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Mediapart souchophobe ?

[…] Ces migrations sont belles et nobles. Rien à voir avec celles dont se plaignent, dit-on, les Français de souche. Ceux-ci ne déplorent pas les migrations internes ou nationales, rurales ou pastorales, pas plus que les migrations d’oiseaux, d’ions colorés ou de leucocytes ; non, ce dont ils se plaignent, ce sont les migrations d’étrangers.

La souche, on le comprend, tient à son sol. Elle se souvient de l’arbre qu’elle porta, peut-être même de la sève qui la parcourait. La souche, c’est un arbre sans tronc, sans branches, sans feuilles, sans fleurs et donc sans fruits, qui n’a plus que ses racines et qui attend en pourrissant dans son trou. Cet arpent de boue, elle se l’approprie ; elle croit qu’il est sien, qu’il lui appartient, qu’elle en est la gardienne – elle n’en est que la scorie et, de l’arbre, la ruine. Or le vent comme l’esprit souffle où et quand il veut, apportant du ciel cent mille formes de vie. Mais la souche est butée : c’est sa terre, c’est son trou, c’est son sol, c’est sa boue, hors de ma vue, pas touche. La souche est têtue comme une bûche.

On comprend donc qu’enchaînée par les pieds à un sol qu’elle ne nourrit plus et qu’elle indiffère, tandis que la vie de la forêt bruit partout autour d’elle sans plus la remarquer sinon comme une verrue sur une joue vermeille, et que des insectes fouisseurs y creusent des galeries sans qu’elle puisse rien faire, étant privée de bras, on comprend que la souche, donc, envie, jalouse, haïsse le migrateur, le voyageur, l’errant, le pèlerin, le passager. Hélas, « ses racines tordues l’empêchent de voler ». Parfois, pourtant, il arrive qu’un oiseau, fatigué de migrer, vienne poser sur une souche son corps palpitant et chaud. Alors la souche reconnaît à ce bruit la vie toute proche. Et peut-être se met-elle à aimer. Mais il est trop tard, et l’oiseau repart…

Nous n’omettons pas que le mot souche est aussi un terme de maréchalerie : c’est la partie du clou qui reste dans le sabot du cheval.

Renfonçons le clou : assurons que le maréchal ne refasse pas souche. Et que ce pied pourri reste à jamais dans son sabot.

Mediapart

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