs de file de la nouvelle “jewish connection” ne mouillent pas dans le proxénétisme, encore moins dans les casinos comme au temps des frangins Z.

Non, ces champions de l’escroquerie trempent dans le commerce virtuel et les transactions financières planétaires. Leur came à eux, ce sont les milliards d’euros du marché vert de la finance carbone. Vert comme le dollar…

Plus abstrait que ce qui fait d’ordinaire la fortune des bandits, le domaine est bien plus juteux qu’il n’y paraît. De quoi s’agit-il ? Depuis le 1er janvier 2008, le protocole de Kyoto, visant à réduire les gaz à effet de serre, a instauré un système de droits d’émission de dioxyde de carbone (CO2) ; il peut ensuite vendre à de moins vertueux son “droit de polluer” non utilisé. Pour la seule année 2009, les transactions enregistrées en Europe, dans le cadre de cette vaste bourse d’échange du CO2, se chiffrent à 89 milliards d’euros.

Les escrocs se sont vite aperçus qu’ils pouvaient s’enrichir en intervenant sur la marché, et en facturant une TVA qu’ils ne remboursent pas.

C’est Tracfin, la cellule de lutte contre le blanchissement d’argent, qui a d’abord donné l’alerte. Mais, entre-temps, les cadavres ont commencé à tomber. Le premier, un vendredi de printemps, le 30 avril 2010. Ce jour-là vers 13 heures, “Amar les Yeux bleus”, un ancien braqueur qui fait fortune dans le CO2, s’apprête à entrer Au bois doré, une brasserie de Saint-Mandé (Val-de-Marne) en bordure de Paris. Accompagné d’un ami, cet élégant garçon de 35 ans, d’origine algérienne, ne voit pas les deux hommes surgir d’une camionnette en stationnement. L’un deux lui tire dessus à quatre reprises, le touchant en pleine tête. L’exécution porte la signature du grand banditisme, rien n’ayant été laissé au hasard : tenue noire, fuite à moto avec brassard de police, camionnette incendiée, balle de 22 long rifle. Une véritable opération commando, menée contre un homme dont les gains fabuleux commençaient à faire des jaloux, un homme qui se sentait menacé et avait tenu à le faire savoir en déposant plusieurs mains courantes au commissariat de Vincennes.

Le feu parle encore, dans la capitale cette fois, le 14 septembre 2010 vers 20 h 30. L’homme qui est visé ce soir-là s’appelle Sami Saouied, il a 45 ans et les tueurs lancés à ses trousses sont particulièrement bien renseignés : la veille encore, il était en Israël. Il ne devait passer qu’une nuit à Paris, où lui non plus ne se sentait pas en sécurité. Ce soir-là, il avait rendez-vous avec un ami devant le Palais des congrès, porte Maillot, un de ses lieux de rendez-vous privilégiés. Deux hommes approchent, juchés sur un scooter blanc. L’un d’eux brandit une arme de poing équipée d’un silencieux, avant de tirer cinq fois en direction de sa cible. Touché à la poitrine et à la clavicule, Sami Souied parvient à se réfugier entre deux voitures, tandis que le puissant deux-roues s’éloigne en direction de la Défense. L’arrivée des secours ne permet pas de le réanimer. Contrat rempli pour les tueurs, des petites mains probablement recrutées pour l’occasion, qui n’en voulaient pas à l’argent de leur victime, puisqu’ils ont laissé les 300.000 € qu’il transportait.

Sami Souied symbolise toutes les escroqueries du milieu juif, à lui seul. L’arnaque aux faux encarts publicitaires, il en était. Il a aussi touché au poker, côté tricheurs. Et flirtait depuis longtemps avec la TVA miraculeuse, d’abord dans le secteur de la téléphonie, avant de découvrir le monde merveilleux du marché carbone. “L’arnaque à la pub a été leur école, raconte un avocat parisien qui a bien connu ces escrocs. Ils ont commencé par inventer des journaux qui n’existaient pas. Ils les remplissaient d’encarts publicitaires fictifs et disparaissaient. Après quelques ennuis, ils ont cherché a s’appuyer sur de véritables supports. Ils ont démarché un syndicat de police, des gendarmes, et leur ont proposé de gérer la pub de leurs revues. Dans leur dos, ils maniaient le bâton pour remplir leurs carnets de commandes. Ils ont ainsi ratissé la communauté chinoise sur le mode : “Si vous ne donnez pas, attendez-vous à voir venir les services d’hygiène !” Ils y allaient au baratin, et le plus souvent ça marchait“.

