INTERVIEW – L’ambassadeur de la Russie à l’Otan, Dmitri Rogozine, se montre très critique envers l’Alliance atlantique et ce «droit d’ingérence» dont elle s’est dotée.
L’ambassadeur de Russie à l’Otan, Dmitri Rogozine, était à Paris cette semaine pour évoquer le projet de bouclier antimissile de l’Otan. Il propose que l’Otan et la Russie aient chacune leur propre système de défense. Proche de Vladimir Poutine et représentant du courant nationaliste russe, il pourrait jouer un rôle dans la campagne des législatives de décembre.
LE FIGARO. – Où en sont les négociations sur le bouclier antimissile en Europe ?
Dmitri ROGOZINE. – Les États-Unis avaient offert à la Russie une coopération sur ce bouclier antimissile mais aucune coopération de fait ne nous a été proposée.
Une véritable coopération permettrait de rétablir la confiance en Europe et d’économiser beaucoup d’argent en période de crise. En fait, l’Otan a toujours peur de la Russie et refuse de surmonter l’héritage de la guerre froide.
Que proposez-vous ?
Puisqu’un seul bouclier antimissile intégré a été refusé, nous proposons que chacun ait son propre système. Le dispositif de l’Otan assurerait la sécurité des pays de l’Otan, à condition que son rayon d’action ne touche pas le territoire russe. Nous proposons aussi d’établir un lien entre nos systèmes d’alerte parce que le temps de réaction à un tir de missile n’est que de quelques secondes. Sans interconnexion, tout lancement d’un intercepteur pourra être considéré par la Russie comme une agression potentielle. Nous demandons enfin la garantie que notre potentiel nucléaire n’est pas menacé.
Cela va à l’encontre du système de l’Otan qui, dans sa troisième phase de déploiement, prévoit des intercepteurs en Pologne…
Le rayon d’action de ces intercepteurs, basés en Pologne ou dans la mer Baltique, ira jusqu’à l’Oural alors que la menace est censée venir de pays du Moyen-Orient ou d’Asie. Si l’Iran n’est qu’un prétexte pour déployer des intercepteurs au nord et menacer la Russie, nous voulons que cela soit dit clairement.
Quelle est la réaction de vos interlocuteurs européens ?
Leur passivité est étonnante. Ils trouvent nos arguments raisonnables, mais affirment que cela doit être discuté avec Washington. Pourtant, les Américains négocient avec la Pologne. Quand un accord sera signé personne ne demandera l’avis des autres Européens.
En Libye et en Syrie, la Russie soutient les régimes en place. La diplomatie russe n’est-elle pas en train de perdre son prestige au Moyen-Orient ?
Nous ne nous sommes pas fait d’illusions sur Kadhafi, mais nous ne partageons pas votre vision du monde arabe. Vous pensez que c’est le rendez-vous de l’islam et de la démocratie. Nous croyons que c’est un choix entre un tyran et al-Qaida. En Tchétchénie, c’est ce qui s’est passé. Et puis, nous n’avons pas aimé la façon dont l’Otan s’est servi de la résolution de l’ONU pour poursuivre des objectifs qui n’avaient rien de commun avec elle. Ce qui est préoccupant, c’est que l’Otan se dote d’un droit d’ingérence qui est du domaine exclusif de l’ONU.
Vous vous êtes inquiété des conséquences d’un retrait de l’Otan d’Afghanistan pour la stabilité en Asie centrale. Souhaitez-vous que l’Otan reste longtemps en Afghanistan ?
L’Otan s’est donné une tâche qu’elle doit mener jusqu’au bout. Après avoir agité la fourmilière, nous ne voulons pas que l’Otan nous laisse face à face avec les chiens de la guerre. Une fois que l’Otan sera partie, ils se répandront au Tadjikistan et en Ouzbékistan et cela deviendra notre problème.
La Russie est-elle un pays européen ?
Elle l’est davantage que d’autres pays européens. Nous avons propagé la culture européenne jusqu’à Vladivostok alors que l’espace culturel européen est en train d’être réduit par les cultures venues du sud. Berlin n’est-elle pas la troisième ville turque dans le monde ? Si on veut intégrer d’autres cultures, il ne faut pas perdre ses propres valeurs culturelles. C’est ce que nous faisons en Russie.
(Merci à zalmox)