La scène se déroule devant la commission du Congrès américain en charge des relations économiques et de la sécurité avec la Chine. Nous sommes en avril 2010. David Sandalow, ministre délégué à l’Energie et aux affaires internationales témoigne de la collaboration sino-américaine dans le domaine des énergies vertes.
Sans nul doute, nombre des députés présents jugent toujours la Chine avec sévérité et condescendance ; les Etats-Unis, à la pointe sur le plan technologique, se heurteraient au protectionnisme chinois, comme ils l’ont encore répété au président chinois Hu Jintao, en visite la semaine dernière à Washington.
Mais David Sandalow, bras droit du ministre de l’Energie américain Steven Chu, cherche à leur transmettre un tout autre message. Et commence par raconter son dernier voyage. Ce jour-là, il roule à 100 km/h sur l’autoroute Pékin-Tianjin lorsque, en une fraction de seconde, le TGV chinois, qu’il a à peine vu venir au loin, le dépasse à plus de 350 km/h.
Pour David Sandalow, l’instant devient métaphore : l’Amérique investit certes dans les énergies propres, mais la Chine va si vite que la première économie du monde se fait distancer.
Pour appuyer sa démonstration, David Sandalow se lance dans une longue énumération des progrès chinois. On y apprend que la Chine, contrairement aux Etats-Unis, a une législation contraignante en matière de production d’énergie verte, de réduction drastique des gaz à effet de serre et d’amélioration de l’efficacité énergétique. Les normes sur la consommation des véhicules sont plus exigeantes que les standards américains et parmi les plus sévères du monde.
En 2012 déjà, la Chine, le Japon et la Corée du Sud produiront 1,6 million de voitures hybrides ou électriques, à comparer aux 267 .000 automobiles propres qui sortiront des chaînes de production nord-américaines. La Chine toujours est non seulement devenue le premier fabricant mondial d’éoliennes, mais elle devancera cette année, en puissance installée, les Etats-Unis et l’Espagne.
D’ores et déjà, l’Empire du Milieu produit 40% de toutes les cellules solaires photovoltaïques vendues dans le monde ; deux panneaux solaires thermiques sur trois sont posés en Chine et couvriront 10% des ménages en 2020.
Et si, en 2008, l’Europe a inauguré la centrale solaire d’Olmedilla (Espagne), la plus grande au monde, la Chine vient tout juste de débuter les travaux d’un parc 33 fois plus grand ! Parc qui sera relié au plus vaste réseau de nouvelles lignes haute tension longue distance à courant continu jamais construit ; une technologie d’avant-garde qui réduit considérablement les pertes et assure l’intégration des productions vertes décentralisées.
Enfin, vingt et une centrales nucléaires sont en construction et deux tiers des centrales qui sortiront de terre d’ici à 2020 seront chinoises. Mieux encore, et à ce moment-là David Sandalow ne le sait pas encore, la Chine vient d’annoncer (5 janvier 2011) avoir réussi avec succès ses premiers pas dans les réacteurs nucléaires de la génération IV, qui permettront théoriquement de brûler la quasi-totalité des déchets radioactifs et de réduire la consommation d’uranium.
Bien sûr, la Chine est encore très largement dépendante du charbon mais, ici également, elle progresse. Si elle construit de nouvelles centrales, elle ferme à tour de bras les plus anciennes datant de l’ère soviétique. En moyenne déjà, les performances environnementales des usines chinoises seraient meilleures que celles des… Etats-Unis, explique David Sandalow.
Et surtout, si les projets de captation et de séquestration du CO2 se sont ensablés aux Etats-Unis, faute d’appuis financiers, plusieurs installations chinoises sont entrées dans une phase de production… et prêtes à être exportées !
Ce dont témoigne David Sandalow s’est produit en quelques années, en cinq à peine. La Chine, comme plusieurs Etats européens, encourage le rachat du courant produit par les énergies propres. Le gouvernement a certes mis en place une politique industrielle qui violerait sur bien des aspects les règles de l’OMC ; mais, reste un fait : quand l’Europe ou les Etats-Unis investissent 1 dollar dans la recherche énergétique, la Chine en met 3.
Le résultat est spectaculaire : des dix plus grands employeurs mondiaux cotés en bourse et actifs uniquement dans les énergies vertes, six sont chinois.
Dans un rapport fouillé , l’ITIF américain (Information Technology and Innovation Foundation), estime que si le gap d’investissements subsiste entre les Etats-Unis et la Chine, il est probable que les premiers importeront bientôt la quasi-totalité de leurs équipements en matière d’énergie et d’environnement. La même fondation signale au passage que les investisseurs dans le capital-risque quittent peu à peu les Etats-Unis et l’Europe, pour se rapprocher du marché asiatique.
Pour les experts américains, le pays où le pétrole est roi n’a pas tort de se plaindre des entorses et manœuvres déloyales de la Chine, qui a su protéger son marché intérieur et bâtir des usines tournées vers l’exportation. Mais le diagnostic ne fait que déceler les symptômes d’un mal plus profond, plus grave et même très inquiétant.
Dans une conférence récente , le ministre de l’énergie, Steven Chu, a martelé l’avertissement des académies scientifiques américaines : les Etats-Unis sont en train de perdre leur « leadership dans l’économie du savoir » et de manquer « la nouvelle révolution industrielle qui permettra d’assurer la prospérité future du pays ».
Le Prix Nobel Steven Chu, dont le père chinois a immigré aux Etats-Unis en 1943 pour poursuivre ses études, n’est pas un défaitiste ou un protectionniste. Il est convaincu que la Chine et les Etats-Unis ont tout intérêt à collaborer pour assainir la planète. Les deux marchés sont gigantesques.
D’ici à 2020, la Chine investira dans l’infrastructure l’équivalent de tout ce qui existe aux Etats-Unis. Mais faute d’un réel soutien du Congrès et du Sénat et d’une politique énergique trop longtemps négligée, dominée par le cartel des énergies fossiles, les Etats-Unis risquent d’être dépassés et de rater définitivement le train chinois. Le déclin ou l’envol d’un empire passe par la maîtrise de l’énergie… propre.