Escrocs multicartes

Un temps réfugiés en Israël, ces escrocs multicartes refont parler d’eux dans les années 90, quand éclate l’affaire dite “du Sentier“, une vaste opération de blanchiment d’argent “gris” de la confection. Plus de 150 prévenus sont traduits devant le tribunal correctionnel de Paris pour des millions d’euros qui échappent au fisc français. Mais ce “pillage” selon le terme du procureur, n’est qu’un enfantillage au regard de l’énorme coup qui se joue ces derniers mois autour du CO2. Un champ en friche, qu’il s’agit d’exploiter tant qu’il y a des failles, autrement dit tant que les disparités entre les différents pays européens offrent maintes possibilités de jonglage. Du moins pour tous ceux qui disposent d’espèces… Le milieu juif parisien est le premier à détecter les faiblesses du système. Et Sami Souied est aux avant-postes, prêt à suivre sur ses ordinateurs portables le parcours des millions d’euros qu’il mise bientôt sur ce tapis vert virtuel, où l’on gagne (presque) à tous les coups…

Concrètement, comment engrange-t-on de telles sommes sans attaquer la moindre banque ? Pour commencer, nous explique (anonymement) un adepte de ce nouvel eldorado, on monte une société à Chypre, paradis fiscal bien connu. On place à sa tête un gérant de paille qui, pour la modique somme de 7.000 €, assure son rôle de paravent. La société chypriote ouvre dans la foulée une succursale à Londres, laquelle demande et obtient un agrément pour pouvoir intervenir sur le marché du CO2 – en attendant celui du gaz naturel et de l’électricité, prochaines cibles de ces faiseurs d’argent. Il faut ensuite trouver le bon broker (“courtier”), celui qui acceptera de procéder aux transactions, moyennant une rémunération de 10%. Ou plutôt “les” bons brokers, car un courtier ne sert en général qu’une fois.

La somme investie, qui tourne facilement autour du million d’euros, est envoyée vers l’Allemagne, par exemple, avant de revenir en Angleterre, dégageant une TVA qui disparaît vers Chypre. Soit 19,6% du montant total engagé, ce qui n’est pas rien. “A raison de sept va-et-vient par semaine, on accumule très vite des bénéfices colossaux“, observe un connaisseur. Parce que, à la différence des acteurs honnêtes qui interviennent sur ce marché, eux ne remboursent jamais la TVA. A Chypre, le “gégé” (aimable surnom du gérant) se charge de la “décaisse” : il sort l’argent en espèce, pour le rapatrier vers Israël ou toute autre destination. En espérant que les “victimes“, en l’occurence les États européens, mettront un certain temps à s’apercevoir du manque à gagner, et plus de temps encore à réagir. En général, plusieurs mois s’écoulent, et les sociétés auront été dissoutes – elles dépassent rarement les six mois de vie active…

Comme toute les escroqueries en chaînes, ça marche à la confiance, raconte un des bénéficiaires occultes du plan CO2. Le milieu juif est assez petit pour que tout le monde se connaisse. Il faut que le gérant soit vraiment un homme du sérail, d’autant que, si l’arnaque est découverte, c’est lui qui va aller au placard – cinq ans au maximum, mais quand même… Il faut surtout que tous les partenaires y croient, autrement ça explose en vol“. Les difficultés surgissent au moment de sécuriser ces transferts et de contrôler le nombre de “passages” effectués entre Londres et l’Allemagne. Celui qui apporte la mise initiale bénéficie normalement d’un “passage”, mais les différents participants n’oublient pas de se servir. Et de faire fructifier l’argent qu’on leur a confié. Ceux-ci ont surtout vite compris l’usage qu’ils pouvaient faire des pertes en lignes : comme les passeurs de drogue invoquent parfois auprès de leurs créanciers des saisies douanières, les pros du CO2 ont un joker dans leur manche. Il leur est toujours possible d’expliquer aux financiers que la machine administrative s’est grippée. Que la fraude a été démasquée et qu’il doivent tirer un trait sur la mise initiale…

