Imaginons qu’en 2012, le nouveau Président décide de rembourser, autant que faire se peut, la dette publique.
Bien évidement, il se rendra compte que les administrations publiques, ne pouvant déjà pas payer plus de 50 milliards d’intérêts par an sur une dette qui sera, à fin 2011, de plus de 1.700 Md€, ne peuvent non plus absolument pas rembourser un centime du capital formant la dette, même en diminuant d’une façon considérable le nombre de leurs fonctionnaires et en réduisant de toute part les dépenses (car la réduction des revenus de tous, c’est en même temps la réduction de leurs dépenses, donc une baisse du PIB, donc une baisse des recettes fiscales), même en augmentant les impôts des classes moyennes déjà exsangues (avec également la conséquence sur l’activité) et que, donc, il ne reste qu’une seule solution : la monétisation directe par la Banque de France.
Las, c’est interdit… doublement interdit.
D’abord par une loi française, l’article L. 141-3 du Code monétaire et financier. Mais ça, c’est facile à changer.
Ensuite – et là, problème ! –, l’article 123 du Traité de Lisbonne interdit dans des termes très clairs toute avance directe, sous quelque forme que ce soit, des banques centrales nationales (cas de la Banque de France) à l’État et aux autres administrations publiques ; les administrations publiques doivent trouver l’argent auprès des banques, des fonds de pension, des assurances-vie et autres épargnants.
[Ici, il faut que le lecteur comprenne bien que le système de création de monnaie par une banque centrale est exactement le même que celui utilisé par les banques commerciales privées ou non.
L’emprunteur qui demande « un crédit » dépose une « obligation » (reconnaissance de dette) que la banque va porter à l’actif de son bilan. Puisque c’est « son droit » (et les banques sont les seules à en disposer), elle va porter au passif de son bilan, au compte de l’emprunteur, le montant de la valeur de l’obligation, en monnaie qu’elle crée par cet acte ; c’est ce qu’on appelle la « monétisation ».
L’emprunteur immédiatement pourra se servir de cette monnaie créée.
Dans le cas de la Banque Centrale, l’emprunteur est le Trésor Public, qui recevra donc sur son compte tenu par la Banque de France, l’équivalent de l’obligation déposée.]
Donc, notre Président n’aura d’autre solution que de dénoncer cet article 123 qui est le fondement du fonctionnement de la BCE et, soit les 16 autres acceptent ensemble de modifier cet article (cette éventualité est peu probable ; l’Allemagne et le Luxembourg mettront leur véto), soit il n’a d’autre alternative que de décider de quitter l’Euro.
Voilà qui est fait, nous sommes donc revenus dans un système où la monnaie nationale est le Franc que nous prendrons, pour la facilité de compréhension de la suite, égal à un euro.
Notre dette est donc de 1.700 MdF.
Mais nous aurions pu choisir de prendre l’ancienne parité : tous les chiffres auraient été multipliés par 6,559 …
Comment rembourser cette dette ? Nous prendrons pour hypothèse que les soldes des budgets primaires (sans intérêts) sont équilibrés en moyenne au fil des années et nous oublierons la solution la plus simple pour la réduire, celle de vendre nos actifs financiers (pour 873 MdF fin 2009) simplement parce que ces actifs rapportent plus de revenus que ce que nos dettes nous coûtent d’intérêts.
Il nous faudra donc tenir compte :
– de l’inflation ; pour simplifier, nous présentons les résultats en «valeur milliards de francs 2011»;
– de l’augmentation espérée du PIB en valeur : l’hypothèse retenue est de 2% par an ;
– de la capacité de monétisation que nous prendrons égale à l’augmentation du PIB dans les 3 premières hypothèses, ou à une valeur donnée de 100 milliards de francs (pour les hypothèses 4 à 7) représentant environ 5% de la masse monétaire la première année, pourcentage bien évidemment en diminution les années suivantes ;
– des taux d’intérêts réels, c’est-à-dire le taux nominal (celui qui est affiché) diminué du taux d’inflation, sur le solde de dette à rembourser.
