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Par Jacques Sapir

La crise de la zone Euro connaît une trêve, qui devrait durer jusqu’en mars 2011. Cependant, non seulement aucun des problèmes fondamentaux n’est résolu, mais les solutions partielles proposées, et présentées comme une avancée historique vers une Europe fédérale, posent bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

L’Euro s’avère un véritable problème pour la croissance des pays qui la composent. Ceci devient de plus en plus évident avec les différents plans d’ajustement budgétaire mis en place à travers la zone. De fait, les propositions franco-allemandes du sommet européen du 4 février vont toutes dans le même sens : pénaliser la consommation, durcir le cadre social et enlever aux États un peu plus de souveraineté. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux gouvernements aient violemment protesté.

Le sommet européen de mars 2011 devrait connaître une nouvelle étape dans cet affrontement et voir soit l’accord vidé de sa substance soit une profonde rupture entre les pays de la zone Euro. Soyons en sûrs, la spéculation reprendra à la fin du printemps. Les effets cumulatifs des politiques d’ajustement budgétaire se feront sentir au second semestre 2011 et nous entamerons l’année 2012 dans une crise renouvelée de la zone Euro, mais où cette fois toutes les munitions auront été tirées et où la crédibilité des gouvernements sera largement érodée.

L’Euro concentre donc sur lui la totalité des contradictions qui sont nées de la politique néolibérale menée depuis le début des années 1980. Non qu’il en soit la cause unique. De nombreuses autres institutions, tant par leur absence (l’absence de toute harmonisation sociale et fiscale, d’un contrôle des capitaux, des mesures de protectionnismes altruistes ciblées) que par leur présence (les directives européennes dans certains secteurs, les politiques budgétaires et fiscales, menées par les différents États) contribuent à la situation actuelle. Nous le répétons : le néolibéralisme est une totalité qui fait système.

Mais, aujourd’hui, ces contradictions s’incarnent et se concentrent sur l’Euro, tant d’un point de vue interne qu’externe. L’Euro, comme toute monnaie, est une « dette » d’un État (virtuel), émise comme contrepartie sociale des engagements de cet État vis-à-vis de sa population et devant servir au paiement de l’impôt (1). Fondamentalement, l’Euro ne peut exister de manière stable tant qu’il n’est pas adossé à un État européen collectant des impôts et garantissant le transfert des dettes privées en dettes publiques. Or, cet État n’est pas de nature du possible, ni aujourd’hui ni dans un avenir qui nous soit maîtrisable. L’hypothèse fédérale est rejetée par les peuples qui forment des communautés politiques trop différenciées tant par l’histoire que par leur culture et leurs institutions (2) pour pouvoir se fusionner en une communauté politique unique.

Aujourd’hui, nous voyons bien que son maintien – sous sa forme actuelle – ne peut que plonger les pays de zone Euro dans une récession qui durera de nombreuses années. C’est pourquoi il importe de faire sauter ce carcan et de rendre ainsi possible la mise en place d’autres nécessaires mesures. C’est un commencement et certainement pas une fin, comme le prétendent certains. Mais, c’est un commencement indispensable et il est illusoire de croire que ces autres mesures puissent être mises en action avec un Euro dans sa forme actuelle.

C’est pourquoi la question de l’Euro, d’une possible sortie de la zone comme de sa possible évolution et transformation, est appelée à dominer le débat politique en France, mais aussi de plus en plus en Europe, pour les mois à venir.

La question de l’Euro, pour un pays comme la France est en réalité double. D’une part, l’Euro nous impose des contraintes sur notre commerce extérieur « hors zone » tant pour des raisons de taux de change que du fait d’un manque de réglementation. D’autre part, l’Euro exerce sur nous des contraintes fortes dans le cadre de la zone Euro en nous empêchant de dévaluer. Ces deux types de problèmes sont très souvent mélangés. On va tenter ici de les séparer pour en étudier les effets. Par ailleurs, l’idée d’aligner la politique économique de la France sur celle de l’Allemagne apparaît comme une profonde erreur.

En raison de sa démographie, la France a besoin de bien plus de création d’emplois que l’Allemagne. Cette dernière, quoique plus peuplée que notre pays, a aujourd’hui un tiers de moins de jeunes dans son système éducatif du fait de la chute catastrophique de sa natalité. Or, promouvoir une véritable politique industrielle en France, et faire reculer le spectre de la désindustrialisation, imposera à notre pays un taux structurel d’inflation très différent de celui de l’Allemagne. La solution fédérale impliquerait que l’Allemagne accepte de subventionner la France par des transferts budgétaires importants et qu’elle procède à une politique de relance. C’est à l’évidence impossible et il faut savoir qu’aucune force de l’échiquier politique allemand ne préconise une telle politique.

