Deux économistes proposent un plan ambitieux pour la France… Le déclin de la France, Karine Berger et Valérie Rabault n’y croient pas. Dans « Les Trente Glorieuses sont devant nous », un essai qui paraît ce jeudi, ces deux économistes plutôt ancrées à gauche défendent une thèse optimiste: oui, le pays peut renouer la réussite économique et sociale, à condition d’investir beaucoup et rapidement, de favoriser l’immigration, et de refaire confiance au «modèle économique français».
Quel est ce «modèle français» que vous défendez?
C’est un système unique, très différent de l’Allemagne ou des États-Unis. Un modèle où on partage les risques, et où la réussite économique profite à tous. Dans le modèle français, le risque est pris en commun entre les entreprises et l’État. Un exemple, c’est Bouygues. Bouygues a lancé presque tous ses chantiers sur des commandes publiques, et l’État prend le risque de laisser l’entreprise tester de nouvelles technologies sur ces chantiers.
Et c’est une réussite, comme avec le pont de l’Ile de Ré, qui reste une prouesse technologique vingt ans après. Avec l’aide de l’État, les entreprises peuvent avancer et innover. Et ces réussites économiques profitent ensuite à tout le monde, grâce aux prélèvements qui financent notre système de protection sociale et de santé. Quand le pays tourne, on en profite tous. Ce pacte social est dans nos gênes.
Quand ce modèle français a-t-il disparu?
Peut-être avec la grande crise de 1993. Il y a eu une cassure, la France a commencé à douter d’elle-même. Avec la récession et un chômage à 13%, beaucoup de gens ont été laissés de côté. L’État a cessé de partager les risques avec les entreprises. La protection sociale s’est déréglée, avec des taux de remboursement qui passent en dessous des 50%. Ce déclin s’est inscrit dans nos têtes. Et on s’est mis à regarder les autres modèles, allemands ou chinois, en oubliant le nôtre.
Vous dites qu’il faut ouvrir massivement nos frontières. Pourquoi?
La France est un pays qui vieillit. En vieillissant, on perd sa capacité d’innovation. Et notre modèle de protection sociale ne pourra pas tenir. Pour rester jeune, il faut favoriser l’immigration.
Et puis c’est très important de redonner à la France une image attractive. Il faut que le monde nous voie comme une terre où l’on peut réussir, où les jeunes Indiens ou les jeunes Brésiliens peuvent avoir leur chance. Nous avons toujours été une terre d’accueil, de promesse. Et nous restons une terre d’excellence scientifique! Nous sommes la deuxième meilleure école de mathématiques du monde, derrière les États-Unis mais devant les Chinois, les Russes, les Allemands…
Selon vous, la France doit emprunter beaucoup, et très vite: 90 milliards d’euros, sur trois ans…
C’est le moment ou jamais d’investir dans le développement industriel. Déjà, les taux d’emprunt vont grimper si nous attendons d’être encore en crise. Et c’est de la prévention, pour éviter d’avoir à emprunter encore plus d’argent, plus tard. Il faudrait investir dans 5 priorités: l’éducation, la santé, les transports, l’énergie, l’alimentation. L’éducation serait le chantier prioritaire, avec 30 milliards d’euros d’investissement. Il faut passer par la revalorisation de l’école, qui s’est fortement paupérisée. Mais c’est un projet de long terme. Nous croyons que la France peut atteindre la prospérité en 2040.
(Merci à Capitaine Fracasse)