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Dans la compétition que la mondialisation a exacerbée entre les économies, émerge un espace d’importance croissante : celui de l’influence respective des pays, selon leur capacité à attirer les futures élites mondiales pour y étudier.

Étudiants africains dans la cour de la Sorbonne - Paris, 1956

La France est déjà la troisième destination mondiale pour l’accueil d’étudiants étrangers, avec 246.000 étudiants en 2009. C’est la première destination non anglophone. La France accueille surtout des étudiants du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, cinq pays représentant 62 % du total des étudiants étrangers en France : Maroc, Algérie, Tunisie, Cameroun et Sénégal. La Chine est désormais à la deuxième place. L’enjeu pour notre pays est de changer d’ambition pour l’accueil d’étudiants étrangers.

La Conférence des grandes écoles propose de tripler, en dix ans, le nombre total d’étudiants étrangers formés par des établissements français, pour qu’il passe de 246.000 aujourd’hui à 750.000 demain, soit environ 500.000 étudiants étrangers de plus en dix ans. Ces derniers représentent aujourd’hui 12 % du total des étudiants en France. Cette évolution amènerait à une proportion d’étrangers d’environ 30 % du total des étudiants.

Dans un certain nombre d’institutions, essentiellement des grandes écoles, ces proportions sont déjà dépassées aujourd’hui. Notre expérience indique qu’à partir de cette proportion les comportements des étudiants changent les uns vis-à-vis des autres : les étrangers ne sont plus une poignée minoritaire qui vit au rythme et selon les moeurs des étudiants français ; ils exigent de contribuer, d’être respectés pour la diversité et l’expérience apportée à la classe : ils défient les comportements parfois potaches des étudiants français et les obligent à sortir de leur confort, car leur motivation et leur brio sont une concurrence. Ils obligent alors leurs collègues français à révéler le meilleur d’eux-mêmes, comme ils savent très bien le montrer quand eux-mêmes vont étudier à l’étranger. Ils changent la relation entre enseignant et apprenant.

A long terme, les lieux d’études choisis par ces étudiants fondent une influence culturelle, dont les conséquences économiques peuvent être considérables. Quand on connaît les entreprises d’un pays, qu’on a pu en découvrir les compétences et y tisser des réseaux relationnels, au retour on pensera naturellement à ces entreprises comme fournisseurs, à ces relations personnelles comme experts. Le temps des études est fondateur de la vie adulte ; des amitiés s’y nouent, des valeurs et des représentations du monde s’y cristallisent : des étudiants qui ont séjourné deux ou trois ans dans un pays étranger en deviennent des ambassadeurs à vie.

Les États-Unis ont longtemps dominé la scène de l’émigration étudiante, avec des universités remarquables et riches, et le rêve d’une installation au pays des pionniers. La perception de l’Amérique dans le monde a changé au cours des années 2000 ; la panne de croissance et les restrictions à l’immigration ont affaibli l’attractivité de ces universités ; les places y sont limitées.

Aussi l’Europe apparaît-elle comme une option intéressante pour les jeunes de pays émergents, notamment asiatiques : terre de culture et de sciences, terre d’équilibre entre l’économique et le social, terre habitée depuis des millénaires par des populations à forte densité démographique qui a dû apprendre à gérer des ressources naturelles rares, l’Europe multilingue a créé un espace pacifique de prospérité.

Ces éléments attirent des jeunes étudiants brillants venus de pays riches d’histoire et de culture, qui veulent connaître différents modèles de développement pour inventer le leur. Dans ce contexte, la France garde une aura certaine, que nous aurions tort de dédaigner : pays des droits de l’homme, terre de paysages, de gastronomie, de littérature, de sciences, de médecine, de ruptures technologiques… cette alchimie particulière représente une “marque France” que nous pouvons mieux mettre en valeur.

Si on adhère à cette ambition, si on en mesure les enjeux à long terme, on doit se demander : est-ce réaliste ? Comment le faire ? C’est assez simple.

En termes de taille tout d’abord, plus 500.000 étudiants en dix ans signifie simplement plus 50.000 étudiants par an, soit + 2 % par an en moyenne par rapport au nombre total. Gérer des croissances de +2 % correspond à des évolutions normales du milieu universitaire, dès lors que cela est construit et planifié.

