L’UE et les réseaux politiques et financiers de Jean Monnet (2ème partie)
Dans la première partie de notre article sur Jean Monnet (Horizons et débats n° 38 du 04 octobre 2010 intitulé « L’UE et les réseaux politiques et financiers de Jean Monnet ») (1) nous avons montré comment Monnet, l’un des « pères fondateurs » de l’Europe, s’était introduit dans les réseaux de la politique et de la haute finance anglo-saxonnes en tant que banquier et marchand international de cognac avant, pendant et après la Première Guerre mondiale.
Dans le présent article, nous allons évoquer ses diverses activités pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale.
A travers ces activités, on peut facilement voir, comme un fil rouge, ses efforts pour porter atteinte à la souveraineté des Etats nations européens et créer un vaste marché, c’est-à-dire un débouché pour l’économie américaine.
C’est aussi dans ce contexte qu’il faut envisager ses activités de représentant de la politique française. Nous parlerons beaucoup ici de la France, à laquelle – ce qui sera entre autres le sujet de la troisième partie de notre analyse – on avait sans aucun doute attribué un rôle spécifique dans la création des Etats-Unis d’Europe dépendant du bon plaisir des Etats-Unis.
Louise Weiss, journaliste et doyenne du Parlement européen (1893–1983) qui connaissait bien Jean Monnet, nous livre, dans ses « Mémoires d’une Européenne », un portrait pertinent de Monnet : « Des étincelles de génie allumaient des paillettes dans les yeux marron du petit Jean Monnet lorsque, mystérieux, vif et charmant, il tissait le réseau des influences qui, dès le départ, assurèrent à la Société des Nations (SDN) une puissance remarquable. Ses négociations de guerre lui avaient ouvert les portes, et les coffres, des bastions financiers de la City, de Wall Street, des ports de Chine même. Les propriétaires de journaux le connaissaient mais il glissait comme une couleuvre entre les plumes de leurs rédacteurs, préférant à des négociations publiques qui l’eussent emprisonné les libres suggestions de ses démonstrations particulières. Il avait sa manière. C’était un initié. Cette manière fascina bientôt le monde entier (2) ».
La haute finance internationale
« Très tôt, Jean Monnet était devenu un homme d’influence possédant un clavier étonnamment large, surtout pour l’époque, puisqu’il allait des principaux dirigeants politiques français à l’élite financière londonienne et aux hauts fonctionnaires du Département d’Etat américain. Dès 1923, il avait quitté la SDN dont il déplorait l’impuissance. Devenu vice-président de Blair et Co, une société d’investissement américaine très importante, il participa alors à des opérations financières de très haut niveau : la stabilisation du franc en 1926, celle du zloty, la monnaie polonaise un an plus tard, celle du leu, la monnaie roumaine, en 1928. Peu après, il exerça son activités en Chine aux côtés de Tchang Kaï-chek en tant que conseiller financier (3) ».
Il organisa des emprunts pour le gouvernement chinois et fonda la banque Monnet, Murnane and Co, pour assurer le flux monétaire vers la Chine. John Foster Dulles, le futur Secrétaire d’Etat américain, lui servit d’intermédiaire. Plus tard, cette banque fera des affaires lucratives avec l’Allemagne nazie.
Jean Monnet était un intermédiaire extrêmement habile et efficace entre les intérêts des milieux américains de la finance, de la politique et des affaires et les mêmes milieux dans le reste du monde, en particulier en Europe.
Affaires et souverainetés
Ainsi, il n’est pas étonnant que le Premier ministre français de l’époque, Daladier (1884–1970) en 1938, quand l’Angleterre pratiquait encore sa politique d’apaisement (appeasement) (4), l’ait chargé d’essayer, dans la plus grande discrétion, de procurer à l’armée française les avions qui lui faisaient si cruellement défaut (5). C’est en exécutant cet ordre qu’il fit la connaissance du président Roosevelt (1933–1945) par l’intermédiaire de l’ambassadeur William Bullitt (6).
