En quelques mois, le prix des matières premières agricoles a de nouveau explosé, affectant douloureusement de nombreux consommateurs pour lesquels se nourrir devient trop cher mais aussi les éleveurs dont l’exploitation perd sa rentabilité. Que faire ?
Les méfaits de la déréglementation
Bien sûr, il y aura toujours des ultralibéraux pour soutenir que la libéralisation des marchés est une chance, qu’elle permet d’optimiser la production, selon la théorie des avantages compétitifs de Ricardo, que nous lui devons la baisse global du prix de l’alimentation depuis des décennies…
Comme le rapporte Marianne 2, Alain Madelin tente même de défendre la spéculation sur les matières premières en soulignant que cela permet de se couvrir sur leur prix, élément stabilisateur pour les marchés. Déjà, le raisonnement d’Alain Madelin a une immense faille. Il justifie la financiarisation des marchés agricoles par la volatilité des prix qu’il a lui-même soutenue.
En clair, les partisans de la déréglementation ont mis fin au système de soutien (et donc de contrôle) des prix, puis argumentant que désormais les prix sont trop volatiles, ils soutiennent le développement d’outils financiers permettant de s’assurer contre cette même volatilité des prix qu’ils ont crée…
Ce raisonnement présente deux autres failles. Tout d’abord, il est bien évident que ce sont seulement les plus riches qui peuvent se couvrir et se prémunir d’une hausse des prix. Si Nestlé peut se couvrir, c’est rarement le cas des villageois Africains qui subissent durement les variations inconsidérées des prix ou des éleveurs. En revanche, cela offre un nouveau terrain de jeu pour les spéculateurs, dont on sait qu’il a eu une grande influence dans le pic des prix de 2008.
En outre, le mécanisme d’offre et de demande pose un gros problème. Si les marchés anticipent une hausse des prix, ils vont donc acheter davantage de matières premières, augmentant donc la demande et les prix, dans un nouveau phénomène auto-réalisateur, sans se soucier des conséquences dramatiques de leurs actes. En clair, la marchandisation de la production agricole augmente encore une volatilité des prix assez unique (les prix des biens et des services étant beaucoup plus stables).
Relocalisation et réglementation
Pire encore, la libéralisation, en poussant à la concentration de la production dans un nombre moins important de zones géographiques, accentue la volatilité des récoltes et donc des prix. En effet, plus la concentration est grande, plus les aléas climatiques dans une zone conduisent à des effets importants. Si la production était moins concentrée, un aléa climatique en Russie ou en Australie ne provoquerait pas tant de mouvements sur les marchés agricoles.
En outre, il est bien évident que d’un point de vue écologique, il serait mieux de favoriser la relocalisation de l’agriculture. Si aujourd’hui il peut être rentable de faire parcourir des milliers de kilomètres à certaines productions qui pourraient pourtant être produites dans le pays importateur, c’est uniquement parce que le coût environnemental du transport n’est pas pris en compte (puisque le fuel, notamment pour les bateaux, mais aussi les camions, n’est peu ou pas taxé).
Plus globalement, parce qu’une carence de produits agricoles n’est pas comme une carence de téléviseurs, et qu’elle peut provoquer désolation et famine, il est essentiel de soustraire en partie cette activité des seuls mains du marché, dont les conséquences des excès sont trop dramatiques. L’autosuffisance alimentaire doit pouvoir être considérée comme un objectif pour les pays qui le souhaitent, même si cela consiste à avoir des prix plus élevés et à introduire des restrictions fortes pour les importations.
Enfin, il est essentiel de permettre aux agriculteurs de gagner leur vie par leur travail (et pas par des subventions). C’est pour cela qu’il est malheureux que l’Europe ait mis fin aux prix de soutiens qui garantissaient un revenu décent et minimum. Il est inadmissible que leur dur travail ne leur permette pas de gagner normalement leur vie et qu’ils soient les variables d’ajustement de marchés libéralisés dont profitent à plein les spéculateurs et le monde de la finance.
Relocaliser, introduire des prix minimums, interdire la spéculation, prendre en compte le coût réel du transport : les pistes de réforme sont là, comme le montre la Confédération Paysanne. Mais elles heurtent beaucoup trop la doxa néolibérale défendue par l’Europe et acceptée par nos gouvernants.