Il nous faut dès lors concevoir une politique originale pour la France, en dehors de toute tentative d’imiter un pays dont les structures apparaissent à la fois différentes des nôtres et condamnées dans le long terme.

*

La zone euro se révèle être un véritable problème pour la croissance des pays qui la composent. Nous ne traiterons pas ici du problème posé par les plans d’ajustement budgétaire décidés au cours de l’année 2010, et dont l’effet cumulé se fera sentir à partir du second semestre 2011. On se concentrera sur les problèmes structurels posés par cette zone pour un pays comme la France.

D’une part, l’euro impose des contraintes sur son commerce extérieur hors zone, tant pour des raisons de taux de change que du fait d’un manque de réglementation. D’autre part, il exerce sur elle des contraintes fortes, cette fois-ci dans le cadre de la zone, en l’empêchant de dévaluer. Ces deux types de problèmes sont très souvent mélangés. On tentera ici de les séparer pour en étudier les effets.

La contrainte de l’Euro sur le commerce « hors Zone »

Ces contraintes se divisent en contraintes s’exerçant sur le commerce extérieur à la zone euro et en contraintes à l’intérieur de la zone euro. L’effet de ces contraintes tend à s’accumuler sur l’économie de notre pays en raison de sa structure d’échange qui n’est que partiellement tournée vers la zone euro.Il faut rappeler la continuité des arrêts de la cour constitutionnelle allemande sur ce point.

L’euro joue un rôle important dans le commerce « hors-Zone » que ce soit par le taux de change avec le dollar ou par l’effet d’attractivité ou de répulsivité de la zone pour les services financiers.

Il faut tout d’abord savoir que la France fait partie des pays de la zone Euro dont le commerce avec l’extérieur de la zone est le plus important, se situant à cet égard juste au-dessus de la Grèce (le Luxembourg étant un cas particulier en raison du poids de ses services financiers).

Tableau 1 : Part du commerce libellé en euros

Exportations Importations Moyenne
Slovénie 86,9% 82,8% 84,9%
Hongrie 83,1% 73,1% 78,1%
Italie 74,9% 70,2% 72,6%
République Tchèque 69,5% 66,4% 68,0%
Slovaquie 73,9% 60,1% 67,0%
Bulgarie 62,4% 63,5% 63,0%
Pologne 63,6% 58,8% 61,2%
Espagne 60,8% 60,3% 60,6%
Allemagne 63,0% 55,2% 59,1%
Portugal 54,6% 60,2% 57,4%
Belgique 55,3% 57,0% 56,2%
Lettonie 57,4% 48,9% 53,2%
France 52,4% 45,1% 48,8%
Luxembourg 52,7% 41,7% 47,2%
Grèce 47,3% 39,6% 43,5%
Estonie 8,5% 61,7% 35,1%
Royaume-Uni 21,0% 27,0% 24,0%

Les variations de ces parts sont très importantes entre pays de la zone euro et certains pays qui ne sont pas membres de cette zone ont même un commerce plus important avec la zone euro que des pays membres. Alors que le commerce libellé en euro représente 74% des exportations de l’Italie, 63% de celle de l’Allemagne et 60,8% de celles de l’Espagne, on tombe à 52,4% pour la France. Calculée cette fois en moyenne des importations et des exportations, la part du commerce libellé en Euro est de 60,6% pour l’Allemagne et de 48,8% pour la France.

Ceci explique la très grande sensibilité de notre économie à une surévaluation de l’euro. Rappelons que dans son étude, F. Cachia (3) montrait que, par tranche de 10% de surévaluation par rapport à un taux de change d’équilibre, nous perdions entre 0,5% et 0,7% de croissance.

La structure du commerce extérieur

Si l’on admet que ce taux correspondrait à 1,05 USD, taux qui ne fut plus retrouvé depuis le début de 2003, alors que nous atteignons actuellement 1,35 USD (au taux journalier), nous subissons à une surévaluation de 30% et nous perdons entre 1,5% et 2,1% de croissance, sur un taux estimé à 1,5% / 2%…

Source : ECB

Pour un pays ayant soit une structure d’échanges différente par rapport à la zone euro, soit commerçant sur des produits différents, le taux de change critique serait naturellement différent. L’un des problèmes que soulève la monnaie unique est justement d’imposer un taux de change unique à des économies qui sont largement différentes.

