Tribune libre de Paysan Savoyard
Depuis cinquante ans, les Français – et les autres peuples européens avec eux – se voient présenter la construction européenne comme un nouvel horizon, lointain certes, mais tendanciellement radieux. La nécessité de poursuivre et d’approfondir l’union européenne initiée en 1957 est dès lors affichée comme une évidence. Nous ne partageons pas ce sentiment de communion européiste : la construction européenne nous paraît constituer une escroquerie.
Le discours des européistes met en avant trois arguments majeurs :
« L’Europe c’est la paix ». La construction européenne serait la source première de la paix régnant depuis cinq décennies entre des pays européens qui ne cessaient jusqu’alors de se combattre. Dès lors, selon ses promoteurs, la poursuite de la construction européenne serait la garantie et la condition du maintien de la paix en Europe.
« L’Europe c’est la prospérité ». Dès l’origine le marché commun a été décrit comme un gage de développement économique. Dans les années 80, la relance de la construction européenne, qui s’est traduite par l’achèvement du marché intérieur et la mise en œuvre d’une union monétaire, a été présentée par les dirigeants, notamment le président de la Commission, Jacques Delors, comme une source importante de richesse et de création d’emplois.
« L’Europe c’est la solidarité et l’union entre des peuples qui partagent les mêmes valeurs : démocratie, égalité, liberté ». C’est au nom de la promotion de ces valeurs communes que l’accueil au sein de l’Union des pays libérés de la dictature a été proclamé comme une nécessité morale. C’est pour les garantir que les européens doivent, nous dit-on, renforcer leurs liens et se diriger progressivement vers une union politique.
Brassant les bons sentiments, les idéaux et les objectifs louables, le discours des européistes est en réalité un bluff, un mensonge, une escroquerie.
La construction européenne n’est pas la source de la paix en Europe. L’origine de la paix en Europe, ce sont les deux guerres mondiales elles-mêmes qui, en raison de leur ampleur et de leurs conséquences catastrophiques, humaines, matérielles et morales, ont conduit les européens à rompre avec les logiques de guerre. La réalité est très exactement inverse de ce que prétendent les européistes : c’est la paix qui a permis la construction européenne.
La construction européenne ce n’est pas la prospérité. Depuis l’achèvement du marché unique et la mise en place de la monnaie unique, la situation globale des populations dans les pays initiateurs de la construction européenne ne s’est pas améliorée. La croissance reste faible. Le chômage, massif depuis quarante ans, n’a pas baissé et plusieurs pays dont la France se sont désindustrialisés. Les finances des États se sont fortement dégradées. La monnaie unique s’est traduite par une hausse des prix, du moins pour les dépenses de vie quotidienne.
Dans l’ensemble européen la dégradation de la position de la France a été particulièrement nette : pour ce qui est du niveau de revenu par habitant,la France se place aujourd’hui dans les toutes dernières positions parmi les pays « riches ». Par rapport à l’indice 100 qui correspond au PIB moyen par habitant dans l’Europe des 27, l’indice français est à 107.La France est l’avant-dernière parmi tous les pays d’Europe occidentale (l’Allemagne, malgré l’intégration de la RDA, est à 118, le Royaume Uni à 114,la Belgique à 118, les Pays-Bas à 133, sans parler de la Suède (123) ou de la Norvège (179). Parmi les membres fondateurs de l’UE, seule l’Italie fait légèrement moins bien que la France. La situation de la France n’a cessé de se dégrader ces dix dernières années : en 2000, l’indice Français était à 115 ! (Cf le détail du PIB par habitant)
L’Europe, ce n’est pas la démocratie. Deux des principaux organes de l’UE (Commission et BCE) sont composés de technocrates non élus et sont, aux termes des traités, indépendants des gouvernements. Les peuples n’ont pas été consultés sur l’évolution décisive qu’a été l’élargissement aux pays d’Europe centrale. Lorsque par exception les électeurs sont consultés et qu’il leur prend l’envie de s’opposer aux visées des européistes, les dirigeants européens leur redemandent de voter ou ne tiennent pas compte du scrutin. C’est ainsi qu’en 2005, les électeurs Français et Néerlandais ont refusé le projet de constitution européenne (TCE). Qu’à cela ne tienne : l’essentiel des dispositions du TCE rendu caduc ont été reprises dans un nouveau traité (celui de Lisbonne) appliqué cette fois sans être soumis à référendum dans les deux pays fautifs. En 2008 les Irlandais, auxquels le traité de Lisbonne a été soumis, l’ont repoussé par référendum : une nouvelle consultation a été organisée dès l’année suivante pour leur donner l’occasion de voter, cette fois, conformément aux vœux européistes.
