En 2008, au paroxysme de la crise économique et financière, le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy, avait tapé du poing sur la table et plaidé pour l’organisation d’un nouveau Bretton Woods pour refonder un système monétaire international inadapté au monde actuel. L’an dernier, au G20 de Séoul, les pays émergents, Brésil en tête, dénoncent le risque de guerre des changes, accusant les Etats-Unis de conduire délibérément une politique d’affaiblissement du dollar.
Du coup, l’un des chantiers prioritaires de la présidence française du G20, considéré il y peu avec une certaine condescendance relevant d’une énième idée farfelue française de vouloir tout réglementer, a pris une tout autre dimension. Le sujet n’est plus tabou. Tous les membres du G20 en conviennent : l’organisation monétaire internationale doit être revue.
Reste à savoir comment faire évoluer un système basé, depuis le début des années 1970, sur des monnaies flottantes entre elles et dont le dollar est le socle. En particulier, il constitue l’essentiel des réserves de change des banques centrales internationales. Pendant près de trente ans, l’économie internationale s’en est fort bien accommodée.
Mais, la mondialisation aidant, de nouveaux acteurs économiques se sont imposés. Et, à nouveaux acteurs économiques, nouvelles monnaies. Le système monétaire international ne se résume plus aux devises des sept pays les plus industrialisés du G7. Il faut désormais compter avec le yuan chinois, la roupie indienne, le real brésilien ou encore le rouble russe ou le rand sud-africain.
Il n’y aura pas de second Bretton Woods, où, comme en 1944, le système monétaire serait revu de fond en comble pour en faire émerger un autre. C’est plus une évolution, lente et progressive, à laquelle il faut s’attendre et non à une révolution.
Il n’existe aujourd’hui aucune alternative crédible au billet vert, en tant que devise globale. Pour qu’une monnaie soit une devise de réserve, elle doit d’abord inspirer confiance. Cette dernière repose sur un pouvoir politique fort. Il faut ensuite un marché financier suffisamment large pour que les banques centrales internationales puissent placer leurs réserves dans des actifs rentables (essentiellement des titres du Trésor). Enfin, et surtout, elle doit être convertible. Quelle devise aujourd’hui rassemble ces trois éléments fondamentaux ? Aucune, exception faite du dollar.
Le yuan chinois s’appuie certes sur un pouvoir politique fort. En revanche, le marché financier chinois de titres d’Etat n’est pas suffisamment large et le yuan non seulement n’est pas convertible, mais il est très peu internationalisé.
L’euro ? L’évolution récente de la composition des réserves de change révèle que, si le dollar les compose encore à 60 %, l’euro, lui, n’en représente qu’environ 25 %. Le marché financier de l’euro est comparable à celui des Etats-Unis et la monnaie unique est convertible. En revanche, la cacophonie européenne constitue un handicap majeur quant à la force du pouvoir politique européen et la crise des dettes souveraines européennes a fragilisé sa position.
Si aucune monnaie ne peut prétendre se substituer totalement au dollar, pourquoi ne pas en créer une autre de toutes pièces ? Dans ce domaine, certains poussent à ce que les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI) jouent ce rôle ou, au moins, prennent plus d’importance en tant que devise de réserve.
L’idée n’est pas nouvelle et avait été explorée dans les années 1980, sans succès. D’une part, le DTS n’est pas une monnaie en tant que telle, mais seulement une unité de compte calculée en fonction d’un panier de devises (dollar, euro, livre sterling, yen). C’est aussi un actif de réserve des banques centrales des pays membres détenu auprès du FMI et calculé sur la base du capital détenu par chaque pays.
« Aujourd’hui, les DTS ne constituent guère plus de 4 % des réserves des banques centrales et la moitié est détenue par les pays du G7. Renforcer le rôle du DTS nécessite non seulement une approbation par 85 % des membres du Fonds, mais également une meilleure répartition du capital du FMI entre les pays riches et les pays émergents. Autant dire que le processus mettra des années », témoigne Ousmène Mandeng, conseiller en investissement chez Ashmore Investment Management et ancien responsable exécutif au FMI. Et d’ajouter que la création d’une devise de réserve globale, projet « très ambitieux », est peu probable à court terme.
L’évolution plaide plutôt pour la présence continue du dollar, couplée avec l’existence de devises dites « secondaires » pour l’épauler à l’image du monde multipolaire actuel. Autant dire que rien ne sera réglé dans les mois prochains, ce qu’a d’ailleurs reconnu Nicolas Sarkozy.
Jean-Pierre Lehmann, professeur à l’International Institute for Management Development (IMD) de Lausanne, le regrette. A ses yeux, « la présidence française devrait proposer la réunion de spécialistes financiers pendant plusieurs mois pour réfléchir au développement d’une architecture financière adaptée à ce siècle. A ce stade, ce qui a été fait relève du bricolage ». « Ce qui serait encore plus inquiétant, estime-t-il, serait d’attendre des réponses rapides à court terme. Bretton Woods a mis plusieurs mois à élaborer le système de l’après-guerre ».
Il est donc probable qu’un ensemble de propositions seront faites en fonction des intérêts de chacun. C’est là le risque principal. Une refonte totale du système ne pourrait se faire que dans l’urgence. Lors d’une crise encore plus grave que la crise actuelle.