Le manque de réglementation interne de la zone euro est aussi un facteur préoccupant, puisque les législations bancaires (banque de détail) sont largement différentes et que ceci a entraîné une exposition plus importante des banques de certains pays au « risque de crédit » en 2006-2008. Les banques Allemandes (tableau 2), Espagnoles et Françaises ont ainsi développé une activité « hors zone » importante (liée au manque de dynamisme de la zone euro avant 2008) (4), et ont été des facteurs importants d’introduction des « produits toxiques » dans la zone Euro, que ce soit directement ou indirectement par le biais des SPV (Special Purpose Vehicles) auxquels ces banques avaient prêté.

Absence de réglementation cohérente

On aurait ainsi pu croire que la création de la zone euro s’accompagnerait du recentrage des banques sur cette zone. Il n’en a rien été. Une partie de l’épargne (importante) de la zone euro sert ainsi en fait à irriguer d’autres zones économiques du monde, dans des conditions de sécurité souvent très douteuses.

Les documents sur les positions des banques françaises sont plus difficiles à obtenir que pour les banques allemandes, et même dans ce cas, les sources sont loin d’être complètes car elles reposent sur des déclarations volontaires. Cependant, la position de ces dernières à la veille de la crise des liquidités déclenchée par la faillite de Lehman Brothers est un bon indicateur. Le fait que des plans importants de sauvetage des banques aient dû être mis en place tant en Allemagne qu’en France témoigne de l’exposition de ces dernières au risque international.

Si la zone euro a permis, par son laxisme, un grand développement à l’international des banques Françaises et Allemandes, ceci s’est aussi traduit par une raréfaction du crédit pour l’économie réelle dans la zone.

Les conditions de croissance relativement déprimées qui ont dominé dans le cadre de la zone euro peuvent aussi expliquer ce détournement de l’activité des services bancaires au détriment des pays de la zone et en faveur des pays « hors-Zone ».

On sait que les pays de la zone euro ont des inflations structurelles très différentes les uns des autres (5). Il en découle une divergence importante de la compétitivité à l’intérieur de la zone, que des dévaluations ne peuvent plus venir équilibrer.

Calculé sur la base de l’indice des prix à la consommation, l’écart qui était par construction de 0% lors de la création de la zone, s’établit désormais à plus de 20% % (écart Allemagne – Irlande), plus de 15% (écart Allemagne – Espagne, Grèce) plus de 10% (écart Allemagne – Belgique, Italie).

Source : OCDE

Cependant, la compétitivité ne se mesure que très imparfaitement par l’indice des prix à la consommation. L’utilisation des prix à la production, et donc du déflateur du PIB, est une mesure plus robuste. On constate que les écarts sont encore plus grands en utilisant cet indicateur.

L’écart absolu apparaît de 30 points (en base 100) et il est le plus important pour l’Espagne (30 points d’écart avec l’Allemagne). Ce pays est suivi par la Grèce (22 points d’écarts), la Grèce, le Portugal, l’Irlande et les Pays-Bas (entre 18 et 16 points d’écart), enfin la Belgique et la France (de 12 à 10 points d’écart).

L’introduction des gains de productivité permet d’affiner encore le raisonnement. L’indice de coût salarial réel fait intervenir, outre la hausse des prix, les gains de productivité de chaque pays, mais aussi les charges qui pèsent sur le travail.

Source : OCDE

Source : OCDE

On constate alors que l’on a une différence de 25 points entre l’Allemagne et les pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. De plus, de manière générale, l’Allemagne a un coût salarial réel inférieur de 15 points à la majorité des pays de la zone euro, et ceci alors que la productivité du travail en Allemagne est inférieure à celle de la France (de même que le temps de travail…).

Ainsi s’explique par une combinaison de faible inflation et de transfert d’une partie des coûts fiscaux sur les ménages l’énorme avantage compétitif que l’Allemagne a acquis sur l’ensemble des pays de la zone euro.

En fait, l’excédent commercial de l’Allemagne sur la zone Euro représente 60,5% de son excédent total, et globalement elle réalise 75% de son excédent sur les pays de l’Union européenne. C’est une proportion très élevée pour un pays qui se prétend un exportateur « global ». On constate en effet que, depuis deux ans, les soldes avec la Chine et l’Inde sont devenus équilibrés, voire négatifs. L’excédent réalisé sur les États-Unis est en 2009 de 18 milliards de dollars, soit une somme équivalant au solde du commerce allemand avec l’Autriche et nettement inférieure au solde du commerce avec la France.

