Une tribune libre de Patrick Reymond
Ces bons riches sont donc prêts à payer – provisoirement et symboliquement – un peu plus d’impôts (lire : des cacahuètes), en échange d’un « downsizing » [réduction, dégraissage] de l’État providence, définitif et monstrueux. Pour la classe dirigeante, il reste quand même un dilemme : se maintenir au pouvoir, car il est difficile de faire passer la pilule, en continuant le système.
En 1973, une révolution silencieuse a eu lieu. La dette, euthanasiée sous les Trente Glorieuses, redevenait d’actualité, avec la loi du 3 janvier 1973, dite loi « Pompidou-Giscard-Rothschild », destinée à faire des cadeaux monstrueux aux plus riches.
Il n’y a qu’à voir la déférence de Pompidou pour les Bettencourt, pour comprendre la portée du larbinisme.
Deux graphiques (chipés sur le blog les crises), nous aident à mieux comprendre le problème, et démontrent l’application de la loi de Pareto.
Le « top 20 », possède la bagatelle de 84 % du patrimoine total, 11 % étant obtenus par les 20% suivants.
Cela veut dire une chose, au delà des 20 % qui s’intitulent eux-mêmes « classe moyenne » et qu’il faut appeler par leur nom « riches » ou « classe dirigeante », quelques-uns possèdent un logement, ou quelques terrains, héritage ancien d’un monde paysan disparu.
Mais le graphique suivant éclaire encore plus :
Au niveau financier, 93 % du patrimoine est détenu par cette classe riche et dirigeante (répétition), les 20 % suivants ayant le reste et les 60 % restants, rien du tout. Encore, cela était-il AVANT la crise.
Conclusion logique : le « pitizépargnangnan » chéri de l’UMP, ça n’existe pas.
Conclusion logique aussi : le caste dirigeante est dans une merde noire et profonde. En effet, rappelons 2002. Chirac reçoit au premier tour, l’approbation idéologique de 10 % de la population, et le reste de son fabuleux score qui le mène à 19 % est la prime au sortant, rien de flamboyant, donc. Mais le deuxième tour est éclairant. A 81 % pour lui, c’est un vote global d’adhésion au système, qui est le feu vert et permet donc, une régression sociale absolue et à marche forcée.
Aujourd’hui, il est clair que tout « downsizing » ou mesures d’économies portant sur les 80 % de la population qui n’a pas grand-chose, ne peut se traduire que par un effondrement de la demande, chose déjà visible en Grèce, mais aussi au Portugal, en Irlande et en Espagne.
Dans les faits, l’arbitrage est entre sauver les banques en rapetissant l’État providence, mais cette politique est appelée à un échec retentissant et sans doute sanglant, et nationaliser un système financier qui ne vaut plus rien, pour euthanasier la dette. C’est, sans doute, le vrai clivage entre droite et gauche actuellement, mais ces deux politiques ne peuvent avancer que cachées.
Même dans le « top 20 », rares sont ceux qui ne profitent pas ET de l’État providence ET de la rente de la dette.
Entre rente improductive et devenue ingérable, et État providence, les hommes politiques doivent désormais choisir. Et ils ne veulent pas choisir, dans les deux cas, ils s’attaquent à leur propre caste. En effet, la contrepartie de la dette, c’est le patrimoine, donc le patrimoine des plus riches…
Mais, si ce « top 20 » dispose du patrimoine, il dispose aussi des meilleures retraites, mais [encore] d’une sécurité sociale bon marché qu’eux mêmes seraient hors d’état de financer dans un système américanisé.
Seul, le « Top 5 % » peut accepter, supporter et être gagnant dans cette éventualité.
On a donc choisi de ne pas choisir. La solution de 1945 s’impose, on monétise la dette, en douce, malgré les traités, malgré la règle des 3 % de Maastricht, ouvertement bafouée. Cette fois, comme toutes les fois, on n’allait pas faire banqueroute, on n’allait pas proscrire les riches.
Rien n’est changé depuis l’Antiquité. Déjà à cette époque, la revendication populaire était la fin des dettes, qu’on calmait par des banqueroutes partielles (80 % sauvegardées, 20 % annulées), et les empereurs envoyaient leurs tueurs vider le Sénat, violer les femmes (on ne pouvait tuer des vierges, alors, on s’arrangeait pour être sûr que personne ne le soit) et piller les coffres.
L’ajustement, la fin de la dette, revendication politique «incontestable», ne peut porter que sur 20 % de la population, celle qui le peut. Toute mesure sur les 80 %, serait immédiatement sanctionnée par de la récession.
La croisée des chemins, aussi, est l’oxydation d’une classe politique fossilisée et qui se croit indéboulonnable, telle une statue de Lénine sur la place Karl Marx.
La montée des « populismes » est, désormais, la montée d’une alternative politique face à une fausse alternance, destinée à faire perdurer le système. Il est visible, d’ailleurs, que l’alternance politique n’est devenue envisageable et prévisible qu’après la loi de 1973.
Cela a été la soupape de sécurité du régime, mais même celle-ci apparaît usée.
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