Dans cette période faste où l’argent s’est multiplié facilement dans le dos des beaux principes écolo européens, tous les appétits se sont aiguisés. Et le milieu juif, qui privilégiait jusqu’ici le business intracommunautaire, s’est vie retrouvé dépassé. Pas mal de très jeunes entrepreneurs qui ont voulu en croquer ont dû quérir des protections à l’extérieur. “Les Feujs ont fait appel aux Beurs parce qu’ils ont besoin de sécuriser leurs gains, confirme un membre du milieu traditionnel, approché plusieurs fois par les as du carrousel à la TVA. Ils ont fait des milliards et se sont mis à avoir peur du racket.” Il est ainsi devenu de bon ton d’inviter quelques gangsters patentés aux baptêmes et aux mariages juifs, voire de recruter un parrain (au sens premier du terme) parmi ces invités peu recommandables !

Se plier aux diktats

C’est ainsi qu’un garçon comme “Amar les Yeux bleus” se serait retrouvé en contact avec eux. Recruté pour sa solide expérience de voyou, il aurait à son tour flairé le filon. Et de supervigile, serait devenu voleur. Considéré par ses pairs comme un “vaillant”, Amar avait établi son quartier général dans un bar à vins de la très huppée avenue de Suffren, à Paris. C’est là qu’il rencontrait ses amis feujs, qu’il concoctait avec eux ses futures opérations sur le blue market, mais aussi ses investissements, notamment dans l’immobilier. Toujours assis le dos au mur, face à la salle. Connu pour ponctuer ses textos de mystérieux “+”, le jeune Franco-Algérien était injoignable les jours de shabbat, comme s’il craignait de déplaire à ses nouveaux partenaires. “Amar parlait à beaucoup de monde“, témoigne un voyou qui l’a côtoyé. Normal, quand on fait dans le recouvrement de créances, un métier où l’on joue sans cesse de la menace – en passant le moins souvent possible à l’acte. Avec de très forts risques d’emballement lorsque les sommes en jeu deviennent faramineuses, ce qui a été le cas avec le CO2.

Quand le butin s’élève à plus de 100 millions d’euros, ça fait bouger du monde, confirme un observateur attentif de cette saga. Des sommes de 3 à 4 millions disparaissent toutes les semaines, sans que l’on sache s’il s’agit d’arnaques ou de véritables saisies. Des villas de milliardaires se perdent et se gagnent en une transaction“. Dans le milieu, on a connu des guerres pour moins que ça ! “Les Feujs se sont unis avec des voleurs qui n’ont plus eu qu’une seule envie, celle de les doubler, décrypte un proche du défunt Amar. Porter une valise pleine de fric d’un coin à un autres, cela finit par donner des idées. Amar se la jouait. Il répétait à qui voulait l’entendre qu’il avait une grosse équipe derrière lui. Mais il était presque seul.

Pour nous, précise un gangster parisien, c’est la moitié ou rien. Et s’ils ne sont pas contents, c’est tout pour nous !” Gare à celui qui ne se plie pas aux diktats. Ou alors, il devra se tourner vers d’autres “protecteurs”. Les contentieux se sont ainsi multipliés. “Amar les Yeux bleux” a-t-il fait croire à ses interlocuteurs que le système s’était grippé, gardant par-devers lui investissement initial et bénéfices ? C’est l’hypothèse qui circule dans les milieux informés. Pas mal de “porteurs” auraient ainsi perdu de l’argent sur la place de Paris, après en avoir énormément gagné, jusqu’à 5 millions d’euros dans la même journée pour le mieux loti, sachant que la mise initiale est rarement inférieure à 500.000 €…

Après s’être concentrés plusieurs années sur Londres, ces traders hors la loi auraient désormais jeté leur dévolu sur l’Italie, en particulier sur la région napolitaine, mais c’est bien en Israël que tout a commencé. En Israël, où séjournait encore Sami Souied la veille de sa mort, au point que les enquêteurs se demandent si le top départ n’a pas été donné à ses assassins depuis Tel-Aviv…

Marianne N°717 (Édition papier, p 62)

(Merci à Sorcière)

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