Le gain de commerce extérieur de l’Allemagne a tendu en réalité à se réduire avec les pays hors-Ue depuis 2002/2003. L’Allemagne a compensé ces pertes de compétitivité globale par un surcroît de compétitivité dans la zone euro. Ceci peut à la fois se lire dans le graphique 5 et dans le tableau 3.

On y voit l’effet de la politique menée par l’Allemagne, mais qui ne fut possible que parce qu’elle était la seule à la mener. Si tous les pays de la zone Euro avaient eu une politique similaire l’excédent commercial allemand aurait été bien moins fort mais – surtout – nous aurions eu une crise majeure dans la zone Euro en raison de l’addition des politiques récessives sur la demande intérieure.

On peut aussi noter un important solde positif des Pays-Bas. Ce pays aurait-il trouvé une solution miracle ? En fait, c’est la position particulière de ce pays comme exportateur et surtout revendeur de gaz (acheté à la Russie ou à d’autres pays et stocké sur son territoire) qui explique ce solde positif. Il n’y a donc nul miracle hollandais…

En fait, la zone euro apparaît comme un instrument qui permet à l’Allemagne de maintenir sa politique néo-mercantiliste en dépit de la surévaluation de l’Euro, en compensant les parts de marché qu’elle perd dans le reste du monde par ce qu’elle gagne sur ses partenaires de la zone euro qui ne peuvent dévaluer.

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Il faut maintenant s’interroger sur les effets des politiques d’ajustements que les pays de la zone Euro se sont engagés à conduire pour réduire – ou à tout le moins stabiliser – leurs déficits publics. Ces politiques ont été en un sens « consolidées » par la proposition franco-allemande au sommet européen du 4 février dernier, qu’il faut aussi prendre en compte, dans sa réalité comme dans ses effets d’annonce.

Le choc d’ajustement

Les pays de la zone Euro ont annoncé leur intention de stabiliser le niveau de leur dette publique en pourcentage du PIB. Ceci implique cependant qu’ils puissent maîtriser tout à la fois le taux de croissance et l’évolution des intérêts payés sur la dette accumulée. En fait, c’est bien la croissance qui apparaît comme le déterminant le plus important dans ce domaine. Or, les montants qui ont été indiqués dans le second semestre 2010 sont fondés sur des hypothèses qui sont loin d’être réalistes. La correction nécessaire des chiffres de la croissance pour 2011 et 2012 impliquent un choc d’ajustement sensiblement plus élevé.

On voit que si l’ajustement budgétaire est tolérable pour l’Allemagne et la Belgique, il en va tout autrement pour les autres pays de la zone Euro. Par ailleurs, même si ces pays ne réalisait que la moitié de l’ajustement nécessaire à la stabilisation de leur dette publique, le choc cumulé sur la conjoncture économique ne pourrait que réduire encore les perspectives de croissance, rendant encore plus illusoire la perspective d’un ajustement. Le taux de chômage, déjà très élevé dans certains de ces pays (20% officiellement en Espagne) va continuer de monter dans la plupart de ces pays en 2011.

La montée des tensions en Grèce entre le gouvernement et les organisations internationales et européennes (BCE, Commission Européenne, FMI) vient traduire ce fait (6). En fait, l’Europe se transformera, pour sauver la zone Euro en une zone de régression sociale et de dépression économique.

Mais, est-ce que cela sera suffisant ? Il est en réalité très clair que l’on ne pourra stabiliser avant 2013 la part des dettes publiques en pourcentage du PIB, mais que les politiques qui seront mises en œuvre pour tenter d’y arriver casseront tout espoir de croissance à partir du 2ème semestre de 2011. Ainsi, nous arriverons au début de l’année 2012 dans une situation toujours aussi dégradée et avec des marchés financiers qui auront repris leur spéculation. Celle-ci pourrait culminer au premier trimestre 2012 et rendre indispensable une restructuration de la dette grecque et irlandaise.

Notons que des stratégies de restructuration ont été proposées dès le second semestre 2010, pour être rejetées tant par les pays considérés que par les responsables de la zone Euro. S’il faut, dans ces conditions, malgré tout procéder à ces restructurations au début de 2012 on imagine aisément ce qui restera de la crédibilité de la zone Euro…

La proposition franco-allemande du 4 février

C’est dans ce contexte que la France et l’Allemagne ont, le 4 février 2011, fait des propositions communes pour un « pacte de compétitivité ».