La difficulté provenait du fait que la France avait des difficultés de paiement et que le ministre américain des Finances Henry Morgenthau (1934–1945) voulait absolument que le règlement soit assuré. En outre, il fallait trouver des moyens de contourner ou même d’abroger la loi sur la neutralité (7). Après son assouplissement en 1939, Jean Monnet et le conseiller du gouvernement britannique pour les affaires industrielles et chef de cabinet de Chamberlain, Horace Wilson, qui avait déjà joué un rôle clé dans la politique d’apaisement de Chamberlain, se mirent d’accord pour regrouper les achats d’armes français et britanniques.
Jean Monnet qui, lors de la Première Guerre mondiale, avait déjà été chargé de l’achat d’armes à Londres y retrouva les mêmes conditions et y occupa les mêmes fonctions. Il avait très vite compris que les Etats-Unis, depuis la fin de la Grande Guerre, jouaient un rôle mondial majeur et il s’était mis au diapason de cette nouvelle situation.
Fusion des souverainetés
L’idée d’une union étroite entre la France et l’Angleterre était née à Chatham House (8) une institution dirigée, entre 1925 et 1956, par le philosophe et historien Arnold Toynbee (9). Dès 1938, en liaison avec le Centre d’études de politique étrangère de Paris (10), la possibilité d’un rapprochement entre la France et la Grande-Bretagne avait été soumise à la réflexion à huis clos de petits cénacles spécialisés. Mais en 1940, lors d’un voyage de Toynbee à Paris, le projet gagna en publicité et en actualité. Il fut pour ainsi dire lancé. A son retour à Londres, Toynbee fit rédiger un mémoire, l’« Acte d’association perpétuelle » entre la France et la Grande-Bretagne.
D’une part, ce projet servait à aider la France grâce à une coopération sur le plan militaire, économique et politique contre une attaque de l’Allemagne d’Hitler. D’autre part, on avait l’intention de fusionner les souverainetés des deux pays. C’est alors Jean Monnet qui proposa, avec son ami Vansittart (11), ce projet de fusion totale des souverainetés. L’idée n’était pas toute neuve. En 1936 déjà, William Bullitt, l’ami de Monnet, avait fait allusion à ces « dingy little states » d’Europe qui ne valaient pas d’être appelés des Etats (12).
Le projet était lancé. En Angleterre, c’étaient surtout les ministres qui en discutaient. En France, plutôt les intellectuels et les journalistes. Ce fut Jean Monnet qui joua le rôle clé dans sa réalisation. En 1939, il gagna Londres et envoya parallèlement une note au Premier ministre Churchill (1940–1945 et 1951–1955) et au Premier ministre Reynaud (mai 1940 – juin 1940) où il exprimait sa crainte qu’Hitler réussisse à séparer l’Angleterre de la France. C’est pourquoi les liens devaient être rendus indissolubles : les forces des deux nations devaient être utilisées comme une seule.
Pour donner plus de poids à son argumentation, il ajouta – chantage typique de Monnet – que la capacité de production des Américains, quasi illimitée, ne serait mise à leur disposition que s’ils manifestaient nettement leur volonté de lutter ensemble. Sinon on pourrait oublier l’aide des Américains.
Ainsi Monnet devint, en septembre 1939, « fonctionnaire allié » des gouvernements français et anglais situé au-dessus des intérêts nationaux (13).
Dans le mauvais camp ?
Lorsque la France, pendant la « drôle de guerre » (du 10 mai au 22 juin 1940), fut vaincue par l’armée hitlérienne, les élites françaises se posèrent la question de savoir s’il fallait capituler et signer l’armistice ou continuer le combat depuis les colonies françaises. Grâce à une propagande ciblée, on fit circuler les noms du général Weygand et du maréchal Pétain, tous les deux sympathisants de l’Allemagne nazie et anticommunistes fanatiques, comme sauveurs possibles de la France.