Un petit tableur nous permet d’explorer plusieurs hypothèses que l’on peut toutes visualiser sur le graphique ci dessous.
Hypothèse 1 : intérêts réels 5% / an – pas de monétisation ; nous continuons à emprunter les intérêts qui s’accumulent et nourrissent la dette, qui atteindrait 7.300 MdF, soit 208% du PIB, en 2042.
Hypothèse 2 : intérêts réels 5% / an et monétisation égale à l’augmentation du PIB de 2% / an, soit de 39 milliards la première année à 69 milliards la dernière. La dette continuerait d’augmenter pour atteindre 4.100 MdF, soit 116% du PIB, en 2042.
Hypothèse 3 : intérêts réels 3% / an et monétisation égale à l’augmentation du PIB de 2% / an, soit de 39 milliards la première année à 69 milliards la dernière. La dette resterait quasiment constante en valeur, mais diminuerait en pourcentage de PIB, pour représenter 50% du PIB en 2042.
Hypothèse 4 : intérêts réels 5% / an sur le solde et monétisation égale à 100 MdF. La dette n’est plus que de 20% du PIB en 2042.
Hypothèse 5 : intérêts réels 3% / an sur le solde et monétisation égale à 100 MdF. La dette est remboursée en 2036.
Hypothèse 6 : intérêts réels 2% / an sur le solde et monétisation égale à 100 MdF. La dette est remboursée en 2032.
Hypothèse 7 : intérêts réels 1% / an sur le solde et monétisation égale à 100 MdF. La dette est remboursée en 2030.
Il est tout à fait évident que les seules hypothèses qui permettent d’espérer une baisse rapide de l’endettement et sa suppression dans des délais raisonnables, sont celles qui proposent une monétisation annuelle de 100 milliards dès 2012.
Objections et réponses :
La monétisation de 5% annuelle de la masse monétaire par la Banque de France serait inflationniste !
La réponse est qu’elle ne le serait pas plus que celle qui consisterait à continuer de financer les besoins monétaires par les banques privées, car :
1 –actuellement, ce sont les banques privées qui disposent du droit de création monétaire (lors des demandes de crédit des agents non bancaires ou de monétisations de divers actifs, telles les obligations)… mais elles demandent des intérêts pour ce faire ;
2 –chaque demande de financement supplémentaire par les États (pour payer les intérêts) nécessite «globalement» une augmentation de la masse monétaire, par émission de nouveaux crédits bancaires (avec intérêts) ;
3 –la Banque de France appartient à 100% à l’État – seul actionnaire – et que, donc, les éventuels intérêts que pourrait payer le Trésor Public (ou les administrations) sur des crédits émis par la BdF à destination du Trésor Public reviendraient en totalité dans la caisse de l’État, par le biais des dividendes à son seul actionnaire et de l’impôt sur les sociétés payé par la BdF ; il semble donc tout à fait inutile de compliquer les choses ;
4 –la Banque de France émet de la monnaie de crédit d’une manière similaire à celle émise par les banques privées, c’est-à-dire « ex nihilo ». Pour être plus précis, les banques privées émettent de la monnaie en portant à leur passif, au compte courant de l’emprunteur, le montant de la garantie (« obligation ») qu’elles-mêmes portent à l’actif de leur bilan. Dans le cas d’une monétisation directe par la Banque de France, l’État offre à celle-ci des obligations et la BdF porte au compte du Trésor Public l’équivalent en monnaie ;
5 – soit l’État, estimant des risques d’inflation, rembourse la Banque de France et la quantité de monnaie en circulation diminuera, soit il ne le fait pas et cette monnaie deviendra permanente (ce ne sera plus une « monnaie de crédit ») ;
6 – cette proposition n’est pas nouvelle, elle a été faite en 1981, dans la proposition de loi n° 157, par des députés de droite.
Mais 100 Md€ de création monétaire directe permettraient par exemple d’équilibrer le budget 2011 (y compris les intérêts), mais ne permettraient pas de diminuer la dette. Il faudra donc parallèlement augmenter les impôts des plus riches, dans cette période de crise économique.
