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Par Michel Geoffroy

1989 : la chute du mur de Berlin

Le socialisme a achoppé au XXème siècle sur le nationalisme. Il n’avait pas compris en effet que les solidarités nationales étaient plus fortes et plus ancrées dans l’inconscient collectif des peuples, que les solidarités de classes. La guerre de 1914 sonne le glas de cette erreur d’analyse, avec l’assassinat symbolique de Jean Jaurès.

L’internationalisme prolétarien suivra le même chemin : l’utopie de la révolution mondiale cèdera le pas à la construction du socialisme dans un seul pays. Partout dans le monde, les communismes, pour se maintenir, deviendront des nationalismes farouches.

Au XXIème siècle le libéralisme risque de connaître une évolution de même nature : il est en effet en train d’achopper partout sur le sentiment identitaire et le réveil des peuples.

Un « one world » sous direction américaine

En effet, le libéralisme ne s’est pas maintenu dans la sphère économique nationale. Après sa rencontre avec le messianisme anglo-saxon au XXème siècle il est devenu à son tour une idéologie, qui prétend détenir la recette indépassable du bonheur sur terre et dont il faut par conséquent imposer au monde entier les solutions miraculeuses : l’abolition des frontières et la libre circulation mondiale des capitaux, des marchandises et des hommes, censées produire des effets bénéfiques pour tous.

La mise en œuvre de ces politiques libre-échangistes débouchant sur le projet d’une gouvernance mondiale unifiée, un « one world », sous direction du grand frère américain.

Mais le fait que ce projet soit porté par des institutions internationales prestigieuses et des hommes en costume trois pièces sur tous les continents, ne doit pas cacher qu’il s’agit d’une utopie ; comme le socialisme internationaliste, avec lequel il partage d’ailleurs beaucoup de préjugés : en particulier sa croyance en la possibilité d’une unification du genre humain.

La super-classe mondiale dans le rôle d’avant-garde révolutionnaire

L’utopie libre-échangiste se heurte par conséquent au réel et dérape de plus en plus.

D’abord, sa mise en œuvre s’effectue contre la volonté des peuples.

En effet, elle suppose de déconstruire toutes les protections nationales et les spécificités culturelles, comme autant d’obstacles au fonctionnement harmonieux du marché mondial. C’est donc une révolution imposée d’en haut, par la superclasse mondiale, qui, comme les bolcheviks d’hier, joue le rôle d’avant-garde révolutionnaire qui prétend faire le bien des gens malgré eux et, en cas de résistance, qui use de la violence pour parvenir à ses fins.

C’est un renversement, puisque le libéralisme rimait jusqu’ au siècle dernier avec la démocratie, c’est à dire le consentement du peuple.

En témoigne par exemple la façon dont a été déconstruit le marché commun et mise en place l’Union Européenne : une prétendue constitution imposée, par différents subterfuges, aux peuples qui l’ont rejetée. Le père spirituel de cette Europe-là, Jean Monnet, ne s’est d’ailleurs jamais présenté à une seule élection, ce qui est significatif.

La plus grande part des « révolutions » imposées aux peuples européens se sont faites sans leur consentement politique explicite : la révolution des mœurs, la mise en place de l’immigration de peuplement ou l’islamisation n’ont jamais figuré dans les programmes électoraux soumis au suffrage !

L’arme médiatique, violence spirituelle contre les peuples

En outre, la mise au pas libre-échangiste des peuples ne se fait pas sans violence et le « doux commerce » ne répugne ni au chantage économique ni à la guerre, comme jadis le commodore Perry forçait le Japon à s’ouvrir au commerce étranger avec la menace de son artillerie de marine.

On ne peut oublier aussi que l’oligarchie use sans vergogne de l’arme médiatique, – une forme de violence spirituelle contre les peuples, car il s’agit d’imposer la vue du monde américaine à tous et de réduire au silence les dissidents – pas plus que partout les libertés publiques – en particulier la liberté de penser – vont en se réduisant.

Le libre-échangisme apparaît de plus en plus comme une contrainte et une violence faite aux peuples. Cela signifie qu’il perd chaque jour un peu plus sa légitimité politique.

L’utopie libre-échangiste : violence et souffrance

Ensuite, l’utopie libre-échangiste est non seulement une violence, mais également une souffrance pour les peuples.

Comme pour le communisme, le problème du libre–échangisme est celui de la transition : car en cible, tout va très bien dans le meilleur des mondes possibles.

L’accès au paradis de la société sans classe suppose malheureusement de passer d’abord par la case « dictature du prolétariat », c’est à dire du Parti unique.

L’accès à l’abondance par le marché mondial suppose malheureusement de passer par la case « ajustement social et économique permanent ». Plus la dérégulation se veut mondiale, plus dur est l’ajustement.

Cette souffrance est de même nature que celle que la révolution industrielle a engendrée au XIXème siècle et qui a d’ailleurs donné naissance au socialisme par réaction : seulement, elle est désormais mondiale et cela la fait changer d’amplitude.

Bien sûr, l’oligarchie surprotégée ignore cette souffrance : pire, elle lui trouve même des vertus insoupçonnées.

Elle ignore la souffrance des Européens qui perdent leur emploi et leur statut social, qui n’ont pas du tout la possibilité de changer de vie pour aller travailler en Chine ou en Inde et qui découvrent qu’ils sont devenus jetables.