Le fait que le maréchal Pétain ait eu dans certains milieux une très bonne réputation en tant que « vainqueur de Verdun » incita beaucoup de politiques à le suivre dans l’armistice. Pétain la signa en tant que dernier Premier ministre de la Troisième République et devint chef du nouvel Etat français qui, grâce aux pleins pouvoirs, abrogea la République et installa le régime autoritaire de Vichy qui collabora avec Hitler.
Charles de Gaulle qui, à l’époque où il était soldat de métier, admirait Pétain, refusa de le suivre. Il condamna l’armistice avec l’Allemagne nazie et se rendit à Londres avec quelques fidèles. De là, il lança, sur les ondes de la BBC et avec la permission de Churchill, son fameux « Appel du 18 juin » qui invitait le peuple français à ne pas accepter l’armistice et à continuer le combat aux côtés de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Avec quelques fidèles seulement, il créa une organisation de résistance, le « Comité français de libération nationale » (CFLN).
C’est à Londres qu’eut lieu la rencontre entre Jean Monnet et de Gaulle.
Comment expliquer que Jean Monnet, adversaire déclaré du régime de Vichy, ne soutint pas de Gaulle quand celui-ci commença à organiser à Londres la résistance contre l’occupation allemande de la France ?
Monnet se rendit aux Etats-Unis afin d’y acheter, sur l’ordre de Churchill, des armes pour la Grande-Bretagne. Il y resta et fut intégré au noyau dur des personnes entourant le président Roosevelt (Dean Acheson, Secrétaire d’Etat ; Felix Frankfurter, juge à la Cour suprême ; Francis Biddle, ministre de la Justice ; Phil Graham, magnat des médias) (14).
Pendant cette période, Monnet fréquentait aussi les cercles d’exilés qui intriguaient contre de Gaulle auprès du gouvernement américain. Les arguments de Monnet selon lesquels de Gaulle était un dictateur fasciste, psychotique qui ressemblait à Hitler et n’était pas habilité à parler au nom des Français, etc., servaient à contester de Gaulle et à l’empêcher de devenir le chef d’un gouvernement après la guerre (15).
La position de de Gaulle ne leur convenait pas, parce qu’il voulait absolument rétablir la souveraineté de la France. Il ne fut pas informé du débarquement de la flotte américaine en Algérie et, à plus forte raison, n’y fut pas intégré (16). Le gouvernement américain pensait avoir trouvé en la personne du général Giraud (17) l’homme qui convenait à ses objectifs. En décembre 1942, on le nomma haut-commissaire en Afrique française. Il suffisait de lui donner une apparence démocratique pour qu’il soit présentable à l’opinion mondiale. Ce fut la tâche de Jean Monnet en sa qualité d’envoyé spécial du président Roosevelt. Il n’avait pas de mission française (18).
Le fait que Giraud appliquait en Algérie les lois racistes, c’est-à-dire fascistes, du gouvernement de Vichy, semblables aux lois nazies, contre les Juifs et les combattants de la Résistance, était jugé sans importance par les dirigeants américains. C’était d’autant plus grave que sans l’aide active de 400 combattants de la Résistance, le débarquement des troupes alliées en novembre 1942 aurait été beaucoup plus difficile car le gouvernement de Vichy opposait une forte résistance.
Ces faits montrent clairement que de Gaulle n’était pas « l’homme des Américains » et que les reproches qu’on lui adressait doivent être qualifiés de propagande mensongère.
Homme d’action au service de Roosevelt
A Alger, Jean Monnet, en tant qu’envoyé spécial de Roosevelt, obéissait aux ordres de celui-ci. De fortes sommes américaines provenant du Lend-Lease Act (19), l’aidèrent dans sa tâche. En tout, la France reçut pendant la guerre 4 milliards de dollars. Monnet organisait avec cet argent l’approvisionnement des « Forces françaises libres ». Il coopérait étroitement avec Christian Valensi, jeune conseiller financier qui, tout comme lui, disposait d’un réseau de relations des deux côtés de l’Atlantique. Après la fin de la guerre, il participa à l’octroi à la France de crédits américains s’ajoutant aux fonds du plan Marshall (20).
