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Tribunaux engorgés, piles de dossiers encombrant les bureaux, magistrats non remplacés quand ils doivent s’absenter, lenteur des décisions, effectifs trop peu nombreux pour assurer le suivi des peines… Le manque de moyens est au cœur de la fronde des juges. Et ce, malgré un budget en hausse constante, mais qui reste très en deçà des besoins. Au-delà de la faiblesse de son budget, la justice française doit faire face à une explosion du contentieux.

UN DES BUDGETS LES PLUS FAIBLES D’EUROPE

Entre 2009 et 2010, le budget de la justice a crû de 3,2 %, et il doit encore augmenter en 2011, de 4,15 %, pour dépasser la barre des 7 milliards d’euros, tout en restant, en termes relatifs, inférieur à la moyenne de l’UE avec un des ratios budget de la justice/PIB par habitant les plus faibles d’Europe.

Cette augmentation est illusoire, estime une employée du ministère de la justice, qui souhaite garder l’anonymat, car « une grande part du budget est affectée au paiement des retraites, dont certaines pèsent extrêmement lourd, notamment celles des gardiens de prison ». Ces derniers bénéficient en effet de la retraite à 55 ans, avec possibilité de départ anticipé dès 50 ans.

Une augmentation insuffisante, donc, pour palier la faiblesse des moyens humains invoquée par les juges dans l’affaire Laëtitia. En tête de file des revendications figurent le manque de magistrats et surtout de greffiers. Si l’effectif global des magistrats a crû ces dernières années, cette hausse s’est tarie depuis 2008. En 2011, 96 postes de magistrats seront supprimés (sur environ 8.000), dont 20 perdus du fait de la départementalisation de Mayotte et Cayenne, et 65 pour cause de départ en retraite non remplacés.

Pis, le manque de greffiers contribue pour beaucoup à l’engorgement à la dactylographie et au rendu des décisions. Dans certains cas, la réforme de la carte judiciaire n’a fait qu’empirer les choses : « après l’absorption du tribunal de grande instance de Riom, deux greffiers sur vingt ont été conservés », indique un substitut du procureur à Clermont-Ferrand.

Les possibilités de remplacement en cas d’absence, de congé maladie ou maternité – le corps étant extrêmement féminisé et les magistrats soumis à une obligation de formation (15 jours par an) – sont faibles : le petit nombre de juges et de greffiers « placés », auxquels les juridictions peuvent faire appel en cas de manque, ne couvre pas les besoins.

MULTIPLICATION DES LOIS, MULTIPLICATION DES PEINES

Les effectifs augmentent, même doucement, mais pas assez pour suivre l’augmentation du contentieux. Une hausse qui découle, selon l’employée du ministère de la justice, d’un problème méthodologique de construction des lois, qui « sont promulguées sans qu’il y ait eu une étude d’impact a priori ». « C’est le cas pour la loi sur les peines plancher, qui n’a été évaluée qu’en 2009, soit deux ans après sa rédaction », déplore-t-elle.

Celle-ci est emblématique des écueils que peut connaître un texte voté à la hâte : « Les juges auraient pu voir d’un bon œil le départ en milieu fermé des personnes visées par une peine plancher, or l’augmentation des peines de prison ferme a été impossible à absorber et en 2009, une nouvelle loi a laissé à l’appréciation du juge d’application des peines les personnes condamnées à une peine de prison ferme inférieure à deux ans ».

Une juge d’application des peines explique : « Je reçois des personnes condamnées tous les jours, toutes les demi-heures et si je leur accorde des aménagements de peine, dans la majorité des cas, c’est parce que la loi pénitentiaire de novembre 2009 nous l’impose presque systématiquement pour vider les prisons ». Difficile dans ces conditions de « concilier des impératifs aussi différents que sont la prévention de la récidive, la protection de la société et des victimes et la réinsertion ».

Cette loi de 2009 a considérablement alourdi la charge de travail des juges d’application des peines qui doivent gérer des cas très variés : prison ferme avec remise en semi-liberté, port d’un bracelet électronique, sursis assorti d’une mise à l’épreuve (par exemple, une obligation de soins). D’autant plus que les sursis « simples » ne peuvent être appliqués aux personnes déjà condamnées : c’est précisément le cas de Tony Meilhon qui, du fait de son passé judiciaire, a été condamné à une peine de prison avec sursis et mise à l’épreuve pour un simple outrage à magistrat.

« Quels moyens humains la société est-elle prête à mettre dans le suivi d’un homme condamné pour outrage ? », s’interroge l’employée du ministère de la justice. « Il s’agit d’un arbitrage qu’on ne peut pas reprocher aux magistrats car ils vont dans le sens de l’optimisation des moyens, elle-même réclamée par le gouvernement ». En 2009 toujours, un rapport confidentiel de l’Inspection générale estimait à près de 100.000 le nombre de peines de prison ferme non exécutées. Inapplicables faute de moyens, les lois se vident de leur substance.

« DÉJUDICIARISER » CERTAINS DOSSIERS

D’autant plus qu’un certain nombre d’affaires ne nécessitent pas l’intervention du juge, pointe-t-elle encore. « Tous les divorces non conflictuels pourraient être passés aux avocats ou aux notaires, le juge n’est nécessaire qu’en cas de litige ». Or le corps des avocats est extrêmement important en France et très bien représenté au Parlement. « Leur pouvoir de lobbying est immense : il faut savoir que les contentieux familiaux représentent 55 % des dossiers dans les tribunaux civils, énormément d’avocats en vivent ».

Des avocats qui ont donc intérêt à voir se multiplier les affaires jugées au tribunal, mais qui pâtissent eux aussi, à leur façon, du dénuement de la justice : « bien souvent nous sommes obligés d’interjeter appel de décisions inadaptées, de faire des requêtes en rectification d’erreur matérielle, de revenir devant le juge moins d’un an après sa dernière décision », indique David, avocat à Lyon, dans un témoignage au Monde.fr, regrettant que les magistrats n’aient « pas assez de temps » à accorder à chaque affaire.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’au vu de l’exigence accrue de productivité des juges, dont le spectre d’intervention ne cesse de s’étendre, le Conseil de la magistrature, qui autrefois n’intervenait qu’en cas de faute grave d’un magistrat, soit de plus en plus souvent saisi pour de simples retards de délibéré.

Le Monde
(Merci à Boreas)

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