La construction européenne, enfin, ce n’est ni l’union ni la solidarité entre États membres autour des valeurs européennes. C’est sur ce dernier point que l’escroquerie est la plus manifeste et c’est pourquoi nous y insisterons :
- Bien loin d’organiser une solidarité entre européens, l’UE constitue un cadre et un ensemble de règles organisant et alimentant au contraire entre les pays membres une concurrence frontale. Il n’y a pas de coordination des politiques économiques. Il n’y a pas de solidarité budgétaire. Les différents États pratiquent un dumping fiscal, salarial et social pour doper leurs exportations et attirer les capitaux. Certes la dimension fédérale est présente dans l’UE. Mais ce qui a été fédéralisé, ce sont précisément et uniquement les règles du jeu de l’économie de libre concurrence : libre circulation des capitaux, des biens, des services et des personnes ; interdiction des monopoles nationaux et des protections nationales ; monnaie unique et politique monétaire confiée à un organisme fédéral chargé de la lutte contre l’inflation, laquelle constitue l’un des objectifs clés de l’économie libérale. Dans ce cadre imparti, qui est celui de l’économie libérale, les États se livrent à une concurrence totale.
Il ne faut donc pas se tromper d’analyse et se laisser bercer par les mensonges des européistes : ce n’est pas parce qu’ils se sont mis d’accord sur les règles de leur affrontement, à l’instar de joueurs de Monopoly, que les pays européens sont solidaires. Telle est l’Europe construite pas les promoteurs de l’UE : les Européens se livrent entre eux à une concurrence globale et sans merci. C’est ainsi que les Allemands ont décidé de mener depuis 10 ans une politique de compression de leurs salaires pour améliorer leur compétitivité et leur balance commerciale (politique de « désinflation compétitive ») au détriment de leurs partenaires commerciaux et d’abord du premier d’entre eux la France (voir ce tableau de l’Insee) (précisons que nous n’entendons pas ici reprocher aux Allemands de jouer le jeu de la concurrence entre européens puisque celle-ci constitue la logique propre et le moteur même de l’UE).
Donnons également cet exemple récent significatif de la vraie nature de l’Europe : les Européens ont accepté d’aider l’Irlande en difficulté tout en la laissant continuer à appliquer un taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés (12,5%) très inférieur à ceux pratiqués par la plupart des pays membres. Cette politique de dumping fiscal est préjudiciable aux finances publiques des partenaires européens de l’Irlande : elle est en revanche profitable aux grands groupes internationaux ayant installé des filiales dans ce pays.
- En même temps qu’ils prétendaient « construire l’Europe », les promoteurs de l’UE et les différents gouvernements des États membres contribuaient à la mondialisation : en participant aux négociations internationales visant à baisser ou à faire disparaître les droits de douane ; en libérant en 1988 les mouvements internationaux de capitaux. Ils révélaient par là même leurs véritables intentions : il ne s’agit pas pour eux de mettre en œuvre un marché intérieur européen mais bien un marché mondial ouvert.
