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SNAFU (Situation Normal – All fucked up [situation normale – tout est bousillé]). Cet acronyme de l’armée US, que je vous laisse le soin de traduire, résume assez bien la situation de la zone euro. Pas de rupture majeure sur la ligne du front, pas d’attaque ou de retraite éclair mais une inéluctable descente vers le marasme.

Jean-Claude Juncker et Angela Merkel

La théorie de l’effet domino sur les PIGS (la chute successive de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne) se déroule sans que rien ne semble l’arrêter. C’est aujourd’hui le Portugal qui est menacé avec le très gros morceau espagnol en point de mire.

Face à cette situation, toutes les opinions s’expriment : les euro-sceptiques de première heure se régalent (Nicolas Dupont-Aignan), d’autres prédisent la fin de l’euro pour 2011 (Emmanuel Todd).

Beaucoup en appellent à un volontarisme politique sans faille, quel qu’en soit le coût. Pour eux, l’explosion de la zone euro sonnerait le glas d’un demi-siècle de construction européenne et marquerait le début d’un inévitable déclin européen.

D’autres, les plus optimistes peut-être, voient dans la crise l’occasion de mettre un coup d’accélérateur, politique et économique, dans la gouvernance de l’Union européenne. Un mal pour un bien en somme. C’est dans cette veine qu’est apparue l’idée d’eurobonds. Les sceptiques parleront de fuite en avant … je préfère la formule de quitte ou double. Revue des enjeux et des options.


Le pot commun

Comme j’en ai discuté il y a un mois sur ce blog, à partir de la création de l’euro jusqu’à la mi-2008, tous les pays européens ont emprunté à des taux très proches pour financer leur dette auprès des marchés financiers. Peu ou prou, bons et mauvais élèves étaient alignés sur les bonnes conditions de l’Allemagne. Ce qui a permis à tous les pays de l’Euroland de se financer à de très bonnes conditions… et d’en abuser, pour certains (laxisme budgétaire en Grèce, financement d’une bulle immobilière illimitée en Irlande…).

A partir de mi-2008, tout cela explose. Chaque pays se voit traité selon son mérite propre. Les pays les plus sûrs selon les marchés (notamment les fameux “AAA”) continuent à se financer à de très faibles taux (2.9% pour l’Allemagne sur 10 ans actuellement, 3.3% pour la France) tandis que les pays en difficulté ont vu leur taux exploser (9% pour l’Irlande, 12.5% pour la Grèce, déjà plus de 7% pour le Portugal et environ 5.5% pour l’Espagne).

Le 6 décembre dernier, Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg et président de l’Eurogroupe et Giulio Tremonti, ministre des finances italien, jettent un pavé dans la mare dans une tribune du Financial Times, en avançant l’idée d’eurobonds.

L’idée est de revenir à un statu quo ante pré-crise, où tout le monde emprunterait aux mêmes conditions : une situation où tous les pays d’Europe, au lieu d’emprunter chacun de leur côté, le feraient via une agence européenne de la dette avec des obligations (des titres de dette) communes : les eurobonds. En clair ? On mélange les (au moins nouvelles) dettes de tout le monde : il n’y a plus d’émission de dette grecque ou allemande, mais une émission de dette commune émise par l’Eurozone.

Gasp ! Mélanger les beaux et bons bunds (emprunts d’Etat) allemands avec le tout-venant de la dette des pays les plus dépensiers. Le sang d’Angela Merkel n’a fait qu’un tour. Aujourd’hui, les taux de chaque pays sont fixés par leur notation (par Moody’s, Fitch ou Standard&Poor’s) et par la confiance qu’ils inspirent au marché. Demain, cette dette commune se financerait selon la confiance qu’inspire cet ensemble très hétérogène et difficile à évaluer (on peut d’ailleurs imaginer que les agences de notation devraient créer une note spécifique pour cet ensemble).

La crainte allemande (mais qui peut être partagée par la France) est que le taux de ce combo soit (nettement) plus élevé que le taux allemand. Et que cela ne renchérisse le coût de la dette allemande, ce qui peut représenter plusieurs (gros) milliards d’euros annuels. Juncker répond qu’il croit à un taux global qui serait proche du taux allemand actuel. Pour le moins optimiste ! Et envisage, sinon, que les pays “lésés” profitent d’un mécanisme compensatoire de la part des pays qui profitent du système. La Grèce qui ferait un gros chèque à l’Allemagne à la fin de chaque année ? Difficile à croire…

Une peur en cache une autre

Mais la plus grosse crainte allemande est peut-être ailleurs. La création de l’euro avait été un pari : on mettait la charrue avant les boeufs en créant la monnaie unique, en espérant qu’elle initierait une dynamique d’intégration budgétaire et de vertu économique, de la part des Etats membres de la zone euro. Pour en être sûre, l’Allemagne avait poussé à la mise en oeuvre des fameux critères de convergence de Maastricht (déficit budgétaire limité à 3% du PIB, dette limitée à 60% du PIB). On connaît la suite : de vertu, il y eut peu, de respect des critères pas beaucoup plus (notamment par la France), de sanctions aucunes.

