Par François Lenglet, rédacteur en chef des services Économie, Politique et International du quotidien La Tribune
Selon nombre d’experts réunis à Davos, le monde émergent pourrait se trouver atteint à son tour par la crise, à cause de la volatilité des capitaux internationaux. Nicolas Sarkozy a justement fait de ce thème l’un des axes de sa présidence du G20, en militant pour que le FMI surveille davantage les flux. Seul problème, à l’origine de ces flux déstabilisants se trouve… la Fed.
Retour au réalisme ? S’exprimant à Davos l’année dernière, Nicolas Sarkozy avait abasourdi son auditoire en proposant la création d’un « nouveau Bretton Woods », réplique du séminaire historique de l’après-guerre où l’on avait reconstruit le système monétaire international, grâce aux conseils de John Maynard Keynes. Rien de tel cette année. Le président s’est rabattu sur des objectifs plus modestes, certes, mais aussi plus précis.
Désormais en charge du G 20, il entend mettre en place un système de régulation des flux de capitaux internationaux – les capitaux privés qui passent d’un pays à l’autre, provenant pour l’essentiel d’investisseurs financiers à la recherche de rendement. Ces flux profitent d’une liberté quasi totale depuis le démantèlement du contrôle des changes dans les années 1980 et 1990, conduit alors sous l’égide du Fonds monétaire.
Aujourd’hui, ce flot d’argent part massivement vers les pays émergents, pour profiter de la croissance forte qui y prévaut, et en retirer une rémunération que les pays développés ne peuvent plus offrir. En 2011, les flux d’investissement vers les émergents devraient atteindre 1.000 milliards de dollars. Dans le monde idéal, cette manne financerait la croissance des pays jeunes et payerait la retraite des pays vieux, grâce aux dividendes.
Mais le problème du monde idéal, c’est qu’il n’existe pas. Car ces capitaux sont éminemment volatils. À la moindre mauvaise surprise, ils se retirent, laissant les bénéficiaires exsangues. Et à l’inverse, lorsqu’ils arrivent massivement, ils provoquent bulles spéculatives sur la Bourse et l’immobilier, ou bien hausse des prix et surchauffe, ce qui n’est guère mieux.
Il y a peu, le Brésil et la Corée ont été contraints de mettre en place des taxes à l’entrée pour dissuader les capitaux excessifs, par crainte de voir leur économie soufflée artificiellement. Quant à la Chine, elle n’a jamais permis ces mouvements spéculatifs, refusant de se développer à la merci des capitaux à court terme. En 1997, l’Asie avait ainsi connu un tel retrait brutal des capitaux internationaux. En quelques semaines, l’argent s’était volatilisé, entraînant par le fond les monnaies, les Bourses et la croissance.
Certains des pays victimes avaient connu une récession à deux chiffres, d’autant plus violente que leur activité avait été soutenue par l’engouement irrationnel des années précédentes : c’était la crise asiatique. Pourrait-on connaître une réédition de cet épisode ? Nombre d’experts réunis à Davos le redoutent. Il y a bien des différences, et en particulier les énormes réserves de change que ces pays ont accumulées aujourd’hui pour se protéger d’une nouvelle mésaventure. Mais les signes de surchauffe sont là.
L’initiative du président arrive donc à point nommé. Il est une loi funeste à Davos, qui ne souffre guère d’exception : les pays ou les entreprises qui sont célébrés comme des modèles s’effondrent dans l’année qui suit. La fameuse proximité du Capitole et de la roche Tarpéienne… Cette semaine, on ne parle que du succès des émergents, dans la petite station des Alpes suisses. La crise de l’endettement, débutée en 2008 aux États-Unis, prolongée en Europe en 2010, pourrait connaître un troisième et dernier chapitre avec la contamination des économies émergentes, en 2011 ou 2012.
Réguler les flux supposerait de revenir à une forme de contrôle des changes, pratiqué non plus par le pays émetteur, comme naguère, mais par le pays destinataire. Et cela supposerait bien sûr une surveillance que seul le FMI peut effectuer. Sur ce sujet, les propositions de Nicolas Sarkozy ne sont pas déraisonnables. À ceci près que l’absence de régulation n’est pas la seule cause de ces déséquilibres.
Il en est une autre, très importante, qui se trouve aux États-Unis, dans les ordinateurs de la Federal Reserve. La banque centrale américaine a en effet décidé de créer de la monnaie, pour soutenir la reprise. Elle achète des obligations du Trésor, et injecte ainsi dans l’économie des centaines de milliards de dollars – c’est le fameux « quantitative easing ». Ce flot d’argent irrigue l’économie américaine, dans un premier temps. Mais aussitôt après, il se trouve attiré par les lumières du monde émergent. Dans une économie mondialisée sans contrôle, pas moyen d’orienter les flux. Ce sont les investisseurs privés qui décident.
Sarkozy ou pas, la prochaine crise pourrait donc provenir… des remèdes utilisés pour guérir la précédente, c’est-à-dire d’une politique monétaire outrageusement accommodante. Tout comme la précédente provenait du traitement administré après la crise de 2000-2001, qui elle-même avait ses racines dans la guérison… de la crise asiatique ! À chaque crise, on crée de la monnaie, qui gonfle de nouvelles bulles, lesquelles explosent et déclenchent une récession plus grave que la précédente. En clair, ce ne sont pas seulement les circuits de la finance internationale qu’il faut revoir, mais les principaux outils de la politique économique eux-mêmes.
La Tribune
(Merci à Léonidas)