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La prise par les rebelles du point de passage frontalier de Ras Jedir, vendredi soir dernier, semble avoir décidé définitivement les Libyens qui ont fui les affrontements et trouvé refuge en Tunisie. La nuit même, encore plus les jours suivants, les files s’allongeaient à vue d’œil : voitures et estafettes bondées, camions et camionnettes surchargés, des hommes, des femmes et des enfants contenaient mal leur impatience devant le guichet de police de la frontière de Dhehiba, où un seul (?!) agent se chargeait des formalités. Augmenter le personnel et donner un coup de peinture ne seraient pas de trop. Il est vrai que de l’autre côté, c’est pire. Le poste frontalier libyen, tenu par des «thouar» sans uniforme, assis sur des chaises ou à même le sol, ressemble davantage à un garage ou à un petit hangar très mal entretenu. Et cela ne paraît pas dater d’hier. En plus, aucune formalité n’est accomplie, sauf le contrôle de quelques véhicules qu’ils jugent suspects et l’inscription sur un registre des passagers libyens. Les étrangers en sont dispensés. Il est vrai qu’ils sortent d’une vraie guerre.

Flambée des prix et profiteurs

Et comme dans toute guerre, il y a ceux qui la subissent (l’écrasante majorité) et il y a ceux qui en profitent. Face à l’affluence des journalistes qui se ruent vers Tripoli, les taximen de Ben Guerdane ont triplé, sinon quadruplé, leurs prix. Aussi, parvenir de Djerba à la frontière coûte-t-il l’équivalent d’un salaire d’un petit fonctionnaire. Sur place, vous vous faîtes saigner à blanc par des Libyens privés convertis en transporteurs. La destination Tripoli peut revenir au prix d’un aller-retour en avion Tunis-Paris-Tunis… en première classe !
Les raisons de cette montée en flèche sont multiples : la guerre, bien sûr, l’absence quasi totale de taxis en Libye due à l’engagement des nombreux chauffeurs du côté des «thouar» et la montée vertigineuse du prix du carburant, passé de 3 dinars les 20 litres à 45 à Nalout (relativement proche de la frontière tunisienne) pour grimper jusqu’à 150 d à Tripoli. Et ce sont les «commerçants» de Ben Guerdane qui le fournissent, inversant ainsi le sens de la contrebande de l’essence.

Comme quoi rien ne peut être éternel. L’infortune de nos voisins est due à la rancune de Gueddati dont les «katayeb» ont reçu l’ordre de saboter la grande raffinerie de Zaouia et les grandes installations pétrolières. Ce n’est pas là son seul forfait, puisque, détenant les codes de la chambre de contrôle du «grand fleuve» artificiel, il en a bloqué le système et il faudra encore quelques jours pour le remettre en fonction. Aussi Tripoli a-t-elle soif, manque-t-elle de carburant (hier seulement, quelques kiosques en fournissaient, mais les files s’étendait sur plus d’un kilomètre) et a-t-elle faim, le kilo de viande, quand disponible, coûte 50 dinars (pratiquement autant qu’en dinars tunisiens). […] […] En tout cas, ce sentiment de malaise semble être partagé par beaucoup de Tripolitains qui refusent d’ouvrir leurs commerces, et ce, depuis que la bataille entre «thouar» et «katayeb» a commencé. Et bien que les premiers aient désormais le contrôle total de la ville, y compris le quartier de Sidi Slim, les stores demeurent baissés, à l’exception de quelques petits commerces de produits alimentaires, de kiosques de tabac ou de marchands de légumes et de fruits. Le semblant de reprise, constaté hier et beaucoup moins avant- hier, samedi, était très timide et les quelques magasins ayant ouvert vers 11 heures ont baissé leur rideau à 15 heures. 

Il est vrai qu’il n’est pas encourageant de voir des artères commerçantes, comme l’interminable avenue Guergarech ou Omar Mokhtar, aboutissant sur la place verte (baptisée désormais place des Martyrs), des points de contrôle, tous les 15-20 mètres, avec d’énormes pierres et des amas de sable disposés de telle sorte à obliger les automobilistes à zigzaguer à 5 à l’heure. Les «thouar» qui les tiennent sont pour la plupart des jeunes qui nous rappellent les membres des comités de protection des quartiers après le 14 janvier… en plus irréel. Vêtus en jogging, shorts, t-shirts ou «souriya» (jallabia blanche), ils ont en plus à bout de bras, en bandoulière ou en position de tir, des armes allant du revolver au fusil léger, à la kalachnikov et même au lance-missiles (excusez du peu). […]

La Presse de Tunisie

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