En même temps, Monnet boycottait le Comité français de libération nationale dirigé par de Gaulle, qui avait été reconnu par la Résistance française et chargé de son commandement. Cependant, lorsqu’il apparut qu’il n’y avait pas moyen d’éviter de Gaulle, on l’intégra dans un grand comité en espérant pouvoir le « noyer », c’est-à-dire le mettre sur la touche (21).
Ce fut à Alger qu’on élabora des projets pour l’après-guerre : on planifia la reconstruction de la France et de l’Europe et on mit sur pied les futures équipes gouvernementales. Monnet y joua un rôle décisif. Lui-même était prévu, dans le gouvernement provisoire ou « Grand Comité », comme ministre de la Reconstruction et de l’approvisionnement en armes et du ravitaillement. Il apporta ses idées pour la reconstruction de la France et de l’Europe, développées aux Etats-Unis et tous les hommes avec lesquels il avait noué des contacts depuis ses activités auprès de la SDN lui prêtèrent une oreille attentive.
En même temps, Eisenhower et Roosevelt essayaient d’influencer directement la politique du Comité par le biais du général Giraud, en laissant entrevoir l’arrêt des livraisons d’armes américaines au cas où Giraud, très controversé parmi les Français, ne serait pas maintenu dans ses fonctions au sein du Comité.
Pendant ses « années américaines », en raison de ses relations étroites avec les élites au pouvoir, Monnet s’était ouvert à leurs idées sur l’Europe de l’après-guerre. Ainsi il était l’ami intime du futur Secrétaire d’Etat John Foster Dulles qui, en 1921, avait proposé dans un article de réorganiser l’Europe de manière centralisée et prétendait que ce serait une folie politique de rendre leur pleine et entière souveraineté aux divers Etats européens (22).
La revue américaine « Fortune » et le journaliste John Davenport avec lesquels Monnet entretenait des relations très étroites, étaient les porte-parole de la haute finance et des cartels américains. En 1943, on y proposa la fondation d’une communauté européenne de transport qui serait située au-dessus des Etats, ainsi qu’une union monétaire européenne qui devait être dirigée par une banque européenne. L’Europe devait se rapprocher étroitement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.
Monnet accueillit favorablement le message américain : agir vite pour unifier l’Europe occidentale et créer un grand marché avec ou sans autorité politique commune, et inciter la France à créer une fédération européenne afin d’intégrer l’Allemagne. En 1943, Monnet rédige un mémorandum pour le CFLN où il propose une union économique à l’initiative de la France « pour établir un ordre démocratique en Europe. L’Europe peut devenir un Etat apportant la paix et le bonheur » en s’élevant au-dessus des souverainetés nationales (23). Le rôle de la France était ainsi fixé : être le fer de lance de l’unification européenne, avec Monnet comme moteur dépourvu de toute légitimité parlementaire.
Ces projets pour l’Europe d’après-guerre, élaborés aux Etats-Unis, nous fournissent une première réponse à la question de savoir pourquoi l’Amérique voulait écarter de Gaulle. En le décrivant comme un malade mental et un fasciste, on pensait éliminer la tête du mouvement qui défendait la souveraineté de la France. Quand on lit les écrits du Général et que l’on tient compte de l’analyse de la politique étrangère américaine du XXe siècle que nous avons esquissée dans notre premier article, on s’approche beaucoup de la vérité (24).