Et aujourd’hui, on demande à l’Allemagne de doubler la mise (d’où mon expression «quitte ou double»). La première étape n’a pas marché ? Mettons en place la deuxième et croisons les doigts pour que cela marche. En espérant que tous les Etats respecteront une doctrine budgétaire sage (et si possible proche de l’allemande), seront vertueux et ne profiteront pas du système.

Evidemment, Angela Merkel a du mal à y croire (comment pourrait-il en être autrement ?). Même la possibilité de sanctions ne suffit pas à rassurer les Allemands, qui ont vu que les critères de Maastricht n’ont été qu’une menace de papier. Et de sanctions automatiques et lourdes (suppression du droit de vote), les autres pays n’en veulent pas (France en tête, qui craint d’être sanctionnée plus qu’à son tour).

Alors la messe est dite, l’Allemagne n’en voudra jamais ? Pas si évident car, pour le moment, pile l’Allemagne perd, face l’Allemagne perd. En effet, si elle risque fort d’être perdante avec les eurobonds, elle est déjà perdante actuellement (on pourrait en dire autant de la France). En effet, elle a dû mettre la main à la poche pour renflouer la Grèce et l’Irlande, peut-être demain le Portugal ou l’Espagne.

Alors, c’est soit continuer dans la stratégie du bail-out au cas par cas, soit un pari un peu fou sur l’avenir sous la forme des eurobonds. Les calculs économiques sont incertains (personne ne peut raisonnablement prédire à quel taux emprunteraient les européens réunis), la politique et les rapports de force entre nations omniprésents. La symbolique, aussi : la Bundesbank avait eu du mal à accepter sa dissolution dans la BCE, c’est un nouveau Rubicon qu’il faudrait ici franchir.

Un modèle intermédiaire

Il n’est pas interdit de réfléchir à un modèle intermédiaire. Jacques Delpla formule une idée intéressante dans Les Echos : séparer les eurobonds en deux. Une dette «bleue» intégrant la part de dette des pays de la zone euro en-dessous de 60% du PIB (donc respectant les critères de Maastricht), et une dette rouge qui engloberait le reste.

La dette bleue serait gérée par l’Agence européenne de la dette, la dette rouge resterait gérée par les Etats. La dette bleue serait réputée très sure (AAA voire AAAA) et son volume (5.000 Mds€) serait à même d’assurer un taux de financement proche de celui du taux allemand (voire plus faible).

La dette rouge, elle, continuerait à subir les aléas des taux en hausse des marchés. L’avantage est qu’un pays comme le Portugal pourrait bénéficier d’un taux de financement bas sur une partie de sa dette (jusqu’à 60% du PIB) et ceci pousserait mécaniquement les pays à respecter les critères de Maastricht, pour bénéficier d’un meilleur ratio dette bleue/dette rouge.

Au moment de la transition, les pays les plus vertueux pourraient reverser la majeure partie de leur dette existante au pot commun de la dette bleue. Le risque concerne les pays les plus endettés comme la Grèce ou l’Irlande, dont le reliquat de dette rouge verrait ses taux bondir au plafond avec un risque de défaut sur cette dette et la nécessité d’un nouveau sauvetage de la part des autres membres de l’Eurozone. Il faudrait alors fortement envisager une restructuration de leur excédent de dette, c’est-à-dire un allongement des échéances de remboursement et/ou le non-remboursement d’une partie de celle-ci.

Cette idée, si elle n’est naturellement pas exempte de défauts ou de critiques, a le mérite de la simplicité, de l’équilibre et de la mise en oeuvre d’une solution naturellement plus vertueuse que les eurobonds “purs” de Juncker et Tremonti. Le compromis final s’en inspirera-t-il ?

L’heure de vérité sonnera certainement en 2011. Si les problèmes du Portugal s’aggravent comme c’est prévisible, son sauvetage pourra se faire selon le même mécanisme que l’Irlande, sans que de nouvelles décisions drastiques soient prises. Mais si la crise glisse vers l’Espagne, l’Eurozone ne pourra plus faire l’économie du choix.

Résultat d’exploitation(s)
(Merci à Boreas)

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