La question-clé est celle du financement. Nous faisons une proposition très simple : le coût moyen d’une formation d’un étudiant en France, qui varie bien sûr considérablement selon les secteurs, est de 11.000 euros par an, tous secteurs confondus. Nous proposons que 80 % des étudiants paient 125 % de cette somme pour que 20 % puissent disposer d’une bourse gratuite sur critères sociaux et/ou, de mérite.

Aujourd’hui, les 246.000 étudiants étrangers, accueillis essentiellement gratuitement par la France, représentent un coût pour le budget de l’État d’environ 2,5 à 3 milliards d’euros. Avec ces mesures, nous serions capables d’accueillir 750 000 étudiants en assurant la gratuité à la moitié d’entre eux environ, l’autre moitié payant, en moyenne, 13.500 euros par an, et la France investissant 2,5 à 3 milliards d’euros dans un vaste système de solidarité.

Ces frais de scolarité annuels représentent environ la moitié de ceux demandés par une université américaine au niveau “Bachelor”, 40.000 dollars (29.000 euros), à peu près les frais demandés en Grande-Bretagne ou en Australie. Nos institutions se croiraient-elles tellement moins bonnes que leurs confrères qu’elles ne l’oseraient ? Est-ce un principe tabou ? Les étudiants étrangers considèrent souvent que ce qui est gratuit n’a pas grande valeur.

Les étudiants européens, comme les français, continueraient à bénéficier d’une quasi-gratuité pour leur scolarité en Europe continentale. Mais les impôts des Français, insuffisants à équilibrer les comptes publics, n’ont pas à financer des formations de haute qualité que des familles étrangères seraient prêtes à payer le double aux Etats-Unis. S’interdire ce réalisme économique signifierait s’interdire l’ambition susdécrite.

Pour le développement des établissements universitaires français, les sommes en jeu sont considérables : les 400.000 étudiants payants apporteraient 5,4 milliards d’euros de ressources annuelles nouvelles, soit + 25 % des budgets publics de l’enseignement supérieur et de la recherche, et sept fois la partie “enseignement supérieur et recherche” du grand emprunt.

Les obstacles sont avant tout psychologiques. Il faut penser que l’influence future de la France dépend de l’ambition d’y former à grande échelle les prochaines élites mondiales. Il faut se dire que les espaces universitaires seront transformés si un tiers des étudiants y deviennent des étrangers qui auront fait le choix de la France. Il faut alors accepter d’en tirer les conséquences financières, qui iront concourir à la qualité des formations par les ressources nouvelles créées, alors que certaines charges seront marginales. Il faut enfin accepter qu’une partie significative de ces enseignements puisse être donnée en langue anglaise, et abolir la loi Toubon dans l’enseignement supérieur.

Le nombre de jeunes étrangers capables de suivre des cours en anglais est à peu près vingt fois supérieur à ceux capables de le faire en français. En les sélectionnant sur les critères adaptés à leur formation, et en intégrant une pratique obligatoire de la langue française en fin de formation, on défendra mieux la langue de Molière en développant des francophiles, qui, en un second temps, deviendront francophones de surcroît, que si l’on impose à des jeunes de cultures différentes, qui ont déjà fait un effort considérable en apprenant l’anglais, de comprendre un français de niveau universitaire dès le début de leur séjour. Cela ne serait ni raisonnable ni efficace par rapport à l’objectif poursuivi. C’est en faisant découvrir et aimer la langue française à de nouveaux publics qu’elle rayonnera, comme conséquence de la francophilie.

Accueillir en dix ans 500.000 étudiants de plus dans les établissements français, sur le territoire français comme sur de nouveaux campus en terre lointaine basés sur notre ingénierie pédagogique et scientifique, et le faire pour contribuer à une mondialisation multipolaire où la France mérite d’être influente : voilà une ambition que toutes les écoles et universités françaises volontaires peuvent construire comme dessein partagé.

C’est un projet qui se déclinera établissement par établissement, dans la culture de l’autonomie et de l’initiative constitutive du monde universitaire. Les établissements seront transformés par les conséquences concrètes qu’il en résulte. Et cela sera autofinancé.

Ce serait un des moyens pour augmenter les dépenses de recherche & développement françaises, auxquelles il manque 15 à 20 milliards d’euros par an pour rester compétitifs. Pourquoi attendre ?

Le Monde

(Merci à Burk-A47)

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