De Gaulle et Roosevelt : des projets pour le monde de l’après-guerre
Dans ses « Mémoires de guerre », de Gaulle nous rend compte de son entretien avec Roosevelt, en juillet 1944 à Washington. Au cours de cette conversation, Roosevelt fit part de ses réflexions stratégiques pour le «monde» après la Seconde Guerre mondiale. La vision de Roosevelt apparut à de Gaulle comme une menace pour l’Europe et en particulier pour la France.
De Gaulle écrit ceci : «C’est un système permanent d’intervention qu’il entend instituer de par la loi internationale. Dans sa pensée, un directoire à quatre : Amérique, Russie soviétique, Chine, Grande-Bretagne, réglera les problèmes de l’univers. Un parlement des Nations Unies donnera un aspect démocratique à ce pouvoir des ‹ quatre grands ›. Mais, à moins de livrer à la discrétion des trois autres la quasi-totalité de la terre, une telle organisation devra, selon lui, impliquer l’installation de la force américaine sur des bases réparties dans toutes les régions du monde et dont certaines seront choisies en territoire français. Roosevelt compte ainsi attirer les Soviets dans un ensemble qui contiendra leurs ambitions et où l’Amérique pourra rassembler sa clientèle. Parmi ‹ les quatre ›, il sait, en effet, que la Chine de Tchang Kaï-chek a besoin de son concours et que les Britanniques, sauf à perdre leurs dominions, doivent se plier à sa politique. Quant à la foule des moyens et petits Etats, il sera en mesure d’agir sur eux par l’assistance. Enfin, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’appui offert par Washington, l’existence des bases américaines, vont susciter, en Afrique, en Asie, en Australie, des souverainetés nouvelles qui accroîtront le nombre des obligés des Etats-Unis. Dans une pareille perspective, les questions propres à l’Europe… lui font l’effet d’être accessoires (25) ».
De Gaulle reconnut dans ces projets une « volonté de puissance » et le désir de dominer l’Europe. Il fit valoir que cela risquait « de mettre en péril l’Occident. En tenant l’Europe de l’Ouest pour secondaire, ne va-t-il pas affaiblir la cause qu’il entend servir : celle de la civilisation ? » […] « C’est, dis-je au président Roosevelt, l’Occident qu’il faut redresser. S’il se retrouve, le reste du monde, bon gré mal gré, le prendra pour modèle. S’il décline, la barbarie finira par tout balayer. Or, l’Europe de l’Ouest, en dépit de ses déchirements, est essentielle à l’Occident. Rien n’y remplacerait la valeur, la puissance, le rayonnement des peuples anciens (26) ».
Ensuite Roosevelt se dit très déçu que le peuple français ait cédé aux nazis. De Gaulle, en homme poli, ne rétorqua pas mais il aurait aimé lui « rappeler combien l’isolement volontaire de l’Amérique avait compté dans notre découragement après la Première Guerre mondiale ». Il aurait également aimé lui faire observer à quel point son attitude vis-à-vis du général de Gaulle et de la France combattante avait contribué, en misant sur le régime de Vichy, à « maintenir dans l’attentisme une grande partie de notre élite ».
Ce passage des « Mémoires de guerre » nous fait très bien comprendre que de Gaulle jugeait la « déception » de Roosevelt hypocrite. Il le quitta, persuadé que « dans les affaires entre Etats, la logique et le sentiment ne pèsent pas lourd en comparaison des réalités de la puissance; que ce qui importe c’est ce que l’on prend et ce que l’on sait tenir ; que la France, pour retrouver sa place, ne doit compter que sur elle-même (27) ».
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Notes :
(1) Cf. L’UE et les réseaux politiques et financiers de Jean Monnet, Horizons et débats n° 38 du 4 octobre 2010. Comme dans la première partie, la source principale est la biographie d’Eric Roussel, Jean Monnet 1888–1979, Fayard, 1996, ISBN 978-2-213-03153-8. Une autre source est Eric Roussel, Le naufrage, Paris, Gallimard, 2009.
(2) Louise Weiss, Mémoires d’une Européenne, Paris, Albin Michel, 1971, p. 141. Cité d’après Eric Roussel, Le naufrage, Paris, Gallimard, 2009, p. 221.