Pour ce pacte, point de texte commun, mais une stratégie de communication quelque peu déroutante. On a eu droit à des rumeurs et des informations sur les grandes orientations d’un tel pacte de compétitivité qui ont été distillées à petites doses par les agences de presse nationales DPA et AFP, puis une tribune publiée dans Le Monde par le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble (7).

En fait, le communiqué commun (8) ne parle du mandat confié au conseil ECOFIN (les ministres des finances de la zone Euro) afin de parvenir d’ici le mois de mars à une orientation générale concernant la gouvernance économique, orientation établie en concertation avec la Commission et devant donner naissance d’ici juin 2011 à des mesures votées au Parlement Européen de renforcer le pacte de stabilité et de croissance. Le communiqué renvoie alors à la déclaration des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays de la zone Euro, qui s’engagent à rendre plus efficace le Fonds européen de stabilité financière (FESF), et à poursuivre la bonne mise en œuvre des programmes existants avec la Grèce et l’Irlande. Or, nous venons de voir que juste 8 jours après ce communiqué, un conflit opposait la Grèce aux trois institutions garantes du FESF.

En fait, ce communiqué voulait témoigner de la résolution des pays européens. Mais, ces orientations restent d’une grande incertitude.

Les rumeurs les plus insistantes font mentions de mesures concernant :

– Des objectifs communs en matière d’âge de la retraite avec alignement sur l’Allemagne (67 ans).
– Une suppression des mécanismes d’indexation des salaires (mécanismes existant en Belgique, au Luxembourg et au Portugal).
– Des objectifs de dettes publiques.
– Des plafonds contraignant en matière de dette publique (une « constitutionnalisation » de limites en pourcentage du PIB).

Les contradictions n’ont pas manqué d’éclater très rapidement. Non seulement de nombreux pays se sont élevés contre des mécanismes attentatoires à leur souveraineté, mais – plus étonnant – on a même vu le président de la Commission, M. Barroso protester devant une mesure qui lui semble devoir accentuer l’incohérence de la politique européenne (9). En fait ce pacte soulève deux problèmes distincts, mais dont les effets se combinent pour le rendre impraticable.

– Venant de l’Allemagne et de la France, et ressemblant beaucoup à un alignement complet des positions françaises sur les positions allemandes, il ne peut que susciter la méfiance et l’antagonisme des « petits » pays qui considèrent que l’Europe et la zone Euro ne sont pas les jouets du « couple » franco-allemand. De ce point de vue, il a été présenté de manière maladroite et les oppositions qu’il ne manquera pas de susciter n’iront qu’en se renforçant.

– Sur le fond, ce pacte organise une régression sociale massive dans les pays de la zone Euro, leur retirant même la liberté de pratiquer des négociations collectives. La Confédération européenne des syndicats (CES) a réagi immédiatement avec beaucoup de force. Elle identifie d’ailleurs à juste raison ce plan comme rédigé en fait à Berlin et visant à imposer aux pays de la zone Euro le carcan que souhaite le gouvernement allemand.

On voit bien désormais que la zone Euro, dans son état actuel, est devenu une véritable machine de guerre sur le plan social pour imposer toujours plus de sacrifices et de régression. Ici gisent pour l’éternité tous les rêves des socialistes ou socio-démocrates des divers pays concernant l’Europe sociale (10). Si elle doit se faire, c’est sur la base du moins offrant ! Il faut cependant noter que les possibilités de voir ce programme adopté tel quel sont extrêmement réduites, du fait de l’opposition de nombreux pays. Soit il sera progressivement vidé de sa substance, soit on ira au conflit ouvert lors du sommet européen du mois de mars. La première hypothèse apparaît comme la plus probable, mais au vu des réactions qui montent en Grèce on ne saurait exclure la seconde. On dira alors, que la zone Euro nous a protégé de la crise. Mais ceci est en réalité complètement faux.

– La zone Euro, du fait de la faible croissance qu’elle a induite et de la déréglementation en son sein a poussé les banques européennes à chercher des positions avantageuses hors de la zone euro, jouant ainsi un rôle majeur dans la contagion de la crise. Si la « crise des subprimes » est devenue une crise européenne, c’est bien à la zone Euro qu’on le doit.

– Les taux d’intérêts sur les dettes publiques ont littéralement explosé, mais sans l’effet positif de dévaluations permettant à des pays (comme l’Espagne, la Grèce, l’Irlande) de retrouver une compétitivité qu’ils ont perdue du fait de la zone Euro (graphique 6). En fait, ceci condamne toute une partie de la zone Euro à subir une « double peine » dans la mesure où elle doit faire des efforts considérables pour maintenir l’Euro (du moins le prétend-on) tout en ne profitant plus de la convergence des taux d’intérêts, qui était bien la seule que l’on ait connue avant la crise.

