Tribune libre de Paysan Savoyard
Selon les sondages l’immigration ne serait qu’une préoccupation secondaire pour les Français, loin derrière le chômage et le pouvoir d’achat : la réalité nous paraît pourtant exactement inverse. Le sujet est devenu permanent, omniprésent, quasi obsessionnel.
Les médias sont remplis chaque jour de sujets liés plus ou moins directement à la question de l’immigration. Les flux d’immigrés clandestins. Les campements illégaux. Les squats. Les HLM. La délinquance. Le terrorisme. L’échec scolaire. Les emplois manuels, massivement occupés par des immigrés. Les questions de communautarisme, halal, voile, mosquées. La discrimination positive. Les accusations de racisme et de discrimination. Le rap. Les quartiers. La masse des livres, des films et des séries télé qui tournent autour de la question. L’objectif de la « diversité » dans les médias, les entreprises, la politique. La natalité et la croissance de la population. La spectaculaire surreprésentation des immigrés dans les sports les plus populaires. L’actualité internationale, où abondent les conflits liés à des questions d’identité ou d’ethnie ou d’islam (Kosovo, Afghanistan, Libye, Afrique, Chavez…)…
Toutes les autres questions occupent une place moindre et sont bel et bien vécues comme secondes. Le chômage de masse depuis quarante ans ? On vit avec, à coup d’allocations. Les difficultés économiques et sociales ? La plupart des gens pensent que les choses vont se détériorer, mais le rythme et les modalités de la dégradation restent incertains et difficiles à appréhender. Les risques climatiques ? Selon ce que l’on comprend, ils ne devraient pas revêtir un caractère de gravité, en Europe du moins, avant plusieurs décennies.
L’immigration massive, elle, est un facteur de trouble et de déstabilisation omniprésent.
Elle modifie en profondeur la vie quotidienne de nombreux Français. Elle est le sujet qui divise le plus radicalement, alimentant un climat de guerre civile froide. Et beaucoup sans doute ressentent confusément, même sans vouloir se l’avouer, qu’elle menace l’identité du peuple français et la pérennité même de la civilisation européenne.
Le sujet a été plus ou moins explicitement au centre des deux dernières campagnes présidentielles. En 2002, où il a conduit le FN au second tour. En 2007, où la promesse de M. Sarkozy de maîtriser l’immigration et de rétablir la sécurité a probablement joué un rôle majeur dans son élection. La question de l’immigration sera de nouveau en 2012 le sujet central de la campagne.
Il le sera au premier tour. Selon ce qu’indiquent les sondages, la présence du candidat du PS au second tour paraît, pour l’heure, acquise. L’enjeu majeur du premier tour devrait donc être de savoir qui de Marine Le Pen ou de Nicolas Sarkozy sera qualifié face au socialiste : la capacité de l’un ou l’autre à convaincre l’électorat sur la question de l’immigration sera probablement décisive dans son succès.
Vraisemblablement la question déterminera également le second tour, quelle que sera l’identité des protagonistes. Dans l’hypothèse d’une qualification de M. Sarkozy, celui-ci tentera probablement de rééditer l’opération de 2007, en s’efforçant d’apparaître dans les ultimes semaines de campagne, par le discours et les actes de dernière minute, comme le candidat de la fermeté face à l’immigration incontrôlée.
Pour la candidate du Front national, l’immigration reste et restera l’enjeu majeur. Certes la personnalité de Marine Le Pen a une grande importance. Ses performances médiatiques également : elles permettent de mettre en évidence l’énergie et la détermination du chef, mariées à la maîtrise de l’expression et au contrôle de soi. La compétence technique et la connaissance des dossiers sont également des éléments non négligeables de crédibilité.
De même les différents aspects du programme comptent, bien entendu. Il est important pour Mme Le Pen que ses positions en matière économique et sociale et en matière d’écologie soient crédibles et qu’elles ne puissent être perçues comme de droite et encore moins d’extrême droite. En prenant sur de nombreux sujets des positions proches de celles défendues également par la gauche antilibérale, Mme Le Pen effectue des choix qui sont non seulement opportuns, sans doute, sur le fond mais également politiquement habiles. Les sujets liés à l’Europe et aux questions de souveraineté sont également sensibles. Enfin la volonté de se démarquer de l’oligarchie et du système UMPS ne peut qu’être ressentie positivement par une large fraction de l’électorat.
Il n’en reste pas moins que par ordre d’importance tout cela vient après – largement après – la question de l’immigration.
Si les électeurs du Front national votent comme ils le font, c’est d’abord et avant tout en espérant un arrêt de l’immigration, que seul ce parti porte à son programme. Symétriquement c’est en raison de ses positions sur l’immigration qu’une partie de l’électorat rejette toute perspective de vote pour Mme Le Pen. Certains des électeurs anti FN peuvent pourtant partager peu ou prou les analyses de ce parti et même éprouver eux-aussi un sentiment de crainte concernant l’immigration ; mais ils ne peuvent se décider à voter pour le Front national, préférant accepter les conséquences négatives de l’immigration plutôt que de choisir ce que la classe dirigeante, les leaders d’opinion et les médias présentent, jour après jour depuis trente ans, comme un vote de rejet de l’autre, un vote de crispation, un vote de haine.
Résumons. Si l’on vote pour le Front national, c’est avant tout en raison de ses positions sur l’immigration. Et c’est pour les mêmes raisons, avant tout, que l’on vote contre lui… !
C’est donc prioritairement sur la question de l’immigration que Mme Le Pen l’emportera ou non sur M. Sarkozy. Elle devra faire valoir que le bilan de celui-ci est en la matière catastrophique et que les promesses qu’il fera en 2012 seront dès lors peu crédibles : cela ne devrait pas être trop difficile. Il lui faudra également montrer que l’arrêt de l’immigration est hautement souhaitable et nécessaire : là encore, la chose n’est pas insurmontable, la majorité des Français, quoiqu’ils s’en défendent, en étant déjà, en réalité, convaincus.
Il sera essentiel de convaincre et de lever les inquiétudes sur deux autres points, plus sensibles encore :
- Il faudra montrer que l’arrêt de l’immigration est techniquement et politiquement possible, sans déclenchement du chaos et d’une guerre civile ; et sans atteinte aux libertés et aux droits des personnes qui se comportent de façon ordinaire.
- Il faudra montrer qu’une politique d’arrêt de l’immigration est moralement admissible, parce qu’il est légitime qu’un peuple souhaite rester maître chez lui, conserver son identité et assurer la pérennité de sa civilisation. Il faudra convaincre, autrement dit, de ce que le vote pour le Front national n’est pas un vote de haine mais, de la part des Français, un vote d’affirmation, affirmation d’eux-mêmes, affirmation de leur droit à l’existence et à l’identité, affirmation de leur volonté d’avenir.
L’immigration est le sujet majeur : autant le reconnaître et le dire puisque c’est de toute façon ce que tout le monde a à l’esprit.