Dans ces moments de détresse financière, nombreux sont ceux qui attribuent à l’État des vertus de morale financière. Or ce n’est pas toujours le cas. Les dévaluations monétaires et créations d’inflation sont épisodiquement des escroqueries régaliennes. L’impôt, lui aussi, peut s’avérer confiscatoire.
Parfois, les événements prennent une tournure économiquement délictueuse. Comparable au rognage des pièces d’or, l’affaire des assignats de la Révolution française en est un exemple édifiant. L’histoire mérite un détour car elle a donné naissance à l’expression de la « planche à billets ».
Au moment de la Révolution française, la France est au bord de la faillite, car la moitié du budget de l’État sert à éponger des dettes. En 1789, Talleyrand propose une nationalisation des biens de l’Église, dont le montant est évalué à 2 à 3 milliards de livres de l’époque. L’Assemblée nationale décide alors de mettre les biens du clergé à la disposition de la Nation.
Le problème est que la vente des biens ecclésiastiques prend du temps et interdit des recettes budgétaires rapides. Les autorités françaises décident alors de créer une « Caisse de l’Extraordinaire » destinée à émettre du papier-monnaie qui représente la valeur des biens cléricaux. Cette Caisse émet 400 millions de billets, divisés en coupures de 1.000 livres et portant intérêt à 5 % : les assignats.
Ces derniers sont gagés sur la vente prévue de biens nationaux. Les assignats ne sont donc rien d’autre qu’une rétribution en monnaie métallique garanti par des biens immobiliers. Ils sont assimilés à des obligations hypothécaires, sous une forme plus élémentaire que les CLO, CDO et autres titres de subprimes.
Toute personne qui désire acheter des biens cléricaux doit le faire avec des assignats. Il faut donc que les particuliers les achètent préalablement, essentiellement avec de l’or. La vente d’assignats assure une rentrée de fonds immédiate pour l’État, qui prévoit par ailleurs de détruire les assignats au fur et à mesure de leur retour dans les caisses du Trésor public.
Mais les assignats sont facilement falsifiables, et l’Angleterre en profite pour inonder la France de billets contrefaits. Progressivement, les pièces métalliques ne circulent plus, car elles sont thésaurisées tandis que les assignats circulent de plus en plus vite. Rapidement, le système s’emballe : l’État doit émettre de plus en plus de billets pour faire face à ses besoins, exacerbés par les exigences d’une économie de guerre.
En 1796, le montant des assignats atteint 45 milliards de livres, devenus sans valeur dans un contexte d’hyperinflation et de pénurie. C’est la ruine.
En réaction, les particuliers accentuent la thésaurisation des pièces d’or et d’argent. La dépression économique s’installe alors que toutes les mesures sont tentées pour éteindre la déliquescence de la monnaie : cours forcé de l’assignat, interdiction de l’exportation des métaux précieux, fermeture de la bourse, fin de la publication des cours de change, blocage des prix et salaires, etc.
En 1797, le Directoire annule les assignats et rétablit la monnaie métallique. Une seconde tentative d’émission monétaire est relancée mais échoue. Après sa prise de pouvoir, Napoléon crée la Banque de France en 1800, lui confie un monopole d’émission monétaire et crée le franc germinal (ou franc-or), à la stabilité incontestée jusqu’en 1928.
Bien que les circonstances fussent très différentes, les subprimes ne sont donc qu’une lointaine réplique des assignats. Mais l’inconnue des crises monétaires demeure, bien sûr, les modalités de sortie : impôts, nationalisations, guerres, etc. Parfois, les crises sont résolues par une monétisation infernale, c’est-à-dire l’hyperinflation. Keynes, lui-même, préconisait des flambées inflationnistes pour sortir des crises.
Alors, l’affaire des subprimes emporte-t-elle un sentiment de déjà-vu ? La « Caisse de l’Extraordinaire » n’est-elle pas l’ancêtre des « bad banks » ? Et les subprimes ne ressemblent-ils pas aux biens immobiliers cléricaux qui, à la Révolution française, représentaient un quart de tout l’immobilier français ? Nous n’en jurerions pas le contraire.
Il n’y a jamais de raccourci vers la prospérité.
(Merci à Gérard le Savoyard)