– L’effet déflationniste de la zone Euro tend aujourd’hui à s’accroître avec les ajustements budgétaires prévus et ne peut qu’enfoncer nos pays dans la crise et le chômage de masse. Comme nous l’avons indiqué plus haut, ceci retarde la sortie de crise pour la zone Euro dans son ensemble et fait peser une part disproportionnée de la responsabilité du retour à la croissance sur les pays « émergents ».

Loin d’être une solution, l’Euro est bien partie prenante du problème.

Contrairement à une partie de la gauche, je ne pense pas que l’Euro soit la base de futures conquêtes sociales. Si une forme de coordination entre monnaies est nécessaire, elle ne doit pas se faire au détriment d’une politique économique tournée vers l’emploi. Or, c’est exactement ce qui se passe avec l’Euro !

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Pourtant, une autre stratégie est possible. Elle consiste pour la France de transformer sa « faiblesse » apparente vis-à-vis de l’Allemagne en force, comme on le fait au judo et de présenter à notre partenaire un choix ne lui laissant qu’entre une solution mauvaise pour lui et une qui serait bien pire encore.

En fait, et compte tenu de la relativement faible exposition de l’économie française (relativement s’entend) au commerce libellé en Euro, on voit que les options stratégiques sont doubles. Dans le même temps, il faut poser les termes de ce que l’on peut appeler « l’économie politique » de la zone Euro.

Options stratégiques

Deux options sont possibles, l’une à l’intérieure de la zone Euro et l’autre à l’extérieure.

1- Faire baisser l’Euro.
Le retour de l’Euro à une parité plus en accord avec les déterminants de l’industrie française (1,00 USD / 1,05 USD) permettrait à notre pays de recouvrer la croissance forte qui lui fait défaut actuellement. Le gain potentiel, de 1,5% à 2% est égal ou supérieur au montant de la croissance estimée pour 2011. À noter qu’une croissance supérieure de 1,5% (soit 3% à 3,2%) nous permettrait de stabiliser la dette publique avec un choc budgétaire considérablement moindre que dans le cas d’une croissance à 1,5% / 1,7%. De même, assurant un retour à l’emploi plus important, une telle croissance ferait baisser les pressions qui s’exercent sur les comptes sociaux.

2- Sortir de l’Euro.
Ceci combinerait un effet de baisse du taux de change avec les pays « hors-zone » et une dévaluation avec l’Allemagne. Le gain serait donc plus important, mais il impliquerait des mesures de politique économique plus ambitieuses et plus profondes pour être exploité dans sa totalité. Une dévaluation de la monnaie française (retrouvée) de 25% à 30% impliquerait un gain non seulement vis-à-vis des pays de la zone Dollar, mais aussi des pays de la zone Euro. Mais, une telle sortie imposerait presque certainement à des pays comme l’Italie et l’Espagne d’en faire autant. On peut donc considérer que le gain total en croissance serait loin d’être égal au gain potentiel et devrait se situer à 2,5% / 3,0%. Une sortie unilatérale de l’Euro ne donnerait qu’un gain de 1% en croissance par rapport à une forte baisse de l’Euro. Ceci pénaliserait très fortement l’Allemagne.

Il apparaît ainsi que théoriquement la solution de faire baisser l’Euro sans en sortir est celle qui offre le plus d’avantage. Le gain en croissance de l’option « sortie » par rapport à l’option « dévaluation de l’Euro » apparaît faible et le coût institutionnel élevé. Une partie de l’écart de compétitivité avec l’Allemagne pourrait être réduit par l’adoption de mesures fiscales calquées sur ce pays. Il faut cependant souligner que la tentative de rapprocher la France de l’Allemagne tournerait court rapidement du fait des différences démographiques (nous avons 50% de jeunes en plus avec une population moindre de près de 10 millions…), sociologiques et structurelles entre les deux pays. Une stratégie basée sur le rapprochement des structures fiscales ne pourrait jouer que 5 à 7 ans. Le problème de la zone Euro se reposerait donc à terme.

En un sens l’opposition entre ces deux options recouvre un opposition entre le court et le long terme. Mais, elle recouvre aussi les logiques propres à ce que l’on peut appeler « l’économie politique » de la zone Euro.

