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Cette semaine à Davos, la mode est à la bonne conscience devant cette révolution arabe. Voici nos leaders mondiaux éclairés qui s’inquiètent brusquement de la montée des inégalités qui leur paraissait hier incontournable. Pendant ce temps-là, les agences de notation sanctionnent l’Egypte, avant même le départ de Moubarak.

Le fait n’étonnerait ni Marx ni Lénine, mais la révolution n’a pas la cote sur les places boursières. La poursuite des manifestations égyptiennes, bravant couvre-feu, hélicoptères et avions de chasse, fait trembler les places boursières et aiguise la réactivité de nos chères amies les agences de notation.

Après avoir détricoté la note tunisienne après le départ de Ben Ali, cette fois-ci, Moody’s n’a pas attendu le départ de Moubarak pour sanctionner Le Caire, en rabaissant à Ba2 la note de la dette égyptienne, ce qui a eu pour effet immédiat de faire monter le valeur des CDS alloués à l’Egypte (les credit default swaps, produits financiers assurant les emprunteurs contre un défaut de l’institution concernée).

En revanche, les leaders mondiaux semblent s’être déguisés en bisounours à Davos. Certes, les stars de l’économie du monde émergeant paradent dans les couloirs de la station suisse, qui fut la Fête de l’Huma de la mondialisation heureuse dans les années 1990.

Mais on les regarderait presque, selon les commentaires enregistrés sur place, avec commisération, comme s’ils étaient les dinosaures d’un néolibéralisme déjà dépassé. Les stratèges du capitalisme, qui, eux, voient loin – ils ne seraient pas nos guides sans cette prescience -, se demandent avec angoisse si un autre mur de Berlin n’est pas en train de tomber à Tunis et au Caire.

Car la révolution a touché deux pays, la Tunisie et l’Egypte, qui faisaient figures de vitrine dans la doctrine néolibérale. Dominique Strauss-Kahn n’a-t-il pas donné en exemple en 2008 le modèle tunisien ? L’Egypte n’a-t-elle pas été vantée pour son taux de croissance et son aptitude à la « réforme », ce mot qui depuis vingt ans, annonce les mauvais coups contre les salariés dans tous les pays du monde ?

Fins décrypteurs des sociétés contemporaines, nos « chers amis » de Davos sentent bien que le mirage d’une croissance apportant la prospérité aux plus méritants est en train de s’écrouler. En Tunisie comme en Egypte ou en Algérie, mais tout autant en Chine, la jeunesse semble en trop dans la société, les taux de chômage atteignant ou dépassant 30%.

La démographie de ces pays, qui tend à s’aligner sur le modèle occidental, donne l’occasion à des millions de jeunes d’entreprendre des études qui, cependant, n’améliorent guère leur sort par rapport aux générations précédentes. Le suicide du jeune tunisien vendeur de rue, qui a mis le feu aux poudres, est le symbole de cet échec patent.

Certes, les régimes tunisien comme égyptien sont critiqués au nom de leur irrespect de la démocratie. Mais le fondement de ces soulèvements n’est-il pas, aussi, à chercher du côté de la montée des inégalités qui, dans ces pays comme ailleurs, a accompagné leur insertion dans la mondialisation ?

Ce qu’en d’autres temps, nous appelions la bourgeoisie, semble donc organiser un partage des tâches à la fois efficace et cynique :
– d’un côté, les gardiens vigilants des patrimoines mobiliers attirent l’attention de leurs clients sur les dangers de la destabilisation politique dans les pays émergents ;
– de l’autre, les « stratèges », plus apparemment soucieux de l’intérêt général, s’inquiètent des conséquences des inégalités sociales qui progressent partout dans le monde.

Les premiers ne font que réfléchir, parfois à voix haute, comme à Davos. Les seconds, eux, travaillent à la machette. Et pendant qu’à Davos, les grands esprits manifestaient leurs préoccupations devant les soubresauts de la révolution arabe, les seconds s’apprêtent, comme Moody’s, à baisser la note américaine.

Ce qui est remarquable néanmoins, c’est la façon dont les premiers ignorent les seconds, les laissant travailler « tranquillement », et la façon dont les seconds agissent en toute bonne conscience : « ils ne font pas de politique », ils se contentent d’informer les possédants sur la qualité de leurs avoirs.

Moyennant quoi, un pays mal noté voit son déficit se creuser, et remet immédiatement en route la machine à supprimer des postes de fonctionnaires et des dépenses publiques. Il ne s’agit pas, bien sûr, de politique, mais de ratio de solvabilité.

Qui, entre la rue arabe et les agences de notation, nous rapproche le plus de la chute finale du néolibéralisme ?

Marianne2

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