Le remboursement annuel du capital de la dette par monétisation, est neutre au niveau de la quantité de monnaie, ou n’est pas inflationniste. En effet, au final :
a) les détenteurs de la dette rembourseront (directement ou indirectement) les crédits octroyés par les banques, lesquels ont, à l’origine, permis l’achat des titres de dettes… la masse monétaire diminuera donc, ou
b) la monnaie récupérée par les structures détentrices de titres (assurances vie et fonds de pension) sera replacée en obligations d’entreprises privées, ce qui facilitera la création de richesses.
Mais il est vrai que la solution « 100% monnaie » serait de loin la plus « opérationnelle », en interdisant au privé de créer de la monnaie et en laissant aux banques de prêts la seule gestion de la seule épargne confiée : mais c’est encore trop utopique.
Une création monétaire sans création de richesses est toujours inflationniste !
Une création monétaire (excessive) sans création de richesses conséquente, peut effectivement être inflationniste. Mais un peu d’inflation, si elle est corrélée avec une augmentation des retraites et des salaires, ne ferait pas beaucoup de mal et faciliterait l’élimination de la dette.
Penser que l’inflation serait conséquence « obligée » d’une création monétaire sans création de richesses, c’est rester sur ce point de vue monétariste sans avoir évolué. C’est oublier simplement que l’inflation a de très nombreuses causes qui n’ont rien à voir avec la quantité de monnaie.
Non, la création de monnaie sans création simultanée de richesses n’est pas nécessairement inflationniste : si c’était le cas, quand on voit comment les banques ont gavé l’économie depuis des décennies (plus de 8% d’augmentation annuelle de la masse monétaire entre 2001 et 2008 dans la zone euro, alors que la « cible »de la BCE était de 4,5%, c’est-à-dire 2% d’inflation et 2,5% de croissance), on devrait être partout en hyperinflation.
Il vaut mieux faire financer par les banques privées, qui ont une meilleure habitude de jugement des risques ; en définitive, le financement bancaire (privé) est moins inflationniste.
1 – Des investisseurs privés d’une clinique sont financés par une banque lors d’une création monétaire : 100 à 5% sur 10 ans. Ils remboursent chaque année, ou plus exactement font rembourser chaque année par leurs « clients », 10 + les intérêts (la première année 15, la seconde année 14,5 , etc) . En fait ils auront remboursé les 100 émis par la banque au terme de 7,5 ans et au total ils vont rembourser 127,5 (27,5 d’intérêts qui ne pourront être issus à l’origine QUE d’une création monétaire bancaire « quelque part », de crédits eux mêmes productifs d’intérêts… mais inutile de calculer cette suite sans fin : arrêtons-nous là). La masse monétaire totale en circulation sur le laps de temps a bien été de 127,5.
Le solde réel de création monétaire INDISPENSABLE au terme des 10 ans, pour pouvoir payer les intérêts dus, est de 27,5.
2 – L’État construit un hôpital public équivalent (au même endroit, avec les mêmes prestations), qu’il finance par sa banque centrale, par une création monétaire centrale versée au compte du Trésor Public, pour un montant de 100. C’est la collectivité qui rembourse par les impôts, par exemple 10 par an sur 10 ans.
Le solde réel de création monétaire au terme des 10 ans est de zéro.
Les richesses (réelles) construites sont les mêmes.
Et l’on voudrait nous faire croire que le cas 1 serait moins « inflationniste » que le cas 2 ?
Enfin, dans le bulletin Natixis N° 696 du 22 décembre 2010, Patrick Artus pose la question : «Est-il mieux que les Banques Centrales monétisent directement les dettes publiques, ou qu’elles favorisent une monétisation indirecte par les banques ?».
Sa réponse – venant pourtant d’un banquier – est sans appel : «Au total, la monétisation indirecte par les banques nous parait beaucoup plus dangereuse que la monétisation directe par les Banques Centrales, ce qui est évidemment l’opposé de l’opinion de la BCE».