L’économie politique de la zone Euro

Entrent ici en jeu des éléments de stratégie politique et ce que l’on peut appeler « l’économie politique » d’une mutation de la zone Euro. L’Allemagne, si elle a accepté d’importants assouplissements des règles de la Banque Centrale Européenne maintient l’idée d’un assouplissement temporaire et se refuse à l’équivalent d’un « quantitative easing » (QE) qui pourrait provoquer une forte baisse de l’Euro. On sait que l’inflation est aujourd’hui un peu plus forte en Allemagne, ce qui fournit des arguments au gouvernement pour refuser le principe d’un QE à l’européenne.

Dans le cadre institutionnel actuel, deux éléments clés dominent :

– La règle d’unanimité pour les décisions dans la zone Euro.
– L’absence de procédures formelles permettant d’exclure un pays une fois entré dans la zone.

Le premier de ces éléments rend extrêmement peu probable (et en réalité impossible) un accord sur une baisse du taux de change de l’Euro, compte tenu des oppositions de politiques économiques qui existent entre pays membres.

Le second désarme la zone Euro contre une action unilatérale de l’un des pays membres. En exploitant les défauts du traité de l’Union Economique et Monétaire (UEM) on peut imaginer que la France, réquisitionnant la Banque de France (article 16) impose à cette dernière de reprendre les avances au Trésor et le principe du plancher minimal d’effets publics pour les banques opérant sur le territoire français et la détention sur des comptes localisés en France de ces titres. La monétisation immédiate du déficit et d’une partie de la dette (disons pour un montant de 400 milliards d’euros) s’accompagnerait de la nécessité pour les banques françaises de racheter les titres français restants, assurant rapidement une « renationalisation » de notre dette. Notons que l’épargne de la France (20% du PIB pour l’épargne globale) suffit amplement pour assurer un flux régulier de financement au Trésor public.

On voit que l’épargne des ménages français est plus que suffisante pour soutenir le déficit public. En fait, après l’Espagne, c’est bien notre pays qui a le taux d’épargne le plus élevé.

Cette politique permettrait de mettre rapidement en place les mesures suivantes :

– Établissement d’un pôle public du crédit dont l’émission d’obligations sera souscrite par la Banque de France (la banque postale pourrait en être le noyau) et qui servira au financement du logement (prêt aux ménages) et des infrastructures.
– Établissement d’un pôle séparé pour le financement des PME-PMI avec possibilité de prises de participations soit selon la formule de l’actionnaire « dormant » pour une période de 5 à 10 ans (puis revente des actions) soit selon la formule du partenariat Public-Privé.
– Lois bancaires séparant précisément les banques d’investissements et les banques de dépôts.
– Interdiction des SPV (Spécial Purpose Vehicles) et réglementation stricte des Fonds d’investissement. Interdiction des opérations de Hedge Funds sur les titres français (avec le système de la licence pour les opérations en bourse).
– Annulation des directives européennes concernant les activités en réseau (SNCF, GDF, EDF) et renationalisation de ces sociétés.
– Lancement d’une politique industrielle visant au renforcement des gains de productivités et à des grands projets d’investissement.

Confrontées à une telle politique, les options de nos partenaires sont très limitées.

1- La BCE peut décider d’augmenter brutalement ses taux pour « combattre » le risque inflationniste français. Mais d’une part une telle position se heurtera à l’opposition de très nombreux pays et de l’autre, nous aurions toujours la possibilité de faire escompter des obligations privées par la Banque de France à un taux préférentiel. Ceci rétablirait un taux d’intérêt « français », qui pourrait être défini en étroite collaboration par la Banque de France et le Ministère de l’Industrie.

2- Une condamnation de la politique française est possible, mais ne serait d’aucun effet. Des mesures d’amendes (qui devraient être entérinées par la cour de Luxembourg) pourraient être immédiatement compensées par des retenues sur notre contribution au budget européen.

3- Des mesures « protectionnistes » contre la France : outre que ceci irait contre toute la politique de l’Union Européenne et sa philosophie même, elles attireraient immédiatement des mesures similaires du gouvernement français. N’oublions pas que la France est un point de passage obligé pour une partie du commerce intraeuropéen. Un effet de dissuasion empêcherait la mise en application de telles mesures.

On s’aperçoit rapidement que la zone Euro est désarmée face à une telle politique (sans parler des effets d’imitation qu’elle pourrait engendrer). En fait, c’est la réédition de la situation de 1992-1993 lors de la dissolution de l’URSS où la Banque Centrale de Russie s’est trouvée désarmée face à la politique menée par les banques centrales des pays de la CEI au sein de la zone Rouble. La solution de la BCR a été de dissoudre la zone Rouble.

