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L’environnement social et l’environnement naturel sont les deux grandes victimes de la suprématie économique. L’annonce d’une augmentation du PIB semble rendre impatients celles et ceux qui pensent que le devenir de nos sociétés est fondé sur une richesse exclusivement monétaire et économique. Cet indicateur est-il une bonne boussole? Est-il juste de considérer qu’un pays «progresse» si les conditions de vie et la solidarité s’y dégradent, si son «capital avenir» y est dilapidé?

Le produit intérieur brut mesure l’activité économique d’un pays, la richesse monétaire issue de la production totale de biens et de services et demeure le principal repère des politiques. Pourtant il ne prend pas en compte les inégalités sociales, la gratuité des ressources, la solidarité, le bien-être, la connaissance et compte positivement des activités néfastes sur notre santé et notre environnement.

Le PIB ne reflète pas la réalité de nos sociétés et l’absence d’indicateurs sociaux et environnementaux contribue à l’aggravation de l’état de notre patrimoine social, culturel et naturel.

Il nous faut de nouveaux outils

Pour marquer la volonté d’engager la transformation écologique nécessaire de l’économie, il nous faut de nouveaux outils reflétant mieux ce que pourrait être une société juste dans un monde vivant. Élaborer les indicateurs, mesurer le véritable bien-être dans une société n’est pas seulement du ressort des économistes, des statisticiens, c’est l’affaire de tous.

Le débat sur la révision du PIB et la nécessité de mise en place d’indicateurs alternatifs avait déjà commencé dans les années 1970, dans ce contexte des chocs pétroliers, prémices des impacts de la pleine croissance et de la surconsommation des ressources. Depuis les années 1990, de nombreuses initiatives de chercheurs et d’ONG ont eu pour objectif d’élaborer des indicateurs alternatifs et remettent en question la domination du PIB dans les choix politiques.

L’environnement social et l’environnement naturel sont les deux grandes victimes de la suprématie économique. Les inégalités environnementales sont indissociables des inégalités sociales: 70% des populations pauvres de la planète vivent dans des zones rurales et dépendent directement de ressources naturelles et de services éco-systémiques pour leur survie et leur bien être. Intégrer des critères sociaux et environnementaux dans les indicateurs comptables de nos économies est vital pour la justice mondiale, la réduction de la pauvreté et le salut des espèces.

La plupart des initiatives politiques sur le choix de ces indicateurs ont été nationales et firent naître des rapports ici et là. S’il est certain qu’ils contribueront aux discussions, l’éventuelle révision du PIB n’a de pertinence que si elle est initiée à une échelle transnationale, à l’échelle européenne.

L’effort du Parlement européen

La Commission européenne a publié en 2009 une communication intitulée Le PIB et au delà – Mesurer le progrès dans un monde en mutation [PDF], montrant que les décideurs politiques, les experts économiques, sociaux et environnementaux et la société civile étaient très favorables à l’étude d’indicateurs alternatifs.

Un rapport du Parlement européen devait répondre à cette communication pour alimenter le débat autour de véritables indicateurs alternatifs. Rapporteur pour le groupe des écologistes en commission parlementaire Environnement, j’ai défendu la révision de cet indicateur de richesse.

Preuve du besoin de transversalité sur cette question, ce sont six commissions parlementaires qui ont été saisies du dossier. Cinq d’entre elles ont rendu leur avis pour la commission Environnement, sixième et principale commission chargée de l’élaboration du texte.

L’échange entre les différentes commissions du Parlement fut d’un côté révélateur d’un attachement à un modèle périmé, porteur d’inégalités sociales et de destruction du patrimoine naturel, et d’un autre véritablement précurseur du besoin d’une autre économie, d’un autre mode de vie, d’une autre civilisation. Pour passer de la «croissance» et «performance économique» au «développement» et «soutenabilité».

A ceux qui tiennent tant au maintien du PIB en l’état comme principal indicateur, nous répondons qu’il doit être à court terme complété et corrigé pour être remplacé à long terme parce que les services rendus par la nature, la solidarité, la justice sociale doivent devenir des indicateurs de la richesse réelle et du bien-être de nos sociétés.

Une bataille perdue

Mais la croyance du double mythe fondateur de nos modèles de développement, qui consiste à croire que les ressources naturelles sont inépuisables et que la technologie sera toujours capable de contrer les exigences de la nature, a la peau dure.

Pourtant, on sait aujourd’hui que ne pas adapter les indicateurs du PIB pour orienter les décisions politiques coûte pourtant cher à la société! Si la pollution et la destruction de la nature permettent une production de richesse monétaire à court terme, la perte de la biodiversité, l’épuisement des sols, la dépollution, ont des coûts bien supérieurs à long terme, qui sont inévitablement assumés par l’ensemble de la société. Toutes nos politiques sectorielles doivent maintenant être repensées en dehors de ce double mythe.

La majorité des membres de notre commission environnement a finalement refusé de lancer et soutenir la révision des indicateurs du PIB au niveau européen. Le résultat du vote de ce rapport a été très clair, la volonté de ne rien changer l’a emporté.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La force de l’écologie politique est de porter la transition entre deux modèles dans toutes les sphères d’action et de réflexion. Notre persévérance et nos espoirs dépasseront les obstacles pour porter à nouveau l’opportunité de révision des indicateurs de richesse à l’ordre du jour. Un rapport alternatif est déjà, de nouveau, soumis à la Commission Environnement.

Slate

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