- Les différents épisodes de l’élargissement de l’Europe ont été autant d’illustrations de la duplicité des dirigeants et oligarques européens. L’adhésion de la Grande-Bretagne, traditionnellement libérale et mondialiste sur le plan économique et atlantiste sur le plan géopolitique, a constitué dès 1973 la preuve que l’objectif des européistes n’a jamais été de construire l’Europe sociale et indépendante qu’ils mettent en avant dans leurs discours. De même l’adhésion de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal ont été présentées comme des actes de solidarité nécessaires envers des peuples qu’il s’agissait d’accueillir dans le camp des démocraties. Les véritables motifs étaient évidemment économiques : l’intégration de ces pays à faibles salaires a permis d’initier le mouvement de délocalisations à l’intérieur de l’Europe (c’est ainsi qu’une partie de l’industrie automobile et de l’agriculture françaises ont été délocalisées en Espagne). De même les « aides structurelles » européennes distribuées aux nouveaux adhérents ont ouvert de nouveaux marchés aux grands groupes européens (des entreprises comme Bouygues ont pu ainsi participer au tapissage d’autoroutes en Espagne et au Portugal financées par les impôts des contribuables des pays « riches » de l’UE).
L’opération a été rééditée à plus grande échelle avec les pays ex-soviétiques. Mêmes prétextes affichés : la nécessité morale d’accueillir des pays libérés de la dictature. Mêmes motivations réelles : délocalisations massives dans les nouveaux pays adhérents aux coûts salariaux très faibles (par exemple 3 euros de l’heure en moyenne en Bulgarie, 4 en Roumanie, contre 32 en France) ; aides structurelles profitables aux entreprises européennes sur le dos des contribuables ; et immigration intra européenne en provenance d’Europe centrale pour peser à la baisse sur les salaires pratiqués en Europe occidentale. L’intégration d’un pays comme la Bulgarie, intégralement tenu et régenté par la mafia, montre s’il en était besoin que la construction européenne n’a pas grand-chose à voir avec « la solidarité » et « les valeurs ». La volonté des dirigeants européens d’intégrer la Turquie, qui n’appartient pas de façon évidente à la « communauté de valeurs » européenne, révèle toujours plus nettement leurs motivations véritables, leur duplicité et leur insatiable cupidité.
- Terminons sur cette dernière illustration de l’hypocrisie des européistes. Les dirigeants européens prétendent vouloir progresser, en dépit des lenteurs et des difficultés inévitables, vers une plus grande union politique et une forme d’intégration (ils nous parlent ces temps-ci de leur volonté de mettre en place un « gouvernement économique » européen). Cette volonté d’union politique est mensongère. Les Allemands ne souhaitent une plus grande intégration que si elle se fait aux conditions allemandes et à leur bénéfice. Les dirigeants Français refusent eux la perspective de l’intégration ; pour partie afin d’éviter la constitution d’une Europe encore plus allemande qu’aujourd’hui ; et pour partie également parce qu’ils préfèrent conserver les positions de pouvoirs nationales dont ils bénéficient.
C’est ainsi qu’en 2000 et 2001, les dirigeants allemands, MM. Schroeder et Fischer, avaient proposé de façon solennelle, à deux reprises et à un an d’intervalle, de mettre en place une union politique entrela France et l’Allemagne et de lancer entre eux un processus fédéral. Tous les dirigeants français ont brutalement refusé cette proposition. M. Chirac président de la république. Mais aussi M. Jospin, premier ministre, M. Védrine, ministre des affaires étrangères, M. Moscovici, ministre des affaires européennes, tous affirmant qu’une telle perspective ne correspondait pas à la tradition française.
Même M. Delors, la statue du commandeur de l’Europe, préférera hypocritement se réfugier derrière un oxymore et promouvoir « une fédération d’États-Nations ». Cela n’empêche pas les dirigeants Français de continuer à amuser la galerie et de faire croire à leur opinion crédule et sans mémoire qu’ils ont bien pour objectif de parvenir à l’intégration politique de l’Europe.