De fait, la menace la plus importante serait celle d’une sortie de l’Euro de l’Allemagne et de ses alliés (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Finlande). Quelle en serait la conséquence ? Si l’Allemagne met à exécution sa menace, c’est elle qui dissout la zone Euro et qui se prive de l’accès garanti aux marchés des grands pays (Espagne, France et Italie) sans risque de dévaluation. Notons qu’une zone DM reconstituée serait affectée par un fort mouvement haussier important de son taux de change que ce soit par rapport au Dollar ou aux autres monnaies….

Il y a donc gros à parier que l’Allemagne réfléchira à deux fois avant de mettre sa menace à exécution. Mais, si elle le fait, nous sommes néanmoins gagnant (option 2). Il nous faudrait alors nous rapprocher de l’Espagne et de l’Italie pour trouver un accord sur des parités respectives de nos monnaies sous conditions :

– D’un contrôle des capitaux communs pour que les monnaies ne soient plus victimes des spéculations.
– De fluctuations concertées.
– De dévaluations différentielles tous les ans ou les deux ans si nécessaire.

Il convient dès lors de se préparer à une possible explosion de la zone Euro (par l’introduction de contrôles de capitaux importants en mettant la cellule TRACFIN à contribution pour ce faire). En cas d’explosion de la zone Euro, cela nous permettrait de pratiquer des taux d’intérêts administrés.

De ce point de vue, le discours qui commence à se répandre sur une « sortie de l’Euro » est très avantageux car il conforte nos partenaires dans l’opinion que la France est réellement prête à assumer un éclatement de la zone Euro. Il contribue à construire notre crédibilité. Les failles du traité de l’UEM sont aujourd’hui évidentes. Les défauts de l’Euro sont bien connus et ne sont pas contestables. Nous avons la possibilité de forcer la main à nos partenaires pour réviser en profondeur le fonctionnement de la zone Euro et, à terme, la transformer en une monnaie commune. Il faut mettre la crise de notre côté en menant une politique qui ne laisse à nos partenaires que le choix entre accepter nos positions ou provoquer la dissolution de la zone Euro dans des conditions qui leur seraient très défavorables.

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Notes :

(1) Lire L. Randall Wray, « Money », Working paper n° 647, The Levy Economics Institute of Bard College, Annandale on Hudson, NY, 2010. C.A.E. Goodhart, « Money and Default » in M. Forstater et L. Randall Wray (edits), Keynes for the Twenty-First Century, New York, Palgrave-Macmillan, 2008.

(2) Et il faut rappeler ici la continuité des arrêts de la cour constitutionnelle allemande sur ce point.

(3) F. Cachia, « Les effets de l’appréciation de l’Euro sur l’économie française », in Note de Synthèse de l’INSEE, INSEE, Paris, 20 juin 2008. Voir aussi l’article prémonitoire de S. Federbusch, « La surévaluation de la monnaie unique coûte cher à la croissance » in Libération, rubrique « Rebonds », 26 avril 2006.

(4) J. Bibow, « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This » in J. Bibow and A. Terzi (eds), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (NY), Palgrave Macmillan, 2007. J. Sapir, « The social roots of the financial crisis : implications for Europe » in C. Degryze, (ed), Social Developments in the European Union : 2008, ETUI, Bruxelles, 2009.

(5) C. Conrad et M. Karanasos, « Dual Long Memory in Inflation Dynamics across Countries of the Euro Area and the Link between InflationUncertainty and Macroeconomic Performance », in Studies in Nonlinear Dynamics & Econometrics, vol. 9, n°4, nov. 2005 (publié par The Berkeley Electronic Press).

(6) Lefteris Papadimas et Ingrid Melander, « La Grèce dénonce une ingérence de l’UE et du FMI », Le Point, 12 février 2011.

(7) En date du 4 février 2011.

(8) Note de transmission – Conclusions, CO-EUR 2 / Concl-1, Bruxelles, Secrétariat Général du Conseil, 4 février 2011.

(9) Economie, finances et monnaie – Traités et Affaires institutionnelles, « Le “pacte de compétitivité” germano-français s’invite en vedette au Conseil européen », à lire ici.

(10) Confirmant ainsi le diagnostic de F. Denord et A. Schwartz, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Le Seuil – Raisons d’agir, 2006.

Sources : Marianne2 (article 1, article 2, article 3, article 4) et Mémoire des luttes

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