Le Fonds monétaire international est-il anti-européen ?
A la lumière des récents échanges verbaux entre sa directrice générale, Christine Lagarde, et les leaders économiques du Vieux Continent à propos de la fragilité des banques européennes et de la nécessité de renforcer leurs fonds propres, certains observateurs auraient tôt fait de conclure positivement. D’autant plus que les remarques, réitérées ce week-end, de la nouvelle patronne de l’institution multilatérale ont trouvé un écho favorable du côté de Washington et de Londres.
Doit-on pour autant en conclure que Christine Lagarde, auparavant ministre des Finances française, a trahi ses « anciens amis » ? Historiquement, la même mésaventure était arrivée à son prédécesseur, Dominique Strauss-Kahn. En avril 2008 exactement.
A l’époque, le ton est également monté entre l’Europe et le FMI. Le sujet de discorde : l’estimation, par le Fonds, des pertes potentielles des banques européennes à la suite de la crise des « subprimes ».
Dans son « Rapport sur la stabilité financière globale » publié au printemps de cette année, les analystes du FMI évaluaient alors à plus de 4.000 milliards de dollars le coût qu’avaient dû et qu’allaient devoir supporter l’ensemble des institutions financières. Rien que pour les banques européennes, le montant estimé était de près de 1.200 milliards de dollars. Et le Fonds d’appeler les établissements bancaires à rassembler entre 375 et 725 milliards de capitaux propres supplémentaires avant la fin 2010.
Hurlements des Européens, pour qui les chiffres étaient exagérés. « L’influence des ‘‘boys” de Goldman Sachs s’est encore manifestée », lâchait même un haut fonctionnaire du Trésor français. Mieux, la ministre des Finances française, Christine Lagarde, indiquait alors : « Lorsque nous prenons les chiffres publiés par le FMI par une extrapolation des méthodes comptables américaines aux banques mondiales, et que nous les comparons aux nôtres, nous n’avons pas les mêmes chiffres ».
Aujourd’hui qu’elle a traversé l’Atlantique, l’ex-ministre aurait donc tourné casaque. En fait, comme il y a trois ans, la polémique entre l’Europe et le Fonds est d’abord une affaire de méthodologie comptable. « La méthodologie est fondée sur l’idée que le reste du monde encourt le même problème que celui du marché américain. C’est osé », avançait en 2008 un haut responsable français.
Les deux affaires témoignent en réalité de l’influence anglo-saxonne au sein de l’institution multilatérale. Une influence prédominante, même si les Etats-Unis n’ont qu’un peu plus de 17 % des droits de vote de l’institution contre près d’un tiers pour les Européens.
A ce propos, le rapport annuel 2010 sur la diversité du FMI est riche d’enseignements. Si les ressortissants des pays en développement représentent 46,5 % du total des équipes de l’institution – un chiffre en hausse de plus de 5 points par rapport à 1990 -, ce pourcentage tombe à… 29,1 % pour les équipes dirigeantes. Pour les seuls économistes du Fonds, les pourcentages sont similaires.
Autre enseignement : être ressortissant d’un pays en développement ou d’un pays industrialisé du G7 ne veut pas pour autant dire que l’on échappe à l’influence américaine. Le même rapport du Fonds relève en effet que dans 48 % des cas, le personnel du FMI a effectué ses études aux Etats-Unis. Suivent le Royaume-Uni (9 %), la France (4,4 %) et le Canada (3,7 %). « Pas moins de 63 % de tous les PhD (doctorat), la moitié des masters ont été obtenus aux Etats-Unis », précise le rapport.
L’exemple le plus emblématique est le chef économiste du FMI, Olivier Blanchard. « Ce dernier n’a de français que sa nationalité », ironise un grand économiste de l’Hexagone lui reprochant son prisme américain. En effet, Olivier Blanchard a obtenu un PhD en économie au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1977. Il est, entre autres, membre de l’Académie des sciences américaine.
L’équipe de recherche du Fonds qui l’entoure est, elle aussi, issue des grandes universités américaines, que ce soit Princeton, Harvard, New York Columbia University, Yale, Berkeley, ou encore Chicago. Même Dominique Strauss-Kahn, qui se vantait pourtant d’avoir fait venir au FMI des Européens, ne peut se dédouaner de l’aura exercée par les universités américaines.
Le nouveau directeur du département européen du FMI est de nationalité portugaise. Reste qu’il est titulaire d’un PhD en économie de l’université de Stanford et qu’il a passé huit années chez Goldman Sachs (2000-2008) en tant que vice-président et directeur général.
L’influence anglo-saxonne est-elle pour autant un gage de qualité et de pertinence en ce qui concerne les analyses du FMI ? Le rapport 2011 de l’office d’évaluation indépendant du Fonds, un organisme interne chargé d’évaluer ses performances, répond plutôt négativement. « L’utilité pratique de la recherche est souvent limitée faute de consultation préalable des autorités des pays sur les thèmes qu’elles couvrent et d’une connaissance suffisante des contextes nationaux et institutionnels ».
Plus loin, ce rapport précise que « la qualité technique des études du FMI est très inégale ». Enfin, « les autorités de nombreux pays ont signalé que les études du FMI servaient à faire passer un message et de nombreux fonctionnaires de l’institution ont indiqué qu’ils se sentaient souvent obligés d’aligner leurs conclusions sur les opinions du FMI ».
Depuis quelques années, des efforts sont pourtant faits pour amoindrir cette influence américaine. En 1995, le FMI a mis en place un conseil de la diversité, chargé, entre autres, de réduire les inégalités trop criantes au sein des équipes de l’institution, comme la faible représentation des ressortissants des pays en développement et en transition au niveau du management. Des objectifs chiffrés devant être atteints avant 2014 avaient même été fixés en 2009.
Selon le dernier rapport annuel publié l’an passé, on est encore loin du compte. Au sein du FMI, l’influence anglo-saxonne continuera donc de s’exercer. Et sa directrice générale ne pourra guère s’écarter de la ligne directrice.