Résumons : les ressorts de l’Europe de l’UE ne sont ni la paix, ni la solidarité, ni l’union politique, ni la prospérité des peuples. L’UE, c’est l’Europe de la concurrence totale, l’Europe des marchands, des lobbys, du dumping, du libre échange mondialiste et des mouvements internationaux de capitaux.
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Relevons incidemment l’utilisation par les européistes de ce procédé de propagande par la sémantique. C’est à dessein qu’ils ont choisi et qu’ils prennent soin de ressasser le terme de « construction européenne », dont l’utilisation a plusieurs intérêts. Il permet tout d’abord d’assimiler et de rendre synonymes construction européenne et coopération européenne, conditionnant l’opinion à penser qu’il n’y a pas d’autre Europe possible que celle de Rome et Maastricht. Le procédé a connu un raté avec le rejet du TCE par référendum en France mais il continue à être utilisé globalement avec succès. On le voit ces temps-ci avec l’euro, ses opposants étant dénoncés comme hostiles à la coopération européenne elle-même.
Le terme « construction européenne » a un autre avantage. Il introduit l’idée que cette « construction » constitue une nécessité et même une évidence. Construire en effet est par nature positif : comment pourrait-on préférer ne rien construire et a fortiori détruire ? Les bâtisseurs ont nécessairement le beau rôle.
Dernier intérêt de ce choix lexical : le terme de construction suggère que le processus est par nature lent, difficultueux, qu’il connaît d’inévitables retards et périodes de blocage, comme il est de règle pour tous les chantiers difficiles. Ainsi les européistes justifient-ils de façon implicite les insuffisances et les échecs. L’opinion constate que les résultats en termes d’emploi ne sont pas là ? : « C’est que toute construction ambitieuse est difficile ». Elle voit bien que les européens ne sont pas unis ? « Rendez-vous compte : il s’agit d’unir des pays qui se faisaient la guerre il y a encore cinquante ans : il est normal que ce grand chantier soit lent et compliqué ».
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Terminons. La « construction européenne » est, avec l’immigration et la mondialisation, un pilier important de l’idéologie dominante. L’européisme présente d’ailleurs les mêmes caractéristiques que ces autres vaches sacrées que sont l’immigrationnisme et le mondialisme. Même propagande incessante, assise notamment sur l’utilisation d’une novlangue ad hoc. Même mensonge sur les objectifs véritables poursuivis. Même camouflage des faits et des résultats obtenus.
Précisons que nous sommes pour notre part favorables à une union plus forte entre européens. Faut-il souhaiter une Europe mettant en œuvre des coopérations volontaires et à la carte entre États restant souverains ? Ou la mise en place de politiques fédéralisées, par exemple dans le domaine de la politique étrangère et de la défense, entre les pays européens les plus proches ? C’est à voir. L’Europe constituant un ensemble civilisationnel, il serait logique qu’elle donnât naissance à une union politique, dans un monde multipolaire dominé par de grands empires (États-Unis, Chine, Inde ; étant entendu que la Russie, elle-même pour partie européenne, a vocation nous semble-t-il à devenir pour les européens un partenaire et un allié privilégié).
A l’inverse on peut soutenir que la perspective de constituer des États-Unis d’Europe ne correspond pas à l’histoire d’un continent constitué pour partie de plusieurs États-nations importants et formés de longue date. Quelle que soit l’option choisie, il nous semble évident que sans harmonisation fiscale et sociale au sein de l’Europe et sans une certaine protection vis-à-vis de la concurrence extérieure, il ne pourra y avoir de coopération européenne véritable.
Europe des patries ou cheminement souhaitable vers une Europe fédérale ? Le débat reste possible, nous semble-t-il. Une chose paraît certaine en toute hypothèse. Il faut tourner la page de l’Europe de Rome et de Maastricht, cette Europe-passoire de la mondialisation et de l’immigration, cette Europe coupée des peuples et dissolvant les identités, l’Europe du libre-échange matérialiste, l’Europe des marchands et des oligarques, l’Europe de l’hypocrisie et de la cupidité.