Par Frédéric Wauters, journaliste économique indépendant, professeur de sciences commerciales à la Haute École Galilée à Bruxelles et entrepreneur.
Pas un jour ne passe sans qu’une quelconque autorité européenne ne pointe du doigt « les marchés » ou les agences de notation et ne les accuse d’avoir provoqué la crise.
Peut-être nos hommes politiques devraient-ils relire l’Évangile selon Saint-Luc…
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre dans ton oeil ? »
Si l’apôtre Luc place ces paroles dans la bouche de Jésus s’adressant aux Pharisiens, elles pourraient tout aussi bien être la réponse des « spéculateurs » et des agences de notation aux critiques émanant des dirigeants européens.
Si les marchés sont aujourd’hui sceptiques sur les capacités de remboursement de nombreux États, ils ont raison de l’être, car ces derniers ne gèrent pas les finances publiques comme un bon chef d’entreprise ou un bon père de famille.
Il y a à cela trois raisons principales, pour lesquelles, jusqu’à il y a peu, les marchés semblaient les absoudre.
Les gouvernements n’ont aucun problème avec les budgets en déficit
Aucune entreprise ni aucun ménage ne pourrait survivre à long terme avec des rentrées d’argent inférieures aux dépenses consenties. Or, les États en font une règle de gestion. Au point que les fameux « critères de Maastricht », que les États entrés dans la zone euro étaient censés respecter, prévoyaient un déficit budgétaire qui ne soit pas supérieur à 3% du PIB, et non pas une absence de déficit, comme une saine gestion le recommanderait. Tôt ou tard, il était clair que cette gestion irresponsable entraînerait une catastrophe et nécessiterait des mesures correctrices. Nous y sommes aujourd’hui.
Lorsqu’ils sont à court d’argent, les États empruntent ou taxent
Protégés par la célèbre maxime « les États ne peuvent pas faire faillite », les gouvernements ont emprunté à tour de bras pour couvrir leurs déficits structurels. Une famille ou une entreprise engagée dans une telle spirale aurait tôt fait de voir les banques fermer le robinet. Mais en forçant par voie légale banques et fonds de pension à investir une part de leurs avoirs dans des obligations « sûres » – leurs emprunts – les États ont pu continuer beaucoup plus longtemps à jouer ce jeu dangereux. Aujourd’hui, on ne parle toujours pas de faillite. Mais on n’hésite plus à parler de défaut de paiement : les États pourraient refuser de payer leurs dettes à l’échéance prévue.
La voie de l’emprunt se referme. Resterait donc celle des impôts. Malheureusement, la plupart des économies développées ont trop tiré sur la corde depuis la moitié du siècle dernier. Pour la plupart d’entre elles, les dépenses de l’État avoisinent les 50% du PIB. Monter au-delà est aujourd’hui politiquement irréalisable, ou presque. Les deux instruments favoris des gouvernements pour combler leurs déficits structurels sont désormais inutilisables. Reste le troisième.
Lorsqu’ils ne peuvent ni emprunter, ni taxer, les États créent de l’inflation
Tous les débiteurs d’un crédit hypothécaire le savent : l’inflation est l’amie des emprunteurs, car les remboursements à effectuer sont déterminés en termes nominaux. Si je rembourse 1000€ à chaque échéance de mon prêt, mais que la valeur de l’euro (ce que je peux acheter avec un euro) s’érode au fil du temps, la valeur de chaque remboursement diminue en termes réels.
Ni les entreprises, ni les ménages, ne peuvent créer de l’inflation. Ils se contentent de la subir. Mais les États, eux, le peuvent très facilement : en injectant de la monnaie dans l’économie, ce qu’on appelait dans le temps « faire fonctionner la planche à billets ». Aujourd’hui, évidemment, on n’imprime plus. Il suffit simplement que les banques centrales relâchent les critères de réserve des banques, ou bien acceptent des emprunts d’État pourris en garantie de nouveaux prêts, et hop, les banques créent de la monnaie en octroyant de nouveaux emprunts aux entreprises et aux particuliers, voire aux États eux-mêmes.
Aujourd’hui, ce risque d’inflation est bien réel, bien que le « scénario japonais » – une forte création de monnaie sans inflation au coeur d’une économie totalement déprimée – reste possible. L’évolution actuelle du prix de l’or et de l’argent indique en tout cas que les investisseurs nourrissent aujourd’hui de sérieuses craintes. L’or est en effet l’ultime refuge des épargnants. S’il s’échange aujourd’hui contre plus de devises, ce n’est pas parce que sa valeur augmente. C’est parce que la valeur de la plupart des monnaies fiduciaires ne cesse de s’effriter.