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Par Jacques Delpla, membre du Conseil d’analyse économique

Image tirée du film Troie (2004)

L’opération Ouzo² est une mauvaise idée. Elle consiste à racheter la dette grecque à bas prix sur le marché en évitant ainsi le défaut (d’où son nom : Ouzo², c’est avoir l’ouzo et l’argent de l’ouzo). Incohérente, elle ne marchera pas ; coûteuse, elle ne servira qu’à subventionner par dizaines de milliards d’euros les spéculateurs. Les grandes banques apprécient évidemment cette idée.

Mais pourquoi donc certains Etats y tiennent-ils tant, alors qu’ils sont sûrs de recevoir des tomates grecques, une fois l’ampleur de la subvention à la spéculation connue de leurs électeurs ?

Sur le papier, l’idée est simple. La dette grecque traitant avec une décote de 30 %, prêtons de l’argent européen à la Grèce pour qu’elle rachète ses propres obligations décotées. Sa dette passerait alors de 150 % à 120 % du PIB (niveau encore trop élevé !), sans défaut.

Hélas l’Ouzo² ne marchera pas. Dès son annonce (150 milliards d’euros – à moins, il y aurait défaut), les marchés anticiperaient que l’Union européenne veut à tout prix éviter un défaut, et donc les obligations grecques perdraient immédiatement leur décote : pas de décote de défaut sans menace de défaut effectif ! Pris par leur engagement (« aucun défaut souverain en zone euro »), les Etats de l’Union devraient alors racheter l’ensemble de la dette grecque à sa valeur faciale, soit 215 milliards.

Les économistes Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff montrent dans leur livre, « The Buyback Boondoggle » (1988, Brookings), que les rachats de dettes souveraines par le pays émetteur reviennent toujours à une subvention de l’Etat débiteur vers les créanciers. C’est pourquoi ils les appellent un « boondoggle », ce qui veut dire à la fois scoubidou et gâchis d’argent public.

L’opération Ouzo² serait un gros scoubidou, un énorme gâchis d’argent public européen de 65 milliards d’euros (dont 13,5 milliards pour la seule France) au profit d’investisseurs crédules ou de spéculateurs – sans aider la Grèce d’un seul euro !

Sans compter que, une fois l’Europe devenue unique créancière des 330 milliards de dette publique grecque, il se trouvera bien un gouvernement grec dans cinq ans pour dire (à raison) que seul Ceausescu a affamé son peuple pour rembourser intégralement sa dette exorbitante. Bien entendu, l’Union européenne ne pourra alors que réduire massivement cette dette. Heureusement pour les contribuables français, Angela Merkel a dit non au scoubidou de l’Ouzo².

Que faire à la place ? La première étape est de reconnaître enfin que la Grèce est insolvable et que les pertes doivent être portées par ceux qui les ont créées (les Grecs et les investisseurs initiaux), et non par les pompiers venus éteindre le feu (FMI et Union européenne). Sinon, les pompiers vont se défiler au prochain incendie !

Suivant la jurisprudence du Club de Paris, cela passe par la séparation de la dette grecque en deux : celle émise depuis mai 2010 (FMI et Europe) est « senior » et doit être servie rubis sur l’ongle, celle émise avant mai 2010 est « junior » et restructurée. Cela passerait par un allongement de quinze ans de sa maturité, ce qui la diviserait en deux et ramènerait la dette grecque totale de 150 % du PIB aujourd’hui à 90 % ou 100 %.

Puis il faudrait contraindre les banques européennes détentrices de dette grecque à renforcer leurs fonds propres à proportion (en émettant des actions) et à fermer de manière ordonnée les plus touchées (les grecques).

Enfin, pour éviter que d’autres pays ne soient tentés de suivre les Grecs, l’Union devrait demander à la Grèce en garantie de la dette le prélèvement d’une taxe exceptionnelle et unique sur l’ensemble de l’immobilier des ménages et entreprises grecs de 20 %, payable sur dix ou quinze ans (ce qui rapportera au total l’équivalent à 60 % du PIB grec). La taxe reprendra une partie de l’évasion fiscale passée dont le principal réceptacle était l’immobilier.

En soldant une fois pour toutes les comptes du passé par une double expropriation des responsables de la tragédie grecque (investisseurs par la restructuration et propriétaires grecs par la taxe à 20 %), cette mesure permettrait à la Grèce de se focaliser sur son avenir, notamment en attirant massivement de l’investissement direct étranger qui saurait que le fardeau de la dette passé ne menacerait plus la croissance future du pays. Mieux vaut Hermès, dieu du commerce, que Sisyphe, faisant rouler éternellement sa dette.

Les Echos

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