(3) Ibid. p. 221 ss.
(4) Nous nous référons à la politique d’« apaisement » menée principalement par la Grande-Bretagne dans les années 1935 à 1939 et qui consistait dans une attitude de concessions et de complaisance à l’égard des entreprises d’annexion de Hitler. Le Premier ministre britannique Neville Chamberlain (1937–1940) en était le principal responsable. Il fut suivi par Daladier et Mussolini, ce qui permit à Hitler, dans les années 1935 à 1939, d’annexer la Sarre, la Rhénanie, l’Autriche, les Sudètes (Conférence de Munich de 1938) et le reste de la Tchécoslovaquie.
(5) Eric Roussel, ibid. p. 223.
(6) William C. Bullitt (1891–1967) participa en 1919 à la délégation de négociations du président américain Wilson lors de la Conférence de paix de Versailles. Il passait pour un partisan de la position internationaliste qui s’opposait à l’isolationnisme des Etats-Unis. En 1933, Bullitt travailla au sein du comité électoral de F. D. Roosevelt et il lui servit de nègre pour ses discours de politique extérieure. Bullitt fit la connaissance de Monnet en 1934 à Moscou quand il y occupait le poste d’ambassadeur. De 1936 à 1940, il fut ambassadeur en France.
(7) Les différentes lois de neutralité interdisaient les exportations d’armes et l’aide financière aux Etats belligérants. Mais la clause dite « cash-and-carry » permettait aux Etats belligérants de se procurer des marchandises américaines en les payant directement et de les transporter eux-mêmes sur leurs propres navires. Grâce à cette clause ingénieuse, les Etats-Unis pouvaient continuer à vendre des biens utiles à la guerre tels que le pétrole, le coton, le cuivre, l’acier, les camions, etc. Erich Angermann, Die Vereinigten Staaten von Amerika seit 1917, Munich, 1966, p. 208, in : Walther Hofer, Herbert R. Reginbogin, Hitler, der Westen und die Schweiz 1936–1945, Zurich, 2001, p. 577.
(8) Chatham House, institution appelée également jusqu’en 2004 Royal Institute of International Affairs, est issue en 1920 de la Round Taimpérialible qui avait été fondée en 1911 par Lord Milner, dans la tradition de l’impérialiste britannique Cecil Rhodes, afin de promouvoir une nouvelle forme libérale d’impérialisme.
Le siège de ce laboratoire d’idées est la maison d’un ancien Earl of Chatham à Londres. Parallèlement, le Council of Foreign Relations (CFR) a vu le jour à New York. Ses fondateurs, considérés par des opposants comme une association de banquiers, ont poursuivi dès le début l’objectif de contrecarrer l’isolationnisme. Un des résultats les plus marquants du travail du CFR dans les 100 dernières années fut de marginaliser l’isolationnisme. Le CFR garantit la poursuite d’une politique extérieure internationaliste basée sur les interventions. Grâce à différents réseaux de politique extérieure, le CFR exerce son influence sur les élites de la politique extérieure des pays les plus importants orientés vers l’Occident. Il s’agit en Allemagne de la « Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik » (DGAP) et l’« Atlantikbrücke », et en France de l’« Institut français des relations internationales » (IFRI). (Concernant la fondation de cette institution, cf. note 10.) Dans ces laboratoires d’idées, des scientifiques, des journalistes, des avocats et des éditeurs se cooptent.
En ce qui concerne le Milner Group, on citera Carroll Quigley : « Aucun pays qui attache de l’importance à sa sécurité intérieure ne devrait tolérer ce que le Milner Group a réussi à faire, c’est-à-dire qu’un petit nombre d’individus puissent exercer une telle influence sur le gouvernement et la politique, en arrive à exercer un contrôle presque absolu sur la publication de documents relatifs à son action, soit en mesure d’exercer une influence sur les courants d’information qui forgent l’opinion publique et de monopoliser l’écriture et l’enseignement de l’histoire de leur époque ». Carroll Quigley, The Anglo-American Establishment, texte de la couverture du livre (traduit par l’auteur).
