La hausse du prix du pétrole n’a rien à voir avec la situation en Libye. La hausse de la demande mondiale est le seul vrai facteur d’influence sur le cours du Brut. Les effets du printemps arabes n’interviennent pour l’instant qu’en toile de fond.
Les marchés aiment se faire peur. Cela peut d’ailleurs leur rapporter gros, et ça s’appelle la spéculation. Après s’être massivement portés sur les matières premières alimentaires, ils évoquent les effets du «printemps arabe» pour justifier un retour sur le pétrole. Mardi soir, 1er mars, le prix du baril a clôturé en hausse (115 dollars à Londres, 100 dollars à New York) sur fond de tensions au Maghreb et au Moyen Orient. En cause: la déstabilisation de la région.
Pourtant, la production d’or noir est jusqu’à présent assez peu affectée par ce «printemps arabe». Parmi les pays qui vivent actuellement une révolution et où les pouvoirs sont déchus, la Libye est le seul qui extrait du pétrole. Avant les évènements contre le régime Kadhafi, le pays produisait entre 1,5 et 1,7 million de barils par jour, sur un total mondial de 86 millions. Et en exportait environ 1,2 million.
Certes, à cause du départ massif d’ouvriers qui travaillaient sur les puits, la production libyenne a été diminuée de moitié. Mais les exportations se poursuivent, et l’Arabie saoudite s’est engagée à compenser le différentiel des exportations libyennes. Ryad en a tout à fait les moyens: extrayant jusqu’à présent 8,3 millions de barils/jour alors que ses capacités de production sont supérieures à 12, le royaume peut sans problème ouvrir les robinets pour assurer la stabilité du marché international. L’Arabie saoudite s’y était engagée le 22 février, c’est chose faite.
Aussi le marché mondial du pétrole ne souffre-t-il actuellement d’aucun manque d’approvisionnement. Dans aucun pays, l’hypothèse d’un recours aux réserves stratégiques n’a été évoquée. De toute façon, avec l’équivalent de 145 jours d’importation en stocks, les 28 pays industrialisés de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) disposeraient de marges de manœuvre en cas de déstabilisation trop importante.
Pourquoi, dans ces conditions, le pétrole flambe-t-il? Les opérateurs pointent des tensions dans d’autres pays comme l’Iran qui pèse deux fois plus lourd que la Libye sur le marché pétrolier mondial. De sorte que le prix du pétrole intègre aujourd’hui une «prime de risque», signe que la spéculation est à l’œuvre.
La progression de la demande à l’origine des tensions
En vérité, le printemps arabe a bon dos. L’origine des tensions est bien plus structurelle et provient de la demande énergétique des pays importateurs. Le 10 février, l’AIE a relevé ses prévisions de consommation mondiale pour 2011 à 89,3 millions de barils/jour, à cause notamment des besoins de la Chine qui ont augmenté de plus de 12% en 2010 et de la croissance du marché automobile en 2010! C’est le vrai défi pour les opérateurs pétroliers, la conjoncture en Libye n’intervenant qu’en toile de fond.
L’évolution récente des prix du pétrole apporte un éclairage dans ce sens. En tendance, la progression du prix du baril suit la même pente depuis début septembre 2010. A l’époque, le prix du panier des différentes qualités de pétrole défini par l’OPEP oscillaient autour de 75 dollars le baril. Deux mois plus tard, ce panier était à 85 dollars. Deux mois plus tard encore, début janvier 2011, 93 dollars.
A l’époque, le peuple tunisien était le seul à s’être soulevé. Pourtant, la Tunisie ne produit pas de pétrole. La révolte s’étendit à l’Égypte. Le prix du baril continua de grimper bien que l’Égypte n’en produise pas non plus. La Libye, membre de l’OPEP, se souleva à son tour. Le 18 février, le cours de ce panier atteignait 99 dollars : la hausse s’est donc poursuivie… au même rythme qu’avant le début des évènements libyens.
Le 1er mars, la spéculation aidant, ce même panier atteignait 108 dollars. Sans que le printemps arabe ne se soit étendu à un autre pays. Ni que l’approvisionnement du marché pétrolier n’ait été concrètement affecté.
A la pompe, la menace de hausses durables
Enfin, les prix à la pompe ont entrepris une lente et régulière ascension : de 1,14 euro le litre de gazole en septembre 2010 à 1,29 euro en moyenne début février et 1,33 à la fin du mois; et de 1,33 euro à 1,46 et 1,49 pour le super 95.
Or, la révolution libyenne a commencé le 15 février. Sachant qu’un certain délai (au moins neuf jours) est nécessaire pour répercuter à la pompe les évolutions à la hausse des cours du bail (les répercussions à la baisse sont plus longues !), les tensions qui se répercutent jusqu’au consommateur final ne peuvent pas être uniquement motivées par les seuls effets du printemps arabe.
La croissance de la demande mondiale en est le véritable moteur. Et c’est bien plus inquiétant pour l’évolution des cours du pétrole, cette cause étant moins maîtrisable que la réouverture des robinets pétroliers qui, à ce jour, n’ont jamais été fermés.