Bonjour à tous ! Cette semaine je vous propose un article sur les collèges aux XVIIe et XVIIIe, en s’intéressant plus particulièrement aux Jésuites, principale congrégation enseignante. L’enseignement proposé par ces religieux peut paraître étonnant par sa modernité, loin du cliché qui voudrait que l’Église étouffe les savoirs… Nos collèges actuels sont encore les héritiers des collèges jésuites, ne serait-ce que par la numérotation des classes (de la 6e à la Terminale). Bonne lecture !
Le collège de Clermont (actuel lycée Louis-le-Grand) est fondé par les Jésuites en 1563. En 1682, Louis XIV lui accorde son patronage et l’établissement est renommé « Collège Louis le Grand » ; il accueille alors environ 3000 élèves. (Photo de la Cour intérieure du lycée).
Le collège en tant qu’établissement d’enseignement secondaire naît au XVe siècle en Italie, sous l’appellation de contubernium, des expériences des pédagogues humanistes (Gasparino Barzizza, Guarino Veronese et Vittorino Da Feltre), qui proposent de nouvelles méthodes d’enseignement telles que la division des élèves en classes de niveaux avec un contenu pédagogique propre, la spécialisation des professeurs et l’apprentissage des humanités (latin, grec et dans une moindre mesure hébreu). Conjuguée aux expériences pédagogiques des Frères de la Vie Commune (dans le Nord), cette forme d’enseignement prend sa forme quasi-définitive au XVIe siècle avec les Jésuites.
Le collège finit par s’imposer en tant qu’établissement de transition entre les petites écoles et l’Université grâce à un enseignement innovant et sa gratuité. L’Église et de leurs côtés les protestants y voient aussi un moyen d’encadrer les jeunes gens et les mettent au service de la Réforme ou de la Contre-Réforme. Il s’agit aussi de former les élites futures de la société et d’assurer le recrutement clérical. De fait, le collège s’inscrit pleinement dans le processus de « civilisation des mœurs » auquel a déjà été consacré un article : le collège du XVIIe forme le parfait « honnête homme ».
Les collèges d’Ancien Régime se divisent en trois catégories. Les « collèges de plein exercice » se situent au meilleur niveau car ils comportent les cycles complets de grammaire (quatre classes : de la 6e à la 3e), d’humanités et rhétorique (deux classes) et de philosophie (deux classes). Au niveau inférieur, les collèges ne possédant pas de cycle de philosophie sont nommés les « collèges d’humanités ». Enfin, les écoles de grammaire ou « régences latines » ne connaissent que le premier cycle et ne servent que d’appoint à l’enseignement élémentaire (apprentissage de rudiments de latin).
I. Les congrégations enseignantes
Les Jésuites sont alors la principale congrégation enseignante mais se voient rapidement concurrencés par d’autres ordres, comme les Oratoriens (congrégation fondée en 1611), les Doctrinaires (à partir de la fin du XVIe) ou les Dominicains. Vers 1640, les Jésuites possèdent 70 collèges ; vers 1630 les Oratoriens 17 ; et à la fin du XVIIe les Doctrinaires en gèrent 25. Vers 1627, 40 000 élèves sont scolarisés chez les Jésuites. En tenant compte des autres établissements d’enseignement secondaire, le total doit avoisiner les 60 000 élèves (pour comparaison, ce chiffre sera de 187 000 à la fin du XIXe siècle, mais la population française aura doublé entre temps).
● La Compagnie de Jésus
Ignace de Loyola (Jacopino del
Conte, vers 1600).
L’enseignement n’était pas l’objectif que se donnait Ignace de Loyola, fondateur des Jésuites, quand il commença à organiser sa Compagnie.
L’ordre ouvre au départ des maisons chargées de former les futurs missionnaires jésuites, mais ces « collèges » acceptent aussi de jeunes hommes. La demande des familles grandit et le pas est franchi lorsque, en 1548, les Jésuites acceptent de prendre en charge le collège de Messine sur demande du vice-roi de Sicile. L’enseignement rencontrant un grand succès, Ignace de Loyola ouvre le collège de Rome (Collegium Romanum) en 1551, qui devient le laboratoire de la pédagogie jésuite.
En 1556, les Jésuites ouvrent le collège de Billom : seul collège jésuite en France pendant trois ans ; en 1562 il compte 1200 élèves. En 1561 la Compagnie de Jésus est officiellement autorisée dans le royaume et les établissements se multiplient : 12 dès 1572.
II. Des élèves issus de tous les milieux sociaux
Quant à l’origine sociale des enfants scolarisés, on trouve de tout dans la mesure où l’enseignement est gratuit. Par exemple, au collège jésuite de Bordeaux qui accueille 673 élèves de 1644 à 1649, environ 10 % d’entre eux sont fils de nobles, 15 % fils de bourgeois, 45 % fils d’officiers (titulaires d’une office : charge civile ou ecclésiastique), 20 % fils de marchands, 5 % fils de laboureurs et 5 % fils d’artisans. La faible proportion de fils d’artisans ou de laboureurs ne tient pas au fait qu’ils sont exclus, mais que les parents ne voient pas l’intérêt de faire apprendre à leurs enfants le latin et le grec dans ces établissements. La représentation des laboureurs et artisans est néanmoins plus élevée ailleurs (Bordeaux étant une grande ville), comme au collège jésuite de Châlons-sur-Marne où, entre 1618 et 1634, sur 650 élèves, 20 % des scolarisés sont fils d’artisans et 15 % fils de laboureurs (avec près de 30 % de fils de marchands).
III. Un enseignement humaniste et chrétien
Le collège jésuite de La Flèche, fondé sur la cassette personnelle du roi Henri IV en 1603 (gravure de 1655).
La pédagogie et le contenu enseigné sont fixés avant le XVIIe siècle : les Jésuites mettent au point dès 1599 leur Ratio studiorum, manuel condensant le programme de leurs collèges, accessible à tous. Les Oratoriens fixent en 1645 une Ratio studiorum à partir de l’exemple jésuite.
La belle place est faite aux lettres classiques : latin et grec. Dès la 5e (deuxième année), l’élève est plongé dans un autre univers : il côtoie les auteurs anciens, les cours se font en latin et il est même interdit à la récréation de discuter en langue vernaculaire (français ou patois). La langue « vulgaire » est jugée trop facile, n’encourage pas l’effort en plus d’être objet de mépris (rappelons qu’à la Cour de Louis XIV, Molière faisait rire les courtisans en jouant sur les dialectes provinciaux avec quelques mots de picard, de breton ou d’occitan, langues alors jugées ridicules).
La grande majorité des cours sont consacrés à la lecture, l’explication ou la traduction des auteurs anciens, en particulier latins (textes au préalable purgés de leurs éléments libertins ou païens). Chez les Jésuites, en 6e est enseigné Cicéron pour l’apprentissage du latin, en 5e s’ajoutent Ovide et Phèdre, puis les années suivantes Virgile, Horace, Tite-Live, Tacite ainsi que d’autres auteurs mineurs.
L’Histoire et la géographie sont marginales, néanmoins l’élève peut appréhender ces deux disciplines à travers l’étude des historiens et géographes antiques (Tite-Live, Suétone, Jules César, Florus, Hérodote, Thucydide,…). Le temps consacré à ces deux disciplines tend à légèrement s’accroître au cours de la période. L’ordre parvient peu à peu à extirper la discipline historique de sa gangue littéraire, et Voltaire mettra à profit les enseignements qu’il a reçu au collège Louis le Grand. Au niveau de la géographie, les Jésuites vont développer les connaissances grâce aux comptes-rendus des voyages des missionnaires de la Compagnie au XVIIe.
Chez les Jésuites, les sciences naturelles (observations et expériences) sont peu présentes et les mathématiques ne sont abordés que durant la dernière année (deuxième année de philosophie). Il faut attendre la fin du XVIIe pour voir cette part de l’enseignement se développer légèrement et sortir de l’aspect purement philosophique avec des leçons de chimie et des expériences sur les phénomènes électriques. Les Oratoriens insistent davantage sur les disciplines scientifiques avec l’apprentissage de l’arithmétique dès la 6e et la géométrie en 3e.
La religion (messes, confessions, prières) tient évidemment une grande place dans l’enseignement, les collèges constituant le « fer de lance » de la Contre-Réforme. A côté de la religion est enseignée la morale et la civilité (l’art de se tenir en bonne société).
● Une originalité jésuite : le théâtre
Alors que l’Église condamne le théâtre et que la Compagnie de Jésus se veut à la pointe de la Contre-Réforme, les Jésuites consacrent une place importante à l’art théâtral qui revêt à leurs yeux trois qualités : améliorer la mémorisation, obliger le contrôle de sa voix (effets de voix) et la maîtrise de son corps (se tenir droit, ne pas faire de gestes brusques). Les représentations sont publiques, les habitants de la ville ou du village venant y assister librement.
● Discipline et encadrement
La discipline du collège jésuite est stricte, et le recteur, les préfets des études et les maîtres veillent à faire respecter le règlement.
Innovation du XVIIe : les punitions corporelles sont peu à peu abandonnées (au profit des blâmes, retenues,…). A l’inverse, l’émulation et le sentiment de l’honneur sont largement mis à profit : ainsi les classes sont divisés en deux groupes, Romains et Carthaginois, qui s’affrontent pour faire gagner leur camp, et élisent leurs magistrats dont les noms sont ceux des magistrats antiques (consuls, préteurs, questeurs,…). En fin d’année se tient la remise des prix en public pour les meilleurs élèves, où les familles et les notables de la ville sont conviés à la cérémonie.
La récréation et les pauses font l’objet d’un soin particulier : alors qu’auparavant les élèves étaient livrés à eux-mêmes, il est maintenant organisé pour eux des loisirs, sports, jeux et distractions de tous genres.
IV. La crise des collèges au XVIIIe siècle
A partir des premières décennies du XVIIIe, les effectifs dans les établissements secondaires chutent rapidement. Le collège jésuite de Rouen, qui avait près de 2000 élèves en 1662, n’en a plus que 800 dans les années pré-révolutionnaires ; le collège oratorien de Nantes qui comptait plus d’un millier d’élèves en 1705 tombe à moins de 600 à partir de 1765 ; celui d’Angers connaît un effondrement en passant de 1200 élèves en 1688 à 150 en 1788.
Plusieurs causes expliquent la crise : la multiplication des établissements secondaires mais surtout le changement des mentalités. Le contenu enseigné par les congrégations ne correspond plus à « l’air du temps », dans un siècle de déchristianisation. Des voix s’élèvent contre la tyrannie gréco-latine pour réclamer le renforcement des cours de français, d’Histoire, de géographie et de sciences naturelles. Les élites (notamment les marchands) reprochent aux collèges de manquer de pragmatisme, de ne pas préparer les adolescents à la vie adulte.
En 1762, les Jésuites, principale congrégation enseignante (ils possèdent alors un tiers des collèges du France), sont expulsés hors du royaume par ordre du roi…
Contrairement à une autre idée reçue, les philosophes des Lumières combattront au XVIIIe la démocratisation de l’enseignement et freineront les efforts de l’Église qui multipliait les écoles gratuites et les collèges… On peut se demander de quel côté se situe l’obscurantisme, mais ce sera l’objet d’un autre article…
Sources :
CROIX, Alain ; QUÉNIART, Jean. Histoire culturelle de la France. II – De la Renaissance à l’aube des Lumières. Seuil, 1997.
GUILLERMOU, Alain. Les Jésuites. PUF, 1999.
LEBRUN, François ; QUÉNIART, Jean ; VENARD, Marc. Histoire de l’enseignement et de l’éducation. II – 1480-1789. Nouvelle Librairie de France, 1981.