(9) Arnold Toynbee (1889–1975) a travaillé pendant la Première et la Seconde Guerre mondiales pour le ministère britannique des Affaires étrangères en tant que consultant du « War Propaganda Bureau » et il a écrit des pamphlets contre l’Axe et l’Empire Ottoman. En 1919, il a participé à la Conférence de Paix de Versailles.
(10) Centre d’études de politique étrangère, soutenu en 1935 par des universités françaises et grâce à l’aide financière de la Fondation du magnat américain de l’acier Carnegie, qui a généreusement soutenu le CFR, fondé sur le modèle de Chatham House. Ce fut le précurseur de l’actuel Institut français des relations internationales (IFRI).
(11) Le plus haut responsable du ministère britannique des Affaires étrangères.
(12) Cité d’après Roussel, ibid., p. 234.
(13) Gérard Bossuat, Jean Monnet, Le blog Europe hebdo du 20 août 2009, p. 4.
(14) Roussel, ibid., p. 255 et 402.
(15) Roussel, ibid., p. 403.
(16) L’Algérie faisait à cette époque, comme le Maroc et la Tunisie, partie de l’Empire colonial français et elle était contrôlée par des gouverneurs proches du régime de Vichy.
(17) Le général Giraud échappa à la captivité allemande de manière aventureuse en avril 1942 grâce à l’aide du colonel Linarès, un proche très loyal de Monnet. Il était partisan de Pétain et défendait sa conception d’un Etat autoritaire et antidémocratique, mais il s’opposait à une collaboration avec l’occupant allemand. Il prit donc le maquis jusqu’à sa « libération » par les Alliés qui le transférèrent à Gibraltar.
(18) Roussel, ibid., p. 363, Couve de Murville. Il l’influença pour son « premier discours démocratique ». (Note : « Depuis des semaines, il lutte pied à pied pour convaincre Giraud ». « Et le 14 mars 1943 […] je prononçai le premier discours démocratique de ma vie ». Eric Roussel, ibid., p. 315).
(19) Des sommes d’argent que permettait le Lend-Lease Act signé par le président américain Roosevelt le 11 mars 1941 et qui mettait fin à la neutralité américaine. (Voir aussi note 7.) In : James J. Dougherty, Lend-Lease and the Opening of French North and West Africa to Private Trade. Cahiers d’Etudes africaines, n° 59, XV-3, pp. 481–500.
(20) Après la fin de la guerre, Valensi négocia avec la Banque américaine d’Export-Import, en plus du milliard de dollars du plan Marshall, des crédits supplémentaires substantiels pour la France. Ainsi la dépendance économique et financière de la France par rapport aux Etats-Unis augmenta et rendit impossible une politique intérieure et extérieure indépendante et souveraine. In : Anne Sabouret, MM. Lazard Frères et Cie – Une saga de la fortune, Paris, Olivier Orban, 1987, p. 134.
(21) Roussel, ibid., p. 366. Un comité de sept membres dont faisaient partie entre autres de Gaulle, Giraud, André Philip et Jean Monnet. André Philip fut intégré au comité en tant que proche de de Gaulle et devint Commissaire aux Affaires intérieures. Sous l’influence grandissante de Jean Monnet, il élabora avec l’aide de celui-ci et celle de René Mayer un projet d’intégration de l’Europe occidentale dont le premier élément fut la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
(22) Gérard Bossuat, ibid., p. 4.
(23) Gérard Bossuat, ibid., p. 4.
(24) Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 2, L’Unité, 1942‑1944, Plon 1956, p. 281.
(25) Ibid., p. 282.
(26) Ibid., p. 282 et 283.
(27) Ibid., p. 284.