Elle ignore la souffrance des populations d’Afrique ou d’Asie, entassées dans les villes champignons pour travailler pour l’exportation. L’oligarchie ne voit, elle, que des « rigidités » incongrues du marché du travail, obstacle à la « mondialisation heureuse » chère à M.Strauss-Kahn.

Elle ignore la souffrance de ceux qui subissent l’installation du communautarisme ou de l’Islam près de chez eux et qui n’ont pas les moyens de s’échapper en habitant dans des quartiers protégés ou en plaçant leurs enfants dans des écoles de luxe. Elle estime, au contraire, que l’immigration et le métissage des cultures sont une chance pour l’Europe et un enrichissement.

Elle ignore la souffrance des victimes de la délinquance : elle ne voit que la progression des droits de l’homme en prison et l’heureuse suppression de la peine de mort.

« Mac-monde », « globish » américanisation et marchandisation

Elle ignore la souffrance de ceux qui voient disparaître leurs traditions, leurs croyances, leur culture, sacrifiées sur l’autel du « mac-monde », du « globish » et de l’américanisation. Elle n’y voit qu’une libération et la fin de l’obscurantisme.

Elle ignore la souffrance existentielle que provoque la marchandisation de la vie, la soumission de tout au seul intérêt économique individuel : les désespoirs, la destruction des solidarités, l’implosion des familles, la dénatalité, la consommation exponentielle de drogues et de tranquillisants. Elle ne voit qu’une heureuse modernisation.

Ce discours de l’oligarchie est non seulement ridicule, il devient odieux à un nombre croissant d’hommes.

Du désespoir à la révolte ?

Tel l’astronome tombé dans un puits de la fable, l’oligarchie, la tête dans les étoiles de la mondialisation, ne voit pas que la combinaison de la souffrance et de la violence forment ici et maintenant un cocktail explosif qui a pour nom, non plus désespoir , mais révolte.

La montée en puissance de l’Islam partout dans le monde a donné le ton : elle traduit en effet avant tout un rejet de la prétention occidentale et singulièrement américaine à imposer son mode de vie et ses « valeurs » au reste du monde. C’est une première résistance, de taille, puisque l’Islam a une vocation universelle, qu’il s’est installé au cœur des pays occidentaux et qu’il sait se défendre.

L’affirmation de la Chine et des pays émergents comme puissances mondiales indépendantes est le second signe : le monde sera multipolaire et non pas gouverné par les anglo-saxons libéraux comme feint encore de le croire l’oligarchie occidentale.

L’échec mondial du métissage des hommes et des cultures

Le troisième signe est l’échec mondial du métissage des hommes et des cultures.

« L’intégration » ne fonctionne nulle part, car les peuples et les identités font partout de la résistance. Les communautés toujours renaissent et finissent par s’affronter. L’utopie du métissage ne fonctionne d’ailleurs pas non plus aux Etats Unis, qui se débattent depuis l’origine avec le problème noir, malgré la vision bisounours qu’en donne le système médiatique.

Depuis que l’immigration planétaire met en présence sur un même territoire des peuples différents et que la société multiculturelle apparaît de plus en plus multi-conflictuelle, on se remet à prendre conscience de l’utilité des frontières.

Le libre–échangisme cosmopolite achoppe sur cette réalité, car comme le socialisme, il est fondé sur une anthropologie fantaisiste, celle de l’homme comme cire vierge malléable à volonté par l’éducation ou par le marché.

La montée du « populisme »

Le dernier signe correspond à ce que les médias occidentaux nomment avec mépris « populisme » : c’est à dire la prise de conscience politique par les occidentaux eux mêmes, de la catastrophe dans laquelle l’oligarchie les a précipités. Il est d’ailleurs symbolique que ce mouvement touche le cœur du système aussi : c’est-à-dire les Etats-Unis, avec ce que l’on nomme aujourd’hui le mouvement des Tea party.

Le populisme se développe dans les pays occidentaux, pour la raison que les autochtones d’origine européenne découvrent qu’ils sont à long terme les perdants du système qui s’est mis en place.

Le libre-échangisme prétend avoir découvert le gagnant-gagnant, le jeu où tout le monde empocherait la mise. Comme les rues toujours en pente et les cornes d’abondance toujours pleines. Mais les autochtones d’origine européenne en doutent de plus en plus.

En particulier, ceux de l’Union européenne : ils connaissent une croissance molle, le chômage, la désindustrialisation, l’immigration, les crises financières et les hausses d’impôts. Ils voient même remettre en cause leurs systèmes de protection sociale, fruit d’une histoire sociale centenaire et des sacrifices de leurs parents, sur l’autel de la compétitivité. Ils n’ont pas le sentiment de faire partie des gagnants.

Comme le marxisme pour les citoyens soviétiques à la fin de l’URSS, le discours libre-échangiste est en train de perdre rapidement sa crédibilité. C’est encore une langue que l’on parle, par conformisme, par intérêt ou par peur de la police de la pensée, mais le cœur n’y est plus.

Les partisans de la liberté économique doivent redécouvrir que les peuples existent. Sinon la révolte que l’on